Le clin d’oeil d’humanité de Fouad Laroui


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L’écrivain marocain Fouad Laroui a plusieurs langues : l’arabe, d’abord, le français, l’anglais, aujourd’hui le néerlandais, puisqu’il enseigne l’économie à Amsterdam, où il vient de publier un livre, directement écrit en cette langue. Et comme si ce n’était pas assez, ce parfait polyglotte ajoute encore un autre langage : celui du coeur.

Le premier recueil de nouvelles de Fouad Laroui,  » Le Maboul « , que viennent de publier les éditions Julliard, parle d’abord et avant tout du Maroc : une terre vécue, à travers ses villes, ses ports, ses figures. La vie y noue des entrechats avec la mort, la raison avec la folie. Les comportements des hommes y apparaissent d’abord mystérieux, gouvernés par une logique qui échappe à la logique : ainsi les crises de folie régulières de cet élégant d’El-Jadida qui tous les six mois redevient dément… Et dont il faudra des années, et le hasard d’une rencontre parisienne, pour que le narrateur connaisse le fin mot…

Qui est peut-être, justement, dans l’entre-deux : « Demande leur s’il y a des mots entre les mots. Des mots qui ne sont ni l’un ni l’autre. Alors tu pourras comprendre « .

C’est sur cette découverte que s’ouvre le recueil, et il en est comme imprégné. Les histoires qui suivent sont placées dans cet éclairage : où est le départ entre la réalité et la fiction, lorsqu’un mythomane en mal de passé peut s’approprier votre biographie, et vivre un avenir qui pourrait aussi bien être le vôtre, virtuellement proche et lointain à la fois, étrangement semblable à vous.

La vie, lors même qu’on croit la tenir, prend soudain un virage inattendu, et se dérobe en un instant : police secrète, existence suspendues, fauchées. La botte de menthe qu’il partait acheter au coin de la rue, ce n’est que six ans plus tard que le père l’a ramenée, mystérieusement relâché d’un improbable pli de l’espace temps qu’il n’évoquera jamais, et qui pourrait s’appeler prison, bagne, cachot. Formes contemporaines de l’arbitraire et de la fatalité, dont le Maroc célèbre longuement les noces.

Une autre nouvelle, mais il faudrait les citer toutes, revient sur l’absurdité d’un pays où l’ignorance le dispute à la peur pour conditionner les comportements : voulant satisfaire un hôte de passage qui lui a demandé d’emporter  » un peu de terre marocaine « , un jeune fonctionnaire est emporté dans une spirale absurde de catastrophes. On l’observe se démener et s’enfoncer de plus en plus dans le cauchemar, Charlot emporté dans l’engrenage d’un comportement suspect qu’il ne parvient pas à expliquer rationnellement à ses persécuteurs successifs.

Humanité déboussolée

Entre le comique de situation, l’absurde, et le délire kafkaïen, l’art de Fouad Laroui lui permet, justement, à lui l’écrivain, de prélever un peu de ce terreau marocain, et d’en dire plus sur cette terre, avec plus d’esprit, que bien des traités sociologiques ou politiques. Rien n’est laissé de côté, ni l’aveuglant égocentrisme de la haute bourgeoisie de Casablanca, ni le paradoxe d’un pays où la police semble partout, ni l’atmosphère des cafés où les heures se perdent… La force du style de l’auteur est tient à un usage carré et sans vergogne des mots, une oralité assumée et une rapide allégresse du verbe, que ce soit pour railler ou courir à la suite. Ainsi ses nouvelles s’enchaînent comme les histoires du conteur, sans laisser le temps de souffler.

Mais le réalisme lucide de la peinture est renforcé par une légère touche de fantastique, qui à la manière d’un Marcel Aimé tout-à-coup surgit au coin d’une page. Ce sont sans doute là les meilleures nouvelles du recueil : la désillusion voit son sel adouci par l’entrée en jeu de la fantaisie. Le sourire de Fouad Laroui réapparaît en filigrane, et ce n’est pas de l’ironie, mais de l’affection : cette humanité déboussolée mais tellement juste, il l’aime !

Commander le livre : Edition Julliard, févr 2001

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