Le collectif « Bezzzef ! » chahute l’ordre établi en Algérie


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Drapeau de l'Algérie
Drapeau de l'Algérie

Un mouvement de contestation humoristique sévit à Alger. Des agitateurs d’un nouveau genre dénoncent, sous l’appellation de « Bezzzef ! », et à travers des actions ponctuelles, les atteintes aux libertés en Algérie. Petit inventaire des opérations de « chahutage » menées par le groupe depuis sa création à la fin octobre 2009.

Jeter les frustrations citoyennes dans la rue, de manière humoristique et décalée si possible : c’est le leitmotiv de « Bezzzef ! » (mot de l’argot algérien signifiant « c’est trop », « y’en a marre », « ça suffit », « basta ! », « beaucoup »), collectif de contestataires né, tout un symbole, le 30 octobre 2009 à Alger – à la veille de l’anniversaire du déclenchement de l’insurrection anticoloniale, deux jours après celui de la disparition de l’écrivain frondeur Kateb Yacine. Lancé par un petit groupe d’auteurs (Chawki Amari, Mustapha Benfodil, Kamel Daoud et Adlène Meddi), le collectif s’est aujourd’hui élargi à plusieurs dizaines de sympathisants.

Leur dernière action remonte au lundi 8 mars, menée à l’occasion de la journée internationale de la femme. Une opération de « chahutage » à un salon de la femme au palais des expositions d’Alger. Armés de serpillères et de plumeaux, les importuns ont formé une procession et sillonné le pavillon, distribuant slogans, tracts et pancartes hostiles au code de la famille (Plusieurs articles du code de la famille sont très critiqués en Algérie, notamment ceux régissant le divorce. Le divorce intervient par la volonté de l’époux sans conditions, tandis que les démarches de l’épouse sont soumises à conditions, dénonce l’un des tracts du collectif), sous les youyous de femmes attendries et amusées. Jusqu’à ce qu’ils se fassent éjecter par les agents chargés de la sécurité. « C’était incroyable, commente Kahina, une «bezzzefiste» de 27 ans. Les 300 tracts que nous avions ramenés sont partis comme des petits pains. Nous aurions dû en apporter plus. Les agents de sécurité étaient très stressés. Khalida Toumi (la ministre de la Culture, ndlr) devait faire un tour au salon.»

« Khalida démission ! »

Une autre journée à marquer d’une pierre blanche pour les activistes de « Bezzzef ! », celle du 1er novembre 2009 au Salon international du livre d’Alger. « Nous avions envahi le stand du ministère de la Culture pour dénoncer la censure, aux cris de « Khalida démission ! » ; et donné une lecture de Kateb Yacine, le vrai, pas celui récupéré par le pouvoir », se souvient Kahina. Le collectif s’intéresse à la scène littéraire algérienne. A sa manière. En décembre dernier, le groupe a institué un prix littéraire, le prix Fawzi, du nom d’un haut gradé des services secrets (DRS), soupçonné d’être le grand manitou de la censure littéraire en Algérie. Le trophée, une paire de ciseaux en carton-pâte argentée, a été remis le 12 décembre dernier au livre interdit Poutakhine, de Mehdi El Djezaïri, à la place de la Liberté d’expression, rue Hassiba Benbouali à Alger.

Par choix « souverain », le collectif de contestation politique n’a aucune d’existence au plan légal. « S’il initie des actions politiques, le groupe « Bezzzef ! » n’est pas pour autant un parti politique. Il n’a ni idéologie, ni appareil, ni agrément, ni bureau politique, ni Secrétaire-Général, ni comité central, ni planton », explique la charte du collectif, consultable sur son groupe Facebook, fort de plus de 3500 membres. A propos de son fonctionnement, le collectif a adopté le principe d’«autonomie et de décentralisation des actions», indique Mustapha Benfodil, l’un des fondateurs du groupe. « Quiconque parmi les membres du groupe veut proposer ou monter une action, les membres fondateurs ne peuvent que l’approuver et l’entériner si celle-ci correspond à l’état d’esprit « Bezzzef ! », c’est-à-dire une action de rue qui privilégie l’humour pour dénoncer une atteinte aux libertés », explique-t-il. Les chahuteurs de « Bezzzef !» aiment les défis. Leur prochain happening investira le boulevard des Martyrs à Alger, l’un des plus surveillé du pays. Pour dénoncer, disent-ils, une «atteinte à l’intelligence nationale », la télévision publique algérienne.

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