La vie sur pilotis


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Plus de 250 000 Béninois vivent sur le lac de Ganvié dans un village lagunaire datant du 18ème siècle. Une ethnie de pêcheurs, où toute la vie est organisée, entre pirogues et terres artificielles, autour de parcelles de pêche façonnées par l’homme. Reportage.

Il faut 45 minutes de pirogue à la rame pour rejoindre le village sur pilotis du lac de Ganvié (à 15 km au Nord de Cotonou). Ce que les touristes peuvent considérer comme une simple balade bucolique et pittoresque au fil de l’eau est le quotidien des quelque 250 000 âmes qui vivent, là-bas, loin de la terre ferme. Un mode de vie séculaire, choisi et développé par une ethnie béninoise de pêcheurs, les Ahizo, depuis près de 250 ans.

Nous sommes au ras des flots. Le seuil de flottaison nous apparaît dangereusement bas et chaque oscillation de la pirogue ajoute à notre crispation. Nous ne sommes pas dans notre élément. Certains commencent à se demander que diable allaient-ils faire dans cette galère. L’embarcation de bois semble étroite, frêle, rustique. Sensation de fragilité et de petitesse au regard des 150 kilomètres carrés du lac. De l’eau à perte de vue. Emmenés à la rame par deux piroguiers, nous naviguons doucement entre les larges bandes de gazon sauvage,  » dangereuses », nous dit-on, « à cause des serpents d’eau « .

Parcelles de pêche clôturées

Des branches et la cime d’arbres morts affleurent des eaux. Délimités par les clôtures en roseau, Honoré notre jeune rameur de 15 ans, nous explique qu’il s’agit des  » akadja « . Des parcelles de pêche construite par les hommes.  » On plante des branches dans l’eau. Leur décomposition attire les poissons qui viennent se nourrir et se reproduire dans la parcelle « . Un ingénieux système d’élevage naturel où les pêcheurs n’ont plus qu’à poser des filets de fond et des nasses pour attraper poissons et crustacés.

Nous ne sommes pas seuls. La route que nous empruntons est extrêmement fréquentée. Les larges pirogues 20 places à moteur filent à vive allure tandis que de plus petites nous croisent. A l’intérieur, un ou deux rameurs manient doucement leur pagaie ronde et nous saluent au passage. Nous avons le vent favorable. Nos guides décident de sortir la voile. Les bouts de bois que nous voyions de part et d’autre de notre embarcation étaient donc les éléments du mat. A l’avant, Honoré dresse la voile sous la direction de son aîné. Le patchwork de vieux tissus se gonfle : ils peuvent se reposer.

Terres artificielles

Le village est en vue. Un mètre au-dessus de l’eau, les premières habitations se dressent et nous ouvrent les portes d’un monde à la fois étrange et fascinant. Une kyrielle d’enfants, dont le plus âgé n’a pas huit ans, nous regardent amusés. Certains nous ignorent et jouent. Peur de l’eau ? Certainement pas, puisqu’ils ont tous appris à nager avant leur quatrième année.  » Quand les enfants ont 3 ans, pour leur apprendre à nager, on leur attache une corde à un poignet et on les jette à l’eau. Au fur et à mesure ils s’aguerrissent et, à 5 ans, tout le monde sait nager et ramer « , nous rassure Honoré. On comprend mieux alors les pirogues que nous avions pu voir tout à l’heure mues par des enfants rameurs de moins de 10 ans, qui faisaient la traversée jusqu’à la terre, seuls avec leurs frères et soeurs .

Construit en 1717, le village a ses habitudes. Chaque famille dispose d’au moins cinq pirogues, les ohous, toutes importées du Nigeria, seul pays voisin à avoir des arbres en bois d’iroko assez grands pour construire les embarcations. Les plus petites reviendront à 300 000 F CFA, les plus grandes à 500 000 F CFA.

Deux chèvres, broutant sur un improbable bout de terre ferme, attirent notre attention.  » Il s’agit de terres artificielles, construites à base de racines de gazon sauvage, de coquillages et de sable « , nous explique Honoré. Il faut d’abord combler les deux mètres de profondeur du lac, attendre que la greffe se solidifie avant de préparer le sol pour la culture ou l’élevage. Des jardins plutôt que des exploitations, puisque la plus importante terre que nous ayons vue ne faisait pas plus de vingt-cinq mètres carrés (5 mètres sur 5).

A la force du poignet

La nuit tombe. Nous sommes partis un peu tard et, à peine arrivés, nous devons déjà repartir. L’intérieur du village, son hôtel et ses deux châteaux d’eau potable garderont leur mystère. Nous ne pouvons sortir la voile : le retour s’effectuera à la rame. Malgré ses 15 ans, Honoré ne bronche pas dans l’effort et sifflotera même pendant l’heure de la traversée. Tout est presque noir. Mais ils se repèrent aux lointaines lumières de la berge. Nous ne distinguons plus depuis longtemps les personnes que nous croisons. Tout juste sont-elles réduites à l’état de silhouettes et d’ombres.

Retour sur le plancher des vaches. Les jambes ravagées par les piqûres de moustiques, nous retrouvons la vie terrestre avec le sentiment étrange d’être sortis d’un rêve. Le temps a suspendu son vol, l’espace d’un instant pour cette belle parenthèse. La mémoire charmée par les images d’une autre vie, nous quittons Ganvié pour rentrer sur Cotonou. A l’heure qu’il est, nous aurons certainement droit aux embouteillages.

Photos

Une pirogue.

Akadja ou la parcelle de pêche clôturée.

La piropgue à moteur.

Enfant rameur.

Le village à la nuit tombée.

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