La Francophonie économique, l’enjeu du 15e sommet à Dakar


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Jusqu’à présent, seule la dimension politique et culturelle de la Francophonie a été développée. Face à un monde de plus en plus globalisé, les dirigeants de l’Organisation Internationale de la Francophonie veulent désormais développer la dimension économique. C’est tout l’enjeu du 15ème sommet de l’organisation qui s’ouvre ce 29 novembre, à Dakar, au Sénégal.

Régulièrement critiquée pour ses longs discours rarement concrétisés, l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), connue jusqu’à présent pour sa dimension culturelle et politique, veut désormais aussi renforcer sa dimension économique. C’est en réalité tout l’enjeu de son 15ème sommet, de deux jours, qui s’ouvre ce 29 novembre, à Dakar, au centre de Diamnadio, et qui devrait réunir plusieurs dizaines de chefs d’Etat. D’ailleurs, le sommet sera suivi d’un Forum économique des entrepreneurs francophones, les 1er et 2 décembre.

Aux origines de la Francophonie

Il faut dire que la Francophonie a évolué depuis la création, en mars 1970, de son ancêtre : l’Agence de Coopération Culturelle et Technique (ACCT). Nouvelle organisation inter-gouvernementale fondée autour du partage d’une langue commune, le français, chargée de promouvoir et de diffuser les cultures de ses membres et d’intensifier la coopération culturelle et technique entre eux, l’ACCT? est par la suite devenue, en 1998, l’Agence inter-gouvernementale de la Francophonie et, en 2005, l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF).

«? Dans les décombres du colonialisme, nous avons trouvé un outil merveilleux, le français », aimait dire le premier Président sénégalais Léopold Sédar Senghor, à l’initiative du projet de la Francophonie institutionnelle avec ses homologues tunisien, Habib Bourguiba et nigérien, Hamani Diori, ainsi que le Prince Norodom Sihanouk du Cambodge. Pour ces pères fondateurs, le but de la Francophonie était de mettre à profit « le français au service de la solidarité, du développement et du rapprochement des peuples par le dialogue permanent des civilisations ».? ?

Seulement, la dimension culturelle de l’organisation semble ne plus suffire à assurer sa pérennité. Raison pour laquelle, le principal mot d’ordre de ce 15ème sommet est : Développer le potentiel économique de la Francophonie. Slogan qu’ont martelé les candidats à la succession du Secrétaire général de l’organisation, Abdou Diouf. Agé de 79 ans, l’ex-Président sénégalais, à la tête de l’organisation depuis 2003, se retire après avoir dirigé l’OIF durant quatre mandats successifs. Son successeur sera nommé le deuxième jour du sommet, à huis clos, entre les différents chefs d’Etat membres. Alors qu’à l’époque, ils étaient tous nommés par l’Elysée, Abdou Diouf, ayant été désigné par Jacques Chirac, les prétendants au prestigieux fauteuil doivent désormais parcourir la planète entière pour convaincre qu’ils sont les meilleurs. Les candidats au fauteuil prestigieux sont : l’ambassadeur du Congo en France, Henri Lopes, l’ex-gouverneure du Canada originaire d’Haïti, Michaelle Jean, le Mauricien Jean Claude de l’Estrac, qui dirige la Commission de l’océan Indien (COI), l’ex-Président du Burundi, Pierre Buyoya, et enfin Agustin Nze Nfumu, l’ex-ambassadeur de la Guinée Equatoriale à Londres. Tous ont présenté dans leur programme de campagne la façon dont ils allaient réorienter l’organisation, et lui donner un nouveau souffle notamment en développant son potentiel économique.

?Vers une union économique francophone

Mais comment mettre en avant la dimension économique de la Francophonie ? C’est l’économiste français Jacques Attali, ex-conseiller de l’ancien Président français François Mitterrand, qui a été chargé de rédiger un rapport pour répondre à la question. Un rapport de 200 pages présenté en août dernier au chef de l’Etat français François Hollande. Jacques Attali a souligné « l’opportunité économique majeure que la Francophonie constitue pour la France et ses partenaires francophones, dans un monde où la concurrence globale impose d’organiser les solidarités linguistiques ».

Un avis partagé par Henriette Martinez, ex-présidente déléguée de la section française de l’Assemblée Parlementaire de la Francophonie (APF), qui a aussi étudié la question. Selon elle, « l’influence de la Francophonie dans l’organisation économique de son espace est peu perceptible ». Pour elle, « investir le terrain économique doit donc constituer une priorité pour la Francophonie », assurant que c’est aussi une façon « de promouvoir une image moderne. Il faut œuvrer pour que la langue française continue à offrir un accès économique au monde du travail, car la mondialisation, le développement de la multi-polarité dessinent de nouveaux contours, de nouveaux espaces économiques dans lesquels le français doit conférer un pouvoir économique ».

D’autant que Jacques Attali rappelle que la Francophonie dispose d’un potentiel économique énorme qu’il faut exploiter, évoquant même une union économique francophone. « Il faudrait aller vers une union francophone potentiellement aussi forte et intégrée que l’Union européenne afin de renforcer la coopération sur des secteurs économiques essentiels, explique l’économiste. Cette union serait applicable à plusieurs domaines : recherche, santé, culture, enseignement, nouvelles technologies ».

Un moteur de croissance pour la France

Cette Francophonie économique pourrait surtout représenter un moteur de croissance pour la France et un vivier pour l’emploi, précise le rapport d’Attali. « Nous pouvons perdre beaucoup, mais également beaucoup y gagner. L’impact de la Francophonie peut représenter jusqu’à un million d’emplois et 50 milliards de dollars au niveau de la balance des paiements », selon l’économiste français. Paris, préoccupée en effet par la montée en puissance de la Chine et de nombreux pays émergents en Afrique, refuse d’être la dernière roue du carrosse. D’autant que les croissances des pays francophones d’Afrique de l’Ouest sont très alléchantes. La Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Bénin, le Mali… figurent parmi les plus dynamiques du continent, avec une croissance de 7% par an. Selon une étude de l’Observatoire de la langue française, deux pays qui ont la même langue, débouchent sur un accroissement des échanges commerciaux pouvant aller jusqu’à 22%.

La France est également préoccupée par la concurrence des autres langues internationales telles que l’anglais qui gagne du terrain… Selon le rapport d’Attali, la tâche sera loin d’être aisée pour revigorer la Francophonie, soulignant que «?faute d’un effort majeur, on pourrait assister à un recul de l’espace francophone?». D’autant que les pays francophones en développement peinent à assurer l’accès à l’enseignement de leurs populations en pleine explosion démographique. Par conséquent, le nombre de francophones en 2050 pourrait être inférieur à celui d’aujourd’hui, si rien n’est fait. Les conséquences en seraient sans appel pour les entreprises françaises, avec à la clef «?la destruction de 120 000 emplois dès 2020, soit 0,5 point de chômage en plus, et un demi-million en 2050, soit 1,5 point en plus?», prévient Jacques Attali.

« Nous avons un formidable atout dans le monde, c’est la Francophonie ». Cette phrase, prononcée par le Premier ministre français Manuel Valls, lors de l’ouverture du troisième Forum de l’économie positive, en septembre dernier au Havre, révèle les ambitions de Paris, qui cherche en effet à tirer son épingle du jeu à travers la Francophonie pour préserver son pré-carré en Afrique face aux imposantes puissances émergentes. La machine de la Francophonie économique est enclenchée, en attendant un partenariat gagnant gagnant et d’égal à égal entre la France et ses ex-colonies…

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