La phobie électorale en Côte d’Ivoire : entre traumas et angoisse de l’avenir


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urne Côte d'ivoire

Une Tribune Internationale de Lawrence Atilade
Doctorant en science politique, EHESS, Paris
Manager, Mysoluz Consulting Group

L’évocation de la crise post-électorale comme une séquence horrible de l’histoire ivoirienne ne manque pas de susciter le besoin irrépressible de protection contre la peur. Or, il serait fallacieux d’envisager celle-ci comme une exclusivité ivoirienne, puisqu’elle est présente partout. De plus, il convient de distinguer la peur aiguë et ponctuelle, de l’angoisse, plus latente, plus sourde, qui correspond à un climat alimenté par des peurs liées à des crises et des menaces, elles-mêmes imaginaires. Dans ce cas, on parle de phobie. Petite inquiétude ou grande angoisse, rationnellement fondée ou savamment entretenue, la phobie est une peur intense, irrationnelle et incontrôlable d’une situation ou de quelque chose qui ne constitue pas une menace réelle, un danger existentiel. Elle surpasse le sentiment de peur et d’anxiété. De l’agoraphobie (peur des foules) à la brontophobie (peur des éclairs) jusqu’à la blemmophobie (peur du regard des autres), il existe une liste illimitée de phobies qui accompagnent notre quotidien et peuvent être catégorisées selon l’objet, la fréquence d’apparition, et l’intensité. Bien souvent, la personne phobique fomente des stratégies pour s’éloigner de « l’objet traumatisant ». Serait-il excessif de constater que de nombreux ivoiriens redoutent les périodes électorales ? La tension psychique et psychologique, à l’approche de 2020 n’est-elle pas (déjà) perceptible sur les visages ? La présente tribune se propose donc d’établir un diagnostic objectif de cette « phobie électorale » montante à l’issue des irrégularités constatées lors des derniers scrutins en insistant sur ses symptômes (I), leurs différentes contributions (II) et à l’entretien du discours tenu et entretenu par certains politiques ivoiriens (III).

Les premières manifestations de la phobie électorale ivoirienne

L’ivoirien lambda a du mal à occuper son présent car constamment taraudé à la fois par le souci de l’avenir (les élections présidentielles de 2020) mais aussi par la remémoration douloureuse du passé (la crise postélectorale de 2010). Entre ces deux bornes, plusieurs évènements se sont produits. Citons entre autres, les élections présidentielles de 2010 et 2015, les législatives de 2011 et 2016, les municipales de 2013, le référendum de 2016, et plus récemment les élections couplées municipales et régionales de 2018. Les différents rebondissements, contentieux et les violences gratuites qui ont émaillé ces rendez-vous nationaux, ne s’apparentent-ils pas à des arguments phobiques ?

Identifions-les en profondeur :

a- L’anxiété générée par l’attente des réformes institutionnelles

L’anxiété n’est pas nécessairement le fruit d’une situation réelle. En effet, elle peut survenir à la suite de l’anticipation d’un danger futur ou de quelque chose de très désagréable qui pourrait arriver en l’absence parfois d’éléments tangibles. Par exemple, est-ce normal d’éprouver de l’anxiété dans l’attente de la réforme de la CEI (Commission Electorale Indépendante), organe censé organiser les élections en toute transparence ? Pourquoi la configuration actuelle de celle-ci soulève tant d’inquiétudes ?

En effet, l’article 5 de la loi portant composition, organisation, attributions et fonctionnement de la Commission Electorale Indépendante est formel : « Les membres de la commission centrale sont nommés par décret pris en Conseil des ministres pour une durée de six ans. » (1) Le président de la commission, quant à lui est « élu par la commission centrale parmi ses membres pour une durée de six ans non renouvelables. Il doit être une personnalité connue pour sa respectabilité, sa probité et son impartialité. » (Art 9)

