La liberté de ne pas avoir faim « n’est pas un droit humain optionnel »


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Le monde dispose aujourd’hui des capacités techniques, mais pas de la volonté politique nécessaire, pour éradiquer la faim dans le monde, un fléau qui touche une personne sur huit et constitue une violation des droits humains au même titre que la torture, selon un rapport publié par l’organisation non-gouvernementale (ONG) Action contre la faim.

Un des principes fondamentaux soutenus dans cette étude, intitulée the Justice of Eating – the Struggle for Food and Dignity in Recent Humanitarian Crises (la Justice de la faim ou la lutte pour l’alimentation et la dignité dans le cadre des crises humanitaires modernes), repose sur l’importance du droit à l’alimentation en tant qu’élément inextricable des libertés fondamentales qui incarnent les droits humains et constituent, dans leur ensemble, les conditions minimales nécessaires à la dignité humaine.

« Ce n’est pas comme un menu au choix ; on ne peut pas dire “Allez, on va s’occuper de la torture ou pourquoi pas lutter pour mettre fin à l’esclavage” », a expliqué Samuel Hauenstein Swan, co-rédacteur du rapport.

« Si l’on veut que le droit à l’alimentation soit considéré comme aussi important que les autres droits humains […] nous devons prendre les mesures nécessaires pour le faire respecter, de la même façon que nous avons commencé à juger les crimes de génocide », peut-on lire dans le rapport.

Cette étude traite de la destruction des moyens de subsistance des populations du Darfour, au Soudan ; des marchés instables au Niger ; du VIH/SIDA au Malawi et en Zambie ; et de la lutte quotidienne des familles qui se débattent pour trouver de quoi manger dans les régions caféières d’Ethiopie.

Pour chaque cas, le rapport indique qu’il est tout à fait possible d’éviter la malnutrition aiguë en employant les bonnes stratégies, notamment en recourant davantage à l’aide internationale, aux investissements financiers et aux politiques commerciales qui favorisent les pays en voie de développement, et en contrôlant, en parallèle, la libéralisation économique et la déréglementation des marchés alimentaires, qui ont engendré une réduction des subventions accordées aux paysans et aux éleveurs. « La liberté de s’alimenter doit prendre le pas sur la “libéralisation” excessive des marchés », selon le rapport.

« Cet ouvrage est un puissant réquisitoire contre les institutions locales, les gouvernements nationaux, et les organisations et politiques internationales qui permettent à la faim de continuer d’exister dans le monde moderne », écrivait Stephen Devereux, assistant de recherche à l’Institut de développement de l’université de Sussex, dans l’avant-propos.

Appel aux armes

Pour M. Hauenstein Swan, ce rapport est un appel aux armes lancé aux citoyens moyens pour les inciter à exiger de leurs dirigeants qu’ils prennent des mesures.

« Bien que quelques batailles aient été remportées dans la lutte pour les droits humains et la dignité de tous, les taux de malnutrition chronique et aiguë chez les enfants de moins de cinq ans restent extrêmement élevés. Nous espérons que ce rapport permettra d’inciter la communauté internationale à s’engager plus fermement à prévenir et traiter la malnutrition », a-t-il expliqué.

« Cet engagement plus ferme ne peut être obtenu que si les citoyens du monde exigent de leurs dirigeants qu’ils élèvent la lutte contre la malnutrition infantile au rang de priorité politique. L’histoire regorge d’exemples de “gens ordinaires” – que nous devrions plutôt appeler “les héros du quotidien” – qui ont réussi à faire pression sur les décideurs afin que ceux-ci s’engagent plus sincèrement et plus courageusement dans la lutte contre les drames humains. Nous pouvons et devons en appeler au même genre d’empathie profonde et nous résoudre à exiger de nos dirigeants qu’ils luttent sans relâche dans cette guerre, qui peut être remportée, contre la malnutrition infantile ».

Le rapport cite le manque de « compréhension émotionnelle » comme obstacle, sans doute principal, au déploiement d’un effort total pour venir à bout de la faim dans le monde, qui toucherait 852 millions de personnes, dont bon nombre vivent en Afrique.

Si les victimes de la guerre ou de la famine, comme ce fut le cas en Ethiopie en 1984, réussissent à capter l’attention des médias, et à mobiliser ainsi les secours internationaux, la dure réalité quotidienne de la malnutrition, un fléau moins instantané mais tout aussi mortel, passe entre les mailles du filet international. « Peut-être les violentes souffrances subies par ceux qui vivent le ventre creux, jour après jour, sont-elles plus difficiles à saisir, à visualiser, à ressentir », selon le rapport.

Volonté politique

D’après le rapport, l’engagement moral des dirigeants politiques et des particuliers à éradiquer la faim doit impérativement être soutenu par une aide financière considérable et l’argument selon lequel les subventions manquent n’est pas valide : aux Etats-Unis, indique le rapport, pour mener la guerre en Irak et les opérations de reconstruction à la suite de l’ouragan Katrina, des centaines de milliards de dollars ont été nécessaires qui n’avaient pas été préalablement budgétés.

« Pourtant, lorsque [ces questions] sont devenues des priorités politiques, le gouvernement a trouvé les fonds nécessaires », peut-on lire dans le rapport. Comme l’a déclaré M. Hauenstein Swan, lors de la présentation du rapport, à New York : « Une fois que la volonté politique sera là, le reste suivra »

Photo: Irin

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