Le 8e épisode de « The story of Naomie Makosso » – Ch 247


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C.H.U d’Angers. J’habite dans la chambre 247 et je monte sous morphine et sur Mac Portable des images d’une improbable chorégraphie de filles venues apprendre la coiffure chez « Fatou la Malienne ». J’avais croisé ces pas de danse en me rendant avec Naomie au Studio Z.G, dans le quartier Mpita, au dernier jour de Sunga Ngai. Les filles dansent sur mon computer, je reste attaché à la tuyauterie : sondes, perfusions, que sais-je ?… Cela ne fait que trois jours que suis ici et je sens que je vais trouver le temps long…

(De notre correspondant)

Avant cela ? En juillet je cultive la fatigue, parfois des moments de fièvre venus d’une autre planète. Gaspard mon toubib m’a ausculté en long, large et travers. Paludisme ? Les résultats du laboratoire d’analyses affirment que non. Hépatite A ? Ouais, pourquoi pas. Pas trop de nouvelles de ma santé mais des nouvelles du Congo : Pascal, mon frère de Tchimbamba, aimerait voir quelques bateaux en Floride et Louisiane, que je l’accompagne pour lui servir d’interprète. Comment dit-on « Putain de crève » en Ricain ? Cool, des nouvelles de ma santé : J’ai vachement mal en haut de la jambe depuis quelques jours.

Heureusement, je suis en France. C’est ce que je dis en moi même lorsque je pars sur le chariot, pieds devant, au bloc opératoire après m’être fait engueuler pour avoir mangé un sandwich juste avant d’entrer dans le service des urgences ! « Vous auriez pas avalé quelque chose d’étrange ces derniers temps ? » m’a demandé le chirurgien, une femme Russe dont j’ai oublié le nom mais qui ressemble à un truc comme Kalashnikov : « Euh… du hérisson, du porc-épic, du boa… » ! Le type au scanner a repéré un truc vraiment louche. Heureusement, je suis en France. Mon dernier hôpital ? C’était celui de Mossaka, au nord du Congo mais c’était pour filmer : « Et vous avez un anesthésiste ? ». Ma caméra est en mode record. « On se débrouille » réponds le directeur de l’hôpital. Tu vois ? La même réponse que les câbles de frein de vélo qui remplacent les cordes de guitare. Parfois, ils opèrent à la lumière d’une lampe-tempête. Donc…

Donc je suis heureux, je suis en France, j’ai vingt quatre jolies agrafes plantées dans le ventre et un cure-dent presque neuf sur la table de la chambre 247. Ca ne fait pas trop Indiana Jones le cure-dent et tu te demandes comment j’ai fait pour avaler un machin comme ça. C’est à cause du pili-pili, dans la maison de mes frères, à Tchimbamba. Pascal m’explique : « Dans la gamelle, tu transperces le piment avec un cure-dent comme ça tu ne le manges pas et ça t’explose pas la tête ». Pas bête ! Je n’ai pas eu la tête explosée. A l’hôpital, ils sont encore plus forts que Pascal : Ils ont réussi à mettre la même odeur dans les draps, les murs, le linge de toilette, les blouses des infirmières, le couloir, les chiottes, les médicaments et même dans la bouffe !

A part manquer de mourir pour un rien, je monte des images dans mon lit. Il faut quoi ? Un beau soleil derrière la fenêtre et une dizaine de jours peut-être pour que me prenne l’envie de m’évader. Anne B. dans la chambre. Moi : « Ta voiture est sur le parking ? » Je range à peu près quelques tuyaux dans ma poche et nous partons en Polo Volkswagen au Quai de la Savatte, près du port. Anne B. est souvent là : Pour donner des robes à Naomie, m’offrir un sandwich aux urgences, m’aider à m’évader de la chambre 247. « Deux cafés s’il vous plait ». Et ça l’odeur du café ! J’ai toujours mal à la jambe – un nerf a été touché m’a prévenu le chirurgien – mais j’arrive vachement bien à raser discrètement les murs de l’hôpital au retour. Je remets la tuyauterie. Chut… Fais comme s’il ne s’était rien passé. Comme si je ne t’avais rien dit.

C’est le mois d’août et l’infirmière à domicile pose son doigt sur ma sonnette. Pas vraiment une Pin-Up. Marie Thérèse. La soixantaine, petit bout de femme au style très ancien. Ex-soeur servante des pauvres. Jamais eu de mari, ni d’enfant. Rien de sexy. Mais un regard qui pétille comme celui d’une enfant. Et plus gentille qu’elle je meurs ! Elle connait Pointe Noire, un de ses rares voyages, pour y avoir distribué une centaine de kilos de médicaments ! Alors on parle de Pointe Noire, je parle de Naomie, de Tchimbamba PN 242. Je l’invite plus tard à l’heure du thé mais on boit du café, elle apporte des gâteaux. C’est septembre ou octobre, on regarde ses albums photos, Pointe Noire de la fin des années 90. Elle glisse (des mots) : « J’aimerais aider cette petite fille de Tchimbamba ». Un autre jour d’une autre saison, dans ma cuisine à l’heure du café, elle glisse (une enveloppe) : « Voilà, deux cents euros, pour Naomie, c’est pas grand chose mais… ». Le Kif de Marie Thérèse c’est aimer les autres. Jouer aussi de l’harmonium dans les églises. Le mien est regarder ses yeux qui pétillent !

J’ai oublié d’écrire : J’ai arrêté les cigarettes. A peine eu le temps de l’écrire, vingt jours après c’est un brouillard de fumée autour du computer. C’est toujours comme ça : Café & cigarettes pour monter les images. Celles du documentaire sur Alain Mabanckou « L’eau chaude n’oublie jamais… », celles de « Tchimbamba PN 242 », d’autres films encore…

Cela doit être en novembre. Novembre 2012 : Fleurit l’idée d’une page Tchimbamba PN 242 sur Facebook – Quoi ? t’as pas encore « liké » la page ? – et puis celle de la Story Of. « Allo ? »… Elle, c’est Naz Öke. Ca sonne comme un nom d’artiste : Et c’est une artiste ! D’ailleurs elle est née un 21 juin. A Istanbul. Etudes d’architecture en Turquie, Histoire des Beaux Arts en France. « Allo, ah c’est toi ? Tchimbamba ? ». Quand tu raccroches, t’as déjà les visuels que tu cherches dans ta box mail ! Son coup de crayon est pareil à son clic de souris. Bref, c’est toujours Naz qui fait mes visuels… J’allume une cigarette, avale un café et j’écris les premières lignes de la Story Of : « En novembre comme en décembre de cette année là, j’avais du la croiser quelques dizaines de fois sans arrêter mes tongs, sans un mot échangé, il y a tant et tant d’enfants dans cette ruelle qui remonte jusqu’au goudron ». Dans un coin de ma tête, je note aussi d’en parler demain à quelques médias…

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