La Route d’Elissa : une course pour la paix


Lecture 6 min.
najib_ok.jpg

Jamais de son histoire, La Route d’Elissa, cette course féminine à la voile qui rallie le Liban et la Tunisie, ne trouvera autant sa raison d’être que pendant cette édition 2006, la deuxième de son existence. Les évènements politiques au Liban rendent encore plus significatif le message de paix qu’une vingtaine de navigatrices, qui partiront le 13 août de Carthage (Tunisie), porteront vers cinq villes de la Méditerranée. A savoir Athènes (Grèce), Marseille (France), Monaco, Naples (Italie) et Valence (Espagne). Elles renoncent ainsi au pari sportif pour perpétrer la légende d’Elissa, la fondatrice de la ville de Carthage.

najib_ok.jpgProducteur et réalisateur de documentaires et d’émissions pour la télévision, Najib Gouiaa, a été pendant longtemps reporter de guerre. Son métier de journaliste l’a ainsi conduit au cœur des conflits en Bosnie, au Rwanda et dans l’ex-Zaïre. L’homme de média est aujourd’hui à la tête de la société de production Time TV dont l’un des derniers projets est la réalisation d’une série de documentaires sur le thème « L’Afrique par la mer ». C’est en 2004 que le Tunisien lance La Route d’Elissa, une course nautique exclusivement réservée aux navigatrices, qui se déroule en Méditerranée orientale entre le Liban et la Tunisie. A l’image de la princesse libanaise dont elle porte le nom, plus connue sous le nom de Didon, qui fonda la ville de Carthage, la course nautique prône et promeut des valeurs de paix. Une initiative que soutient les Nations Unies, partenaire de l’évènement sportif.

Afrik.com : Comment vous est venue l’idée de mettre sur pied, La Route d’Elissa, une course nautique féminine en Méditerranée dont l’objectif est de promouvoir la paix ?

Najib Gouiaa :
J’ai couvert, pendant environ huit ans, des guerres en tant que reporter, que ce soit en Europe de l’Est ou en Afrique centrale. Aussi ai-je voulu fixer un rendez-vous, en dehors des canaux classiques, qui interpelle et qui renvoie à ce que les gens ont de plus humain. En d’autres termes, transposer une légende dans un évènement sportif, avec tout ce qu’il véhicule comme valeurs. La voile est un symbole de courage, de liberté et d’ouverture aux hommes. La mer est synonyme de tout cela et, en plus, d’adhésion à l’autre. Ce qu’exprime également la princesse Elissa, la fondatrice de la ville de Carthage, dont la légende inspire cette course. Elle a refusé de faire la guerre avec son frère au Liban, préférant l’exil. Et elle s’est installée pacifiquement parmi les habitants de l’Afrique du Nord de l’époque.

Afrik.com : Pourquoi une course nautique exclusivement réservée aux femmes ?

Najib Gouiaa :
C’est en adéquation avec la légende d’Elissa et les pays qui accueillent cette course nautique. Le Liban et la Tunisie sont tous deux, par tradition, très féministes. C’est aussi une manière de prendre à contrepied l’idée préconçue qu’on a de la place de la femme. Pour une fois, ce sera les femmes en mer et les hommes sur les quais (rires).

Afrik.com : La situation politique du Liban vous a obligé à repenser l’organisation de cette course qui devait relier Carthage aux villes portuaires libanaises de Beyrouth, Tyr, Sidon, Byblos et Tripoli…

Najib Gouiaa :
Dès que les évènements se sont déclenchés, la première réaction d’une équipe d’organisation d’une course au large aurait été d’ajourner l’évènement ou de changer de destination. Ma réaction à moi, déplorant évidemment le fait que nous ne pourrions atteindre les côtes libanaises, a été de dire qu’il fallait répondre par la vocation de cette course et, face à ce drame, interpeller les opinions dans la Méditerranée. Les navigatrices ont accepté de renoncer, pour cette fois-ci, à la compétition pour devenir, à travers leur effort sportif, des messagères de la paix.

Afrik.com : Aucune des compétitrices ne s’est donc désistée du fait de l’absence de défi sportif ?

Najib Gouiaa :
Non, bien au contraire. D’autres candidates auraient aimé participer à cette course, mais nous n’avons pas pu disposer de plus de voiliers. Nous ne pouvions pour des raisons logistiques augmenter le nombre de destinations et de bateaux.

Afrik.com : Comment va se dérouler la course ?

Najib Gouiaa :
Le départ se fera, comme prévu le 13 août, Journée de la Femme en Tunisie dont on célèbre le cinquantenaire, de Carthage. Mais contrairement aux destinations initiales, les bateaux iront vers Athènes en Grèce, Marseille en France, Monaco, Naples en Italie et Valence en Espagne. Pour Valence, se sera un équipage de Françaises, Marseille des Portugaises, Naples des Tunisiennes, Athènes des Anglaises et Monaco des Libanaises. Sur chaque bateau, il y a quatre navigatrices.

Afrik.com : Sur quel type de voiliers, les navigatrices vont-elles rejoindre leurs différentes destinations ?

Najib Gouiaa :
Pour répondre à cette nouvelle formule, les voiliers de courses utilisés seront des Jod.

Afrik.com : La distance à parcourir était de 1 400 miles. A-t-elle été maintenue en dépit des nouvelles destinations ?

Najib Gouiaa :
Les trajets vont couvrir des distances différentes. L’arrivée à Naples est prévue pour le 16 août, Monaco le 17, Marseille le 18, Valence le 19 et Athènes, le 20. Les navigatrices vont transporter le Liban vers ces ports. Les voiliers qui participent à La Route d’Elissa, portent en principe le nom d’une ville portuaire méditerranéenne. Cette année, ils porteront tous le nom de Beyrouth. C’est notre manière de réagir et de constater qu’il y a un échec flagrant des politiques, car il se trouve que des Etats, en dépit de leurs moyens et de leurs discours, sont incapables de préserver des civils de la mort et de la destruction.

Afrik.com : Qu’est-ce que ce parcours de Carthage vers les côtes libanaises avait, en termes sportifs, d’intéressant et de particulier ?

Najib Gouiaa :
La Méditerranée est réputée pour être très changeante et en cela cette mer est un défi permanent pour un navigateur. Lors de la première édition de la Route d’Elissa, nous avions transposé la légende dans l’épreuve sportive. Elissa a quitté la Cité de Tyr et a navigué pendant sept ans dans toute la Méditerranée avant d’accoster à Carthage. Pour cette deuxième édition, nous avons voulu symboliquement qu’il y ait un retour d’Elissa dans son pays natal. Il ne se fera malheureusement pas cette fois-ci, mais lors de la prochaine édition. Ce parcours de la Méditerranée orientale est un parcours inédit dans la mesure où il n’y a pas de course dans ce sens. C’est aussi une façon de rapprocher la Méditerranée du Nord à la Méditerranée du Sud sur cette partie qu’elles ont en commun et qui est souvent ignorée sur les deux rives. On amène des navigatrices du Nord – des Italiennes, des Portugaises, des Espagnoles… – a découvrir ce parcours et à se rendre compte qu’il est possible de faire des régates ailleurs que dans les eaux qu’elles ont l’habitude de fréquenter.

Afrik.com : Qu’attendez-vous de cette édition 2006 de La Route d’Elissa ?

Najib Gouiaa :
Nous espérons que les opinions seront sensibles au message que nous allons véhiculer pendant cette course.

Suivez Afrik.com sur Google News Newsletter