Le drame des 400 enfants algériens amputés


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Vue de l'hôpital de Médéa © Habib Kaki
Vue de l'hôpital de Médéa © Habib Kaki

En moins de trois ans, près de 400 amputations ont été effectuées à l’hôpital de Médéa, à l’est d’Alger, à la suite de blessures causées par balles ou par explosions de bombes. Reportage par notre partenaire El Watan.

Les enfants sont les plus touchés par cette tragédie, devant laquelle aucune mesure n’a été prise. Dans les services de chirurgie infantile et d’orthopédie, l’ampleur du drame est évidente. Samedi soir, après la fusillade qui a visé un café à Benchicao, un enfant de 14 ans a dû être amputé de la jambe et d’un testicule. Il ne sait toujours pas qu’il devra désormais vivre avec une béquille. Si cet enfant peut reprendre goût à la vie, ce n’est pas le cas de Amine, âgé de 16 ans et hospitalisé au service orthopédie depuis le mois d’août dernier. Malgré son visage angélique, Amine dégage une tristesse très profonde. Il affirme avoir peur d’affronter le monde extérieur sans l’aide du personnel médical et de son frère qui lui rend visite quotidiennement. Pour lui, évoquer les circonstances de sa tragédie, c’est comme remuer un couteau dans une plaie encore ouverte.

Les larmes d’Amine

La date de cette journée fatidique est désormais gravée dans sa tête. C’était l’après-midi du jeudi 17 août 2000. Comme tous les enfants de son quartier, situé à Bouchrahil aux environs de Médéa, Amine était très heureux et jouait en cette période de vacances d’été. Il courait, jusqu’à ce qu’il soit stoppé net par l’explosion d’un engin, dissimulé par le GIA dans un champ. « J’ai senti mon corps voler en éclats, puis une douleur atroce et ensuite rien du tout jusqu’à ce que je me réveille à l’hôpital avec plein de pansements ». Les yeux de Amine se remplissent de larmes. « Je ne savais pas qu’il y avait une bombe. Nous avions l’habitude de jouer là-bas », lance-t-il comme s’il regrettait d’avoir franchi ce verger de la mort.

Amine sait qu’il a perdu une jambe et l’usage de ses deux bras. Il garde néanmoins l’espoir de récupérer une infime partie de sa main droite. « Je voudrais reprendre mes études. Mes camarades de classe passent cette année le BEF. Moi, j’ai raté l’année scolaire. Les journées me paraissent très longues ici à l’hôpital. Je veux reprendre à vivre, à jouer, à voir mes copains… Je veux vivre comme tous les enfants de mon âge ». Au moment où Amine nous parlait de sa détresse et de sa douleur, il apprend l’admission de l’enfant de Benchicao samedi soir. Il en est très triste. « Tous les jours les médecins reçoivent des malades et leur coupent les jambes. Il faut que ça s’arrête… ». Il faut que ça s’arrête, mais comment ?

Les lieux du désespoir

Ces deux cas ne sont que la partie visible de l’iceberg que représente l’ensemble des victimes que les deux services de chirurgie infantile et orthopédique reçoivent quotidiennement depuis ces trois dernières années. Au moins une centaine de citoyens, en particulier des enfants, ont été amputés dans cet hôpital depuis le début de l’année 2000. Le nombre de ces derniers ne cesse d’augmenter, alors que des régions entières restent encore truffées de bombes. Pour l’instant rien n’indique que les autorités se penchent sur ce grave problème qui menace la sécurité des villageois en général et des enfants en particulier. Non conscients du danger, ils s’aventurent très souvent dans les endroits piégés par les terroristes.

À cette dramatique situation s’ajoute l’absence de prise en charge des handicapés, sommés de chercher désespérément un fauteuil roulant. Amine, par exemple, n’a pas les moyens de s’offrir « ce luxe ». Ses parents ont neuf autres bouches à nourrir. À sa sortie de l’hôpital, il deviendra ce lourd fardeau que sa famille devra porter, parce qu’il sera cloué définitivement sur un matelas. C’est cela sa grande inquiétude, lui qui n’a que seize printemps. Une inquiétude ressentie par tous les handicapés de la région d’autant que le centre d’appareillage, qui devait démarrer avec la coopération des Italiens, n’arrive pas à voir le jour et ce, en dépit de la construction de la bâtisse par la partie algérienne.

Par Salima Tlemçani pour notre partenaire El Watan

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