A la suite d’un bouleversement institutionnel, (2) l’actuel président de la CEI, Youssouf Bakayoko, issu du PDCI (Parti Démocratique de Côte d’ivoire) d’Henri Konan Bédié, avait été « exceptionnellement » nommé, le 25 février 2010, (en remplacement de Beugré Mambé), par Laurent Gbagbo à l’issue de plusieurs tractations, puis reconduit en 2014 par Alassane Ouattara. Dans deux mois donc, cela fera neuf ans qu’il pilote cette institution. Malgré, ces trois années supplémentaires au-delà de la durée légale, la personnalité de Youssouf Bakayoko, en plus de rappeler « l’horreur glaciale » des premières heures de la crise de 2011, est vivement critiquée pour ses insuffisances techniques dans l’organisation de tous les scrutins. Si pour l’opposition, le maintien de ce diplomate de carrière est illégal et scandaleux, du coté, du gouvernement, on argue que la CEI qu’il dirigeait initialement était transitoire c’est à dire « chargée d’organiser les élections de sortie de crise de 2010 ». Par conséquent, à l’adoption de la nouvelle loi électorale de 2014 (3), aucune disposition n’empêchait Youssouf Bakayoko et l’ensemble des membres de la commission d’être aux affaires pour six autres années. Leur mandat prendrait ainsi fin en septembre 2020. Comment juger de la légalité de cette nouvelle loi, lorsque l’on sait que l’ancienne commission n’avait pas été préalablement dissoute par le gouvernement en 2014 ?

En outre, le 18 novembre 2016, l’association Actions pour la protection des droits de l’homme a saisi la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples (CADHP) à l’effet de dénoncer le déséquilibre existant dans la composition de la CEI. Il ressort en effet que la commission centrale compte dix-sept membres, dont quatre sont issus de la société civile, quatre de l’opposition, quatre de la mouvance présidentielle et cinq de la présidence. Pour la Cour Africaine des droits de l’Homme et des peuples, cet organigramme est « déséquilibré » au profit des tenants du pouvoir, et viole du reste « le droit à l’égalité de tous devant la loi, ainsi que le droit d’avoir un organe électoral national indépendant et impartial, chargé de la gestion des élections » conformément aux articles 10 et 17 de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance (4). De ce fait, elle invite la Cote d’ivoire à corriger ce dysfonctionnement en rendant sa loi électorale conforme aux instruments internationaux, dont la charte africaine sur les élections.

Au regard de tous ces appels, force est de constater que la crainte de ne pas voir cette résolution s’opérer à la veille des élections présidentielles en 2020, comme l’a annoncé le président de la république, génère un sentiment de malaise, paralyse le champ d’action et de vision et renforce la phobie électorale. Se profile alors en perspective un usage minimaliste du droit : celui de contester l’ordre des choses politiques au nom des peurs (celle du « peuple » et de sa « brutalité », de « l’égalité », et de la « désorganisation politique » qui sont mises en scène juridiquement et instrumentalisées par le droit pour mieux réformer ou prétendre réformer les institutions politiques républicaines au risque de les dénaturer complètement. Voici pourquoi on pourra constater la résurgence des formules choquantes telles que : attention, si le PDCI revient au pouvoir, tous les étrangers seront chassés de la Cote d’ivoire ; les refondateurs du FPI reviendront pour se venger ou encore à défaut d’un troisième mandat de leur champion, le RDR sèmera le chaos à partir de 2019 pour pouvoir reporter les échéances de 2020, etc. Si toutes ces bribes de pensées résument au fond la hantise phobique, il faut bien l’admettre : une bonne dose d’anxiété n’est pas toujours mauvaise en soi, car elle peut susciter un regain de motivation et d’énergie, et aider le corps, l’esprit à se préparer à faire face à quelque chose d’effrayant d’une part, mais d’autre part, elle peut devenir une arme de prédilection des populismes de tout poil, un instrument de persuasion politique pour une société en perte de confiance et une inépuisable mine d’or pour la production ivoiritaire.

Mais ce n’est pas tout : cette démultiplication anxieuse développe un autre signe bien plus palpable.

b- L’évitement électoral

L’approche cognitivo-comportementale de la situation politique ivoirienne révèle que l’expérience électorale devient tellement angoissante qu’il faille tout faire pour l’éviter, ou même changer de territoire. Certains esprits reconnaissent avoir été tellement paralysés par les élections en Côte d’ivoire qu’ils préfèrent éviter cette situation qui provoquent chez eux une crise de panique. Sinon, en quoi une élection est-elle dangereuse ? Autant dire que souffrir d’une phobie ne rend pas la vie facile car de même que celui qui a peur des hauteurs évitera de monter dans l’avion, de même aussi à chaque fois que l’ivoirien a été invité à se prononcer dans les urnes depuis 2011, il est resté réticent. En témoignent les taux de participation très faibles (généralement entre 30 et 40 % depuis 2011). Par ailleurs, le ralliement orchestré et / ou forcé de certains candidats indépendants, (qui l’ont été manifestement que de nom) a achevé de convaincre les plus sceptiques du recul drastique des acquis démocratiques ivoiriens. Ainsi, pour ceux qui ont déjà réservé leurs billets d’avions ou planifié des voyages dans le mois d’octobre 2020, pour ceux et celles qui s’interrogent déjà sur le taux d’abstention et le nombre de victimes (enlèvements, assassinats), fuir ces situations anxiogènes devient alors une solution. Mais en est-elle vraiment une ?

