Le drame du sida en chorégraphie


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La tragédie du sida en Afrique du Sud est mise en perspective par le chorégraphe Boyzie Cekwana dans une pièce étonnante et dérangeante. Une création/installation âpre et brutale pour huit danseurs.

Une femme en perpétuel déséquilibre traverse la scène, imperturbable. Imperméable aux cris et aux gesticulations des sept comédiens qui l’entourent. Un homme avachi sur une chaise regarde un programme sur le sida à la télévision tandis que les autres dansent, chantent, crient, bousculent le public. Le chorégraphe qui se cache derrière cette pièce étonnante et dérangeante a des allures d’adolescent timide et respire l’humilité. Il s’appelle Boyzie Cekwana, danse depuis 16 ans et a créé sa compagnie il y a 4 ans. Né à Johannesburg, il vit et travaille à Durban car la ville possède  » le meilleur hiver du pays et qu’elle est idéalement située entre deux océans, un froid et un chaud « …

Afrik : Votre dernier travail traite du sida en Afrique du Sud. Votre inspiration vient-elle toujours de problèmes de société ?

Boyzie Cekwana : J’ai essayé à plusieurs reprises de travailler sur des sujets anodins mais c’est très difficile… Trop d’événements arrivent autour de nous, nous recevons trop d’informations pour ne pas en faire quelque chose, pour ne pas y réfléchir. Ce travail, en particulier, est fortement ancré dans la réalité sud-africaine. Il montre comment notre culture, dominée par les hommes, a un impact sur la propagation du sida et comment nos anciennes cultures ne sont pas adaptées pour combattre le virus.

Afrik : Dans le décor, vous avez intégré des photographies d’hommes et de bébés mais il n’y a aucune femme…

Boyzie Cekwana : Aujourd’hui, les rapports de force changent et les hommes sud-africains ont du mal à accepter l’égalité des sexes, ce n’est pas inscrit dans notre culture. Dans les religions chrétienne et musulmane, c’est l’homme qui est au centre, c’est être un homme qui est positif. Il y a deux ans, un phénomène troublant, terrible et tragique a explosé en Afrique du Sud. Des bébés ont été violés… Les hommes pensaient qu’en couchant avec ces enfants, ils guériraient du sida. Ce sont nos anciennes cultures inadaptées qui ont favorisé l’émergence de cette légende urbaine. Ces horreurs expriment toute la confusion de notre société qui tente de trouver un comportement face à la nouvelle maladie. Mon spectacle n’est pas de l’art, c’est une tragédie.

Afrik : Cette fois-ci vous ne dansez pas dans votre spectacle, pourquoi ?

Boyzie Cekwana : Parce-qu’il y avait déjà assez d’hommes sur scène ! Il y a sept comédiens, qui parlent un mélange de zoulou et de xhosa, et une seule femme. Même si je danse souvent dans mes chorégraphies, je commence à apprécier de ne pas danser. J’adore toujours ça mais je me repose !

Afrik : Comment avez-vous découvert la danse ?

Boyzie Cekwana : Grâce à des amis de ma soeur qui m’ont averti de l’ouverture d’une nouvelle école de danse à Soweto, quartier où je suis né et où j’ai grandi. L’école recherchait des garçons. J’y suis allé pour voir… et j’y suis resté ! En Afrique du Sud, les enfants, les gens dansent dès qu’ils entendent de la bonne musique… c’est une danse sociale, rien d’académique. A l’école, j’ai découvert la danse contemporaine et l’afro-jazz.

Afrik : Vous été élu à trois reprises meilleur danseur au Festival Dance Umbrella de Johannesburg (en 1997, 98, 99) et reconnu Chorégraphe de l’année par le même festival en 1996, 98 et 99. Impressionnant palmarès !

Boyzie Cekwana : J’ai eu de la chance que mon travail soit reconnu mais ça ne veut pas dire que je suis meilleur que d’autres. Il y a beaucoup de chorégraphes et danseurs de talent en Afrique du Sud, dont Gregory Maqoma, par exemple, fait partie.

Afrik : Justement, l’Afrique du Sud est le seul pays africain où la danse contemporaine est aussi développée, riche et variée. Pourquoi ?

Boyzie Cekwana : Par un  » accident  » de l’Histoire, mon pays a été le dernier pays africain à avoir gagné sa liberté et son indépendance. Alors que les autres pays ont, pendant 30 ans, retrouvé leurs racines, leurs langues et leurs danses traditionnelles, l’Afrique du Sud prenait du retard. C’est ce qui peut expliquer cette prédominance du contemporain. Les  » accidents  » peuvent parfois avoir du bon…

Ja, nee, Boyzie Cekwana/The Floating Outfit Project

Jeudi 23 janvier à 20h30, vendredi 24 à 18h et samedi 25 à 19h30.

Centre National de la Danse.

9, rue Geoffroy-l’Asnier, 75004, Paris. Réservation 01 42 74 06 44

Autres dates :

Les 14 et 15 mars au théâtre des Tanneurs à Bruxelles dans le cadre d’Africalia.

Les 26 et 27 avril à Utrecht dans le cadre du Spring Dance Festival.

Les photos du spectacle :

Photo1.

Photo2.

Photo3.

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