Lait marocain, colère espagnole : quand la crise agricole pousse Madrid vers le Sud


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lait en poudre
lait en poudre

Pris entre l’effondrement de sa production laitière et la nécessité d’assurer l’approvisionnement du marché, l’Espagne se trouve à la croisée des chemins. La perspective de recourir au lait marocain, perçue par certains comme une solution pragmatique, cristallise au contraire les tensions dans le monde agricole. Derrière ce débat émergent d’importantes questions.

L’Espagne traverse une crise silencieuse mais profonde dans l’un de ses secteurs agricoles les plus emblématiques : la production laitière. Depuis plusieurs années, les exploitations ferment les unes après les autres, incapables de faire face à la flambée des coûts de production, à la pression des grandes surfaces et à une rentabilité devenue insuffisante. Cette situation a atteint un point critique, au point que la production nationale ne parvient plus à couvrir les besoins du marché intérieur.

La Galice, longtemps considérée comme le cœur battant du lait espagnol, illustre parfaitement ce déclin. Dans cette région rurale, le nombre de fermes laitières a été réduit de moitié en quelques années. Les exploitations familiales, qui constituaient l’ossature du modèle agricole local, disparaissent progressivement, laissant derrière elles un tissu économique fragilisé et des territoires ruraux désertés.

Un déficit de production qui inquiète les autorités

Face à cette baisse structurelle de la production, les autorités espagnoles se retrouvent confrontées à un dilemme stratégique. Comment garantir un approvisionnement stable en lait alors que les capacités nationales s’érodent ? Pour certains décideurs et acteurs économiques, la réponse passe par une ouverture accrue aux importations. Dans ce contexte, le Maroc apparaît comme une option crédible.

Proche géographiquement, disposant d’un secteur laitier en développement et de coûts de production plus faibles, le royaume chérifien pourrait, selon cette vision, contribuer à combler le déficit espagnol. Une perspective qui, sur le papier, semble pragmatique et économiquement rationnelle. Mais cette hypothèse provoque une vive réaction dans les rangs des producteurs espagnols. Pour eux, l’importation de lait marocain symbolise avant tout l’échec des politiques publiques à protéger l’agriculture nationale.

Les agriculteurs espagnols montent au créneau

Les syndicats agricoles dénoncent un abandon pur et simple du monde rural au profit de solutions de court terme. Selon ces professionnels, l’État ferait mieux d’investir dans le soutien aux exploitations existantes, d’améliorer les prix payés aux producteurs et de lutter contre les pratiques jugées abusives de la grande distribution. Importer du lait, estiment-ils, revient à masquer le problème plutôt qu’à le résoudre. L’argument le plus sensible avancé par les éleveurs concerne la question des normes.

En Espagne, comme dans le reste de l’Union européenne, les producteurs doivent se conformer à des règles strictes en matière de sécurité sanitaire, de protection de l’environnement et de conditions de travail. Ces exigences, bien qu’indispensables, entraînent des coûts élevés. À l’inverse, les agriculteurs espagnols estiment que les normes appliquées au Maroc ne sont pas équivalentes. Ils dénoncent une concurrence qu’ils jugent déloyale, craignant que des produits importés à moindre coût ne déstabilisent encore davantage un marché déjà fragile.

Le choc des normes au cœur de la polémique

Cette différence de standards alimente un sentiment d’injustice et renforce la colère du secteur. Au-delà des considérations économiques, le débat prend une dimension stratégique. Dépendre de fournisseurs extérieurs pour un produit aussi essentiel que le lait soulève des inquiétudes quant à la souveraineté alimentaire du pays. Les producteurs redoutent qu’une fois les exploitations locales disparues, l’Espagne ne se retrouve durablement dépendante de l’étranger.

Cette crainte est partagée par une partie de l’opinion publique, qui voit dans cette situation le symbole d’un modèle agricole européen en perte de vitesse. Entre exigences réglementaires, pression des prix et ouverture des marchés, l’équilibre semble de plus en plus difficile à maintenir.

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Je suis passionné de l’actualité autour des pays d’Afrique du Nord ainsi que leurs relations avec des États de l’Union Européenne.
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