La route des esclaves à la rame


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Drapeau des Etats-Unis
Drapeau des Etats-Unis

L’Africain-Américain Victor Mooney reliera à la rame en février 2005 l’Ile de Gorée à New York. Un périple de 12 800 kilomètres destiné à retracer le chemin que suivaient les esclaves avant d’arriver aux Amériques. Un geste symbolique dont l’objectif principal est d’éprouver la souffrance de ses ancêtres. Interview.

Traverser l’Atlantique à la rame. C’est le pari que veut relever Victor Mooney pour rendre hommage à ses ancêtres esclaves. Le 1er février 2005, l’Africain-Américain de 39 ans partira de l’Ile de Gorée (Sénégal) pour rejoindre New York City (Etats-Unis). Quelque 12 800 kilomètres pour éprouver la souffrance du peuple noir, mais aussi poursuivre son travail de prévention contre le sida. Quatre jours après son premier voyage à Gorée, où il a vu la Porte de non retour, Victor Mooney revient sur l’importance que revêt pour lui ce projet unique en son genre et sur l’engouement qu’il suscite à travers le monde.

Afrik : Pourquoi avoir choisi des relier l’Ile de Gorée à New York ?

Victor Mooney :
Souvent, les traversées de l’Atlantique partent des Iles Canaries pour s’achever à la Barbade. Mais je ne voyais aucun point commun entre mon histoire d’Africain-Américain et le départ et l’arrivée de ce parcours. Alors j’ai décidé de suivre le chemin qu’ils avaient pris lorsqu’ils ont été arrachés d’Afrique pour être emmenés dans le Nouveau Monde.

Afrik : Comment va se dérouler votre traversée ?

Victor Mooney :
Je partirai de l’Ile de Gorée le 1er février 2005, premier jour du Mois de l’histoire noire (événement célébré tous les ans aux Etats-Unis), pour arriver en principe deux ou trois mois plus tard au Brésil. Ensuite je me dirigerai vers les Caraïbes et enfin New York. Pour être dans les temps, je compte ramer entre 15 et 18 heures par jour. Je rame depuis plusieurs années, c’est une cadence que je tiens bien. Je serai très bien équipé. Mon bateau sera à redressement automatique, c’est-à-dire qu’il reviendra en position initiale s’il venait à chavirer. J’aurai aussi un téléphone satellitaire et la possibilité de dialoguer de façon interactive par e-mail avec mes supporters. Je ne serai donc pas seul. D’ailleurs, en cas d’urgence, il y aura un bateau prêt à intervenir.

Afrik : Vous êtes parti en repérage pour la première fois à Gorée la semaine dernière. Qu’avez-vous ressenti ?

Victor Mooney :
Lorsque je suis arrivé à Gorée, j’étais vraiment très ému et très heureux de voir la Porte du non retour. Je voulais me mettre dans la peau de mes ancêtres, alors je me suis entraîné à ramer avec des chaînes comme celles que portaient les esclaves. Je me sentais à la fois plein d’humilité et encore plus déterminer à mener à bien mon projet.

Afrik : Que représente pour vous la période de l’esclavage ?

Victor Mooney :
En tant qu’Africain-Américain, j’estime que c’est une partie de mon histoire. L’esclavage est une période que nous ne devons sous aucun prétexte oublier. C’est un héritage que nous devons partager avec et transmettre aux générations suivantes. C’est l’un des liens qui unissent les Africains à ceux de la diaspora. Quelque part, cette tranche d’histoire nous rapproche.

Afrik : Sur votre site Goree challenge, vous apparaissez enchaîné sur votre rameur. Comptez-vous traverser l’Atlantique de la même façon ?

Victor Mooney :
Non. Ce serait trop dangereux d’être enchaîné. Alors j’ai décidé que j’entrerai par la Porte du non retour avec des chaînes au cou, aux poignets et aux pieds. Quand je serai de l’autre côté, des Sénégalais viendront défaire mes liens. C’est seulement à ce moment-là que je prendrai la mer.

Afrik : Votre voyage est aussi associé à la lutte contre le sida. Pourquoi ?

Victor Mooney :
J’ai perdu beaucoup de proches à cause du sida. Je suis sûr qu’il est possible de se prémunir contre cette maladie à 100%, c’est pourquoi je me bats depuis quatre ans pour la faire reculer. J’ai commencé par une campagne à la rame autour de Long Island. Il y avait des actions de ce genre pour combattre le cancer du sein, mais pas pour lutter contre le VIH/sida. J’étais le premier. Je poursuis encore mon combat contre ce mal qui touche et tue des millions de personnes. C’est pourquoi je souhaite que mon voyage ait cette dimension humanitaire.

Afrik : Comment votre voyage sera financé ?

Victor Mooney :
Sur mon bateau, qui mesurera environ 7,30 mètres, il y a assez de place pour écrire 20 000 noms. Chaque personne qui veut être inscrite doit en principe payer 10 dollars. Mais beaucoup ne peuvent pas se permettre de donner cette somme. Ce qui est par exemple le cas des Sénégalais que j’ai rencontrés. Nous acceptons d’écrire leur nom (entre 250 et 300), même s’ils ne s’acquittent pas de la donation suggérée. Jusqu’à présent, nous avons 1 000 noms à inscrire sur le bateau. La collecte a débuté en novembre et nous avons pu réunir 3 000 dollars, sur les quelque 200 000 qui seront nécessaires pour couvrir tous les frais. Nous attendons le soutien d’entreprises et de sponsors. L’argent supplémentaire reçu sera reversé à diverses organisations de lutte contre le sida opérant dans le monde.

Afrik : Les sociétés qui apparaissent sur votre site vous donnent-elles de l’argent ?

Victor Mooney :
Les produits qui apparaissent sont ceux que j’utilise pour garder la forme ou éliminer les toxines. C’est une sorte de partenariat. Ils m’aident à atteindre mon meilleur niveau. Ce ne sont pas des dons en argent, mais en nature.

Afrik : Comment votre projet est-il reçu en Amérique et en Afrique ?

Victor Mooney :
Je reçois des messages du monde entier. D’ailleurs je vais essayer d’avoir un système de traduction pour les e-mails que je reçois en français. Les Sénégalais m’ont très chaleureusement accueillie. Ils m’ont souhaité la bienvenue et un bon retour chez moi. Les principaux médias américains de presse écrite ont largement diffusé l’information. c’est vraiment miraculeux et phénoménal. Je ne sais pas si la presse sénégalaise a parlé de mon projet, mais un journaliste de l’Agence France Presse m’a interviewé quand je suis arrivé à Gorée. J’ai bon espoir que la nouvelle se diffuse et soit soutenue.

Afrik : Que souhaitez-vous retirer de cette expérience ?

Victor Mooney :
J’espère pouvoir raconter cette expérience à mes enfants et à mes petits-enfants et arrière-petits-enfants.

Visiter le site :

 Goree challenge

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