Le Jardin comme idéal


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Le Jardin Majorelle, ou un trait d’union amoureux entre la France et le Maroc : actuellement propriété du couturier Yves Saint-Laurent et de Pierre Bergé, ce bijou chatoyant et immobile reste l’un des ornements de Marrakech.

La tradition royale marocaine, aussi loin qu’on la recherche, a toujours fait de l’art des Jardins d’un des arts majeurs de la civilisation. Tradition arabe et culture chérifienne ont ensemencé la terre du Maroc pour lui faire nourrir de somptueux paradis de lumière et d’ombre, de fleurs et d’eaux. Jardin des Oudayas ou du Chellah à Rabat, jardins de La Menara à Marrakech, tant d’autres encore, dans le secret d’un riyad, aménageant dans un mouchoir de poche un monde en réduction.

Mais rien n’égale le Jardin Majorelle. Parce qu’il n’est pas immense, mais bien proportionné, qu’il n’est pas encyclopédique ou majestueux, mais varié et délicat, mariant les perspectives et les proportions, jouant de tâches de couleurs vives réparties avec un soin minutieux au gré d’allées sinueuses. Le Jardin Majorelle est à la fois merveilleusement équilibré, et en perpétuel déséquilibre. Il est un moment suspendu, qu’on voudrait maintenir, mais qui dit son passage, la fugacité de la lumière, l’altération des teintes, la feinte éternité des fleurs.

Eternité éphémère

Image du paradis, parce qu’ordonnancement de la beauté, le jardin est en même temps l’aveu tangible de la finitude humaine : telle est la durée où nous pouvons parvenir, celle d’un cactus dressé qui sèchera un jour. Celle d’une cascade de fuchsia dégringolant du ciel -et qui s’éteindra avant lui. Celle de l’envol immobile de l’orchidée, temporairement posée sur son bâton vert.

Le reflet de l’eau n’est pas moins fugace, parce que tout ce qui passe dure le même temps, le temps d’une respiration ou d’un amour, le temps d’un duel silencieux de regards denses.

Mais le jardin témoigne aussi d’autre chose : de la place de l’homme dans cet univers fragile. Car l’homme est là, qui peut contribuer à maintenir, à chaque fois un peu plus loin, l’illusoire perfection de l’immobilité. C’est un travail permanent, éreintant, continu.

Objet de toutes les attentions

Il faut tantôt curer le bassin, le petit canal de fraîcheur qui remonte vers la maison, la fontaine perlée qui chantonne près du balcon. Il faut repeindre les volets et les murs, restaurer le carreau des bacs et repasser les pots à la chaux bleue. Il faut sans arrêt replanter, soigner, tailler, arroser, renouveler, recomposer l’harmonie des couleurs et des formes.

Le Jardin Majorelle est un perpétuel investissement, dont la seule utilité est sa beauté. Investissement gratuit, à fonds perdus, partis en feux d’artifices de couleurs et de lumières précieuses. Pierre Bergé et Yves Saint-Laurent auront contribué à prolonger, pendant plusieurs décennies, cet enchantement provisoire.

Il faut souhaiter que la fondation marocaine à laquelle ils le lègueront poursuive l’oeuvre à travers le temps. Tout ce qui est humain est éphémère, mais le propre de l’homme est de faire durer ce qu’il crée, au-delà de lui-même, et de génération en génération. Maintenir l’éphémère : c’est la grande devise des jardiniers du monde.

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