De la nécessité du rétablissement de la confiance électorale

Confiance et politique sont deux concepts profondément indissociables. Si la confiance est bien la base de toute démocratie, elle traverse une crise profonde dans la politique ivoirienne. Pour éviter le fort rejet combiné à l’éparpillement des voix de nombreux candidats qui impacte le climat politique, il faut rétablir deux vérités :

D’abord, il s’agit de mieux comprendre les peurs ou phobies pour mieux les combattre. Il ne s’agit pas de les supprimer, mais de les apprivoiser, car quoiqu’étranges, elles peuvent s’avérer très utiles pour se protéger et nous alerter, nous préparer et nous permettre d’anticiper. Les stratégies fondées sur les affects, et parmi elles, les stratégies phobiques peuvent avoir des effets positifs sur les électeurs, en suscitant leur curiosité et en les poussant à mieux s’informer et ne doivent donc pas être perçues comme systématiquement illégitimes dans la mesure où elles peuvent servir de catalyseur à la vie démocratique.

Aussi, une plateforme de communication inclusive, franche et ouverte entre les citoyens, les leaders, et toutes les composantes de la nation devra être intensifiée. En la matière, Guillaume Kigbafori Soro, le président de l’Assemblée Nationale de Côte d’ivoire a une longueur d’avance

Toujours un pas supplémentaire avec Guillaume Soro

Les arguments qui militent en la faveur de cette thèse foisonnent. Ils ont été savamment déroulés dans une œuvre splendide parue en janvier 2018. « Phénoménal Guillaume Soro : l’incarnation ivoirienne d’une génération Africaine » (5) que nous recommandons chaudement fait étalage de toutes les qualités propres au leader générationnel. De sa dextérité politique à sa résilience mythique, en passant par sa psychologie irénologique, tout y est.

Pour nous, il a très tôt exprimé cet avant-gardisme en étant le premier homme politique à penser le pardon ivoirien. En passant au peigne fin, tout le pays depuis 2012 pour prêcher la réconciliation et la libération des prisonniers politiques, Guillaume Soro à permis à l’exécutif de prendre des initiatives dans ce sens. En 2018, soit 6 ans plus tard, plus de 800 prisonniers sont libérés, dont l’ex-première dame Simone Ehivet Gbagbo. Pendant les obsèques de M. Abdouramane Sangaré, président par intérim du FPI, le président de l’Assemblée nationale a encore martelé ce message. Il en fut de même, lors de sa rencontre avec les anciens Fescistes, le dimanche 25 Novembre, où il réclama la libération de Charles Blé Goudé. Et à ce jour, toute la Côte d’ivoire clame à tue-tête, le « pardon de Guillaume Soro ». Petit à petit, ce thème essentiel fait mouche.

C’est aussi dans ce même élan qu’une fois, à la tête de l’Assemblée nationale, il met fin à plus sieurs d’années de sclérose institutionnelle en réinventant les fondamentaux du parlement ivoirien et en reconsidérant le regard du public sur la vie et les activités parlementaires. A ce titre, il est le premier à faire rayonner la Cote d’ivoire par le biais de sa machine législative. Pionnier de la révolution numérique dans cette institution, il a vite appris qu’il fallait se démarquer de l’orientation très superficielle de ces prédécesseurs en rapprochant au maximum les élus des citoyens. Grace à cette reconfiguration des structures de l’Assemblée nationale, la Cote d’ivoire présidera le conseil de sécurité pendant ce mois décembre 2018. Cette participation de notre pays dans le concert des nations est indiscutablement liée à la diplomatie parlementaire innovante sous Guillaume Soro, qui se projette inlassablement. C’est évidemment à cette projection que répond la relation profonde, fraternelle, tissée dans la communion et la communication permanente avec son peuple. Avec confiance et respect, nous reconnaissons que Guillaume Soro sait d’où il vient et où il va.

Phénoménal Guillaume Soro : l’incarnation ivoirienne d’une génération Africaine, Les Editions du Net, 438p.

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