Le Mozambique réclame 800 objets d’art à l’Europe


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Masque heaume lipico Makondé Mozambique
Masque heaume lipico Makondé Mozambique

Lors des célébrations de la Journée de l’Afrique, Maputo a officiellement réclamé le retour de centaines d’œuvres pillées durant la période coloniale. Une démarche qui s’inscrit dans un mouvement continental de reconquête du patrimoine africain et qui vise à redéfinir les relations entre musées européens et pays d’origine.

Le ton était solennel dimanche à Maputo. Lors des célébrations officielles de la Journée de l’Afrique, la ministre mozambicaine de l’Éducation et de la Culture, Samaria Tovela, a lancé un appel retentissant pour « la restitution d’au moins 800 objets d’art pillés pendant la période coloniale ». Ces pièces – masques, statues, bijoux rituels et archives sacrées – sont aujourd’hui dispersées entre musées et collections privées, principalement européennes.

« Nous devons récupérer tout ce qui a été volé au continent africain », a martelé la ministre, estimant que la réparation historique passe aussi « par des moyens symboliques et culturels ». Une déclaration qui annonce une nouvelle offensive diplomatique africaine du débat mondial sur la mémoire coloniale.

Un mouvement continental qui prend de l’ampleur

La démarche mozambicaine s’inscrit dans une dynamique continentale désormais bien établie. Depuis 2021, plusieurs pays africains ont intensifié leurs revendications patrimoniales avec des résultats concrets.

Le Bénin a obtenu en 2022 la restitution par la France de 26 trésors royaux d’Abomey, marquant un précédent historique. Le Nigeria a signé des accords bilatéraux pour le retour de centaines de bronzes du royaume du Bénin. L’Éthiopie, la République démocratique du Congo et le Ghana mènent actuellement des négociations actives avec l’Allemagne, la Belgique et le Royaume-Uni.

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Selon l’Agence d’information de Mozambique, environ 3 000 artefacts africains identifiés font l’objet de demandes de rapatriement à travers le continent, dont 800 pour le seul Mozambique.

Une stratégie diplomatique multidimensionnelle

L’approche mozambicaine dépasse la simple réclamation patrimoniale pour s’articuler autour de trois axes stratégiques.

  • La justice mémorielle constitue le premier pilier. Pour la ministre Tovela, « les réparations historiques ne sont pas seulement financières ; elles doivent restaurer l’identité culturelle blessée ». Cette dimension symbolique vise à réparer les traumatismes collectifs hérités de la colonisation.
  • La diplomatie culturelle forme le second volet. La cheffe de la diplomatie mozambicaine, Maria Manuela Lucas, plaide pour une « décennie des réparations », incluant un sommet extraordinaire de l’Union africaine et de la CARICOM prévu d’ici fin 2025. Cette approche régionale vise à créer un front commun face aux institutions européennes.
  • L’argument des droits humains complète ce triptyque. Les discours officiels lient explicitement le retour d’objets à la condamnation des déportations, massacres et pillages de ressources subis sous la domination coloniale.

Cartographie d’un patrimoine dispersé

Une première cartographie réalisée par le ministère mozambicain de la Culture révèle l’ampleur de la dispersion. Le Musée d’Anthropologie de Lisbonne détient environ 320 objets mozambicains, principalement des masques rituels et des ivoires sculptés. Les Staatliche Museen zu Berlin en conservent approximativement 140, dominés par des sculptures Makonde. Le Musée du Quai Branly – Jacques Chirac à Paris possède près de 80 pièces, essentiellement des textiles et des armes cérémonielles.

Plus préoccupant encore, environ 260 objets sont identifiés dans des collections privées, incluant des objets de culte et de la correspondance coloniale, rendant leur localisation et leur récupération plus complexes.

Un calendrier ambitieux et une pression croissante sur les musées européens

Maputo a défini un agenda précis pour les prochains mois. L’inventaire numérique des 800 pièces doit être achevé d’ici septembre 2025, avec la publication d’un catalogue bilingue portugais-anglais. Des négociations bilatérales spécifiques avec Lisbonne et Berlin seront pilotées par un comité mixte d’experts.

Parallèlement, une campagne de sensibilisation dans les écoles mozambicaines sur l’histoire du pillage culturel a été lancée. Le sommet Union africaine-CARICOM sur les réparations, prévu à Maputo en décembre 2025, devrait donner une dimension internationale à cette démarche.

Cette offensive mozambicaine accentue la pression sur les institutions occidentales. Après les restitutions spectaculaires au Bénin et au Nigeria, plusieurs musées s’interrogent désormais sur leurs collections africaines. Le British Museum et le Musée royal d’Afrique centrale en Belgique ont déjà reçu des requêtes formelles venant de Maputo, selon des sources diplomatiques.

Enjeux d’une reconquête patrimoniale

Pour le Mozambique, le rapatriement vise à renforcer la cohésion nationale et à relancer des pratiques artisanales parfois éteintes. En associant la CARICOM à sa démarche, Maputo veut également lier la question coloniale africaine à celle de la traite négrière vers les Amériques, créant un front Sud-Sud inédit.

Pour les musées européens, l’enjeu consiste à redéfinir leur rôle dans un monde postcolonial. Les solutions émergentes incluent des prêts longue durée, des expositions itinérantes ou la création de centres de recherche partagés permettant de conserver un accès scientifique tout en respectant les revendications légitimes.

« Aujourd’hui nous sommes libres, mais la liberté est incomplète tant que notre patrimoine reste loin de chez nous. Restituer, c’est réparer », avait conclu la ministre Tovela le 25 mai dernier à Maputo.

Masque Africamaat
Kofi Ndale, un nom qui évoque la richesse des traditions africaines. Spécialiste de l'histoire et l'économie de l'Afrique sub-saharienne
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