Le calvaire des trésors culturels africains


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Pillage, muséification, restitution, la gestion du patrimoine culturel africain interpelle… et indigne. L’Egypte, instigatrice d’un mouvement de protestation international, n’a, depuis plusieurs mois, qu’un seul mot d’ordre : rapatrier ses « trésors », exposés aux quatre coins de l’Occident. Un leitmotiv préoccupant qui a entrainé de nombreux pays dans son sillage. Syrie, Nigeria, Pérou et bien d’autres sont entrés dans la danse, soulevant une question cruciale : ces pays sont-ils en mesure de conserver de tels objets sans les détériorer ? Un point controversé qui inquiète les décideurs politiques et les professionnels du patrimoine culturel africain.

De la statue de Ramsès II au buste de Néfertiti, en passant par la pierre de Rosette, les négociations vont bon train en Egypte. Une conférence internationale sur la restitution des antiquités « volées » et disséminées à travers le monde a permis, jeudi 8 avril au Caire, de commencer à élaborer une liste d’œuvres à rapatrier en priorité vers leur pays d’origine. Sur vingt-trois pays présents[[L’Autriche, le Chili, la Colombie, la Chine, Chypre, l’Equateur, l’Egypte, la Grèce, le Guatemala, le Honduras, l’Inde, l’Italie, la Libye, le Mexique, le Nigeria, le Pérou, la Pologne, la Russie, la Corée du Sud, l’Espagne, le Sri Lanka, la Syrie, les Etats-Unis]], seulement sept[[Egypte, Guatemala, Nigeria, Syrie, Grèce, Pérou, Libye]] ont constitué des listes d’objets qu’ils souhaitaient voir revenir. Des rapatriements qui inquiètent les conservateurs occidentaux. Ces pays ont-ils les infrastructures nécessaires pour conserver ces objets sans les détériorer ? « La faute n’est pas toujours au niveau des conservateurs, il faut le savoir ! Ils font ce qu’ils peuvent avec les moyens qu’on leur donne, le tout dans un contexte particulier, fait de pauvreté et de corruption », explique Abdoulaye Camara, conservateur du musée d’art africain de Dakar. Cette question en soulève une autre, d’ordre éthique cette fois : à qui appartiennent réellement ces objets, acquis par les Occidentaux de manière plus ou moins interlope ?

Une vieille histoire

Vieux de plusieurs siècles, le phénomène de pillage du patrimoine africain, débute dès les années 1450 lorsque les colons portugais découvrent avec émerveillement l’artisanat africain. Ils s’adonnent alors à un commerce fructueux permettant à ces objets d’intégrer les cours princières occidentales et les cabinets de curiosités de riches commerçants, comme témoignages scientifiques de l’existence de « sauvages » dans les contrées lointaines de l’Afrique. Les objets les plus fréquemment observés à cette époque sont des ivoires afro-portugais comme des salières, des cuillers, des cors de chasse commandés par les voyageurs des 15ème et 16ème siècles aux sculpteurs de la Sierra Léone, du Bénin et de l’ancien royaume du Congo. Les missionnaires, nombreux à investir et à évangéliser ces pays, contribuent également à la collecte et au déplacement de ces objets.

Mais c’est peut être au 20ème siècle que le pillage est le plus important. En effet, musées africains et sites archéologiques sont constamment volés. Les musées nationaux de Kinshasa, en RDC, ont, par exemple, vu leurs collections réduire de 50% à cause des pillages fréquents dus à une mauvaise surveillance ou tout simplement à la corruption des conservateurs qui, se disant mal payés, n’hésitent pas à dérober des pièces pour les vendre et les remplacer par des copies. Quant au musée national de Bangui, en Centrafrique, il ne possède dans sa collection que deux masques ! « Mais en Afrique, les objets ne sont pas répertoriés, pas photographiés, donc on ne sait jamais lesquels ont disparu illégalement. Les Africains doivent faire un gros travail : protéger nos objets pour éviter qu’ils ne franchissent les frontières passoires du continent, et sécuriser nos musées. Mais tout cela demande des moyens que nous n’avons pas », développe Abdoulaye Camara.

Muséification et restitution, au cœur d’un débat éthique

Ces défaillances du système muséal africain soulèvent la question de la muséification de ce patrimoine culturel. Certains objets, que les Occidentaux considèrent comme de véritables œuvres d’art n’ont, pour les Africains, pas leur place sous une vitrine : ustensiles de cuisine, objets de culte, etc. La notion de patrimoine ne laisse pas le continent africain indifférent, contrairement à ce que peuvent croire certains conservateurs occidentaux, mais les musées locaux souffrent de l’appropriation des biens culturels de leurs pays par les puissances coloniales. La visite de salles ethnographiques des musées allemands, britanniques et français permet d’en comprendre l’ampleur. Une appropriation parfois issue du marché interlope de l’art primitif. C’est par exemple le cas de trois statuettes Nok, en provenance du Nigeria, actuellement conservées au musée du quai Branly, dit aussi musée des « arts premiers ». Elles seraient issues d’un pillage au Nigeria et auraient été achetées près de 20 millions de francs à un marchand belge à la réputation douteuse. « Achetons tout en masse et accumulons dans nos musées pour sauver de la destruction les produits de la civilisation des sauvages » disait au XIXe, Adolph Bastian, un anthropologue allemand. Une affirmation qui n’est pas si obsolète si l’on considère qu’elle s’applique toujours deux siècles plus tard.

En effet, comment expliquer que tant de demandes de restitution soient refusées par les conservateurs européens ? Est-ce par crainte que les musées africains soient dans l’incapacité de conserver leurs objets sans les détériorer ? Dans tous les cas, il est certain que cette absence d’objets dans les musées africains constitue un préjudice pour le continent car des pans entiers de son histoire se trouvent à l’extérieur de ses frontières. Un patrimoine décontextualisé et des communautés privées d’une part de leur identité, voici le contexte dans lequel bon nombre de pays africains ont fêté cette année leur 50 ans d’indépendance.

Liste non-exhaustive d’objets restitués à l’Afrique :

 Tanzanie : Masque Makonde, conservé au musée Barbier-Mueller à Genève depuis 1985, restitué à la Tanzanie le 10 mai 2010.

 Afrique du Sud : Dépouille de Saartjie Baartman (Vénus Hottente), arrachée à son pays, l’Afrique du Sud en 1810, restituée par le musée de l’Homme de Paris en 1994.

 Angola : Statue angolaise « Lwena » appartenant aux collections du musée de Luanda. Saisie par la police française dans une vente publique à Saint-Germain-en-Laye, en France, le 24 mars 1996. Restitué à l’Angola le 28 octobre 1997.

 Côte d’Ivoire : Statuette « Bété » volée au Musée national d’Abidjan dans les années 1970 lors d’une exposition itinérante en Europe. Restituée, le mercredi 6 décembre 1995 à l’ambassade de Côte d’Ivoire de Paris.

 Madagascar : Statuette malgache dite « Sakalava », saisie au Salon de Mars à Paris en mars 1995. Restituée le 3 mai 1995 à l’Ambassade de Madagascar à Paris.

 Maroc : Deux éléments d’architecture (une double porte et un panneau en bois) provenant du Maroc proposés à la vente par Sotheby’s à Londres le 17 octobre 1996. Les autorités marocaines ont demandé le retour de ces pièces en s’appuyant sur leur législation nationale interdisant l’exportation des objets d’antiquités mobiliers.

 Mali : Bélier offert à Jacques Chirac en 1991, pillé sur le site de Thial au Mali, restitué par la France en janvier 1998.

 Nigéria : Trois têtes en terre cuite volées en novembre 1994 à la National Museum Gallery, Ile Ife au Nigéria. Saisies par la police française (OCBC) et restituées au Nigéria le 31 mai 1996.

 Zambie : Masque Nalindele volé au Musée national de Livingstone en Zambie. Confié à la police belge par son détenteur en juin 1996. Restitué à la Zambie le 28 novembre 1997.

 Libye : Vénus de Cyrène, statue de marbre blanc datant du IIe siècle après J.C, conservée en Italie. Restituée à la Libye en avril 2007.

 Egypte : Plus de 31 000 pièces de toutes sortes, conservées dans divers pays du monde, récupérées depuis 2002.

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