La femme bleue, ou l’amour impossible : diptyque touareg


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Maguy Vautier a écrit un livre insolite, un livre à fleur d’âme, ouvrant comme un diptyque deux histoires d’amour désespérées, à cinquante ans de distance. Singularité : les personnages sont touaregs, déchirés par les bouleversements historiques et économiques qui ont secoué le peuple du désert.

Des deux histoires qu’elle recueille et place face à face, Maguy Vautier a enregistré les bribes dans un camp de réfugiés de Niamey, où la famine a jeté nombre de touaregs. Les fragments de poèmes et de récit qu’ils lui ont transmis forment une série de gemmes qu’elle a sertis dans son propre texte, volontairement lumineux, limpide, écrit dans un style coulé, économe de mots.

Un livre à fleur d’âme pour voyager dans le passé des peuples du désert

Premier récit, celui de l’amour de Dassine Oult Yemma, célèbre poétesse du Hoggar, et de Moussa Ag Amastane, qui fit alliance avec les Français en 1904, et mourut en 1920, probablement assassiné. Second récit, celui de l’amour d’un jeune touareg, à la fin des années 1980, pour une amie d’enfance qu’il n’a jamais cessé d’aimer, Tazarnat.

Entre les deux, un demi siècle de bouleversements, la stabilisation de la situation politique des états africains, qui condamne à terme le mode de vie d’un peuple qui vivait des razzia et des méharées commerciales, et les conséquences des grandes sécheresses de 1973 et 1984, qui ont décimé ses troupeaux, fait mourir un à un ses chameaux, jeté ses fils vers les villes où ils habitent désormais des maisons, et louent leurs bras, en rêvant du désert et des longues marches…

Solitudes des coeurs et du désert

Ces marches où l’âme parle silencieusement aux autres âmes :  » Nous ne connaissons que la route, la route qui a pour guide, tour à tour, le soleil et les étoiles. Et nous partons de notre coeur, et nous tournons autour de lui en cercles de plus en plus grands, pour enlacer les autres coeurs dans un cercle de vie, comme l’horizon autour de ton troupeau et de toi-même.  » (Dassine Oult Yemma)

La souffrance de l’amour malheureux, Moussa Ag Amastane l’exprime aussi dans la solitude du désert : « Homme, il faut savoir te taire pour écouter le chant de l’espace. qui affirme que la lumière et l’ombre ne parlent pas ?  » Mais il est encore, justement, cet homme libre qui peut partir solitaire et fort.

Tel n’est plus le cas de son descendant contemporain, dont les bêtes, ses seules richesses, sont mortes les unes après les autres, dont les proches sont dispersés entre les camps de réfugiés, qui ne parvient pas à retrouver, dans cet effarement d’un peuple entier dévoré par la faim, celle qu’il aime toujours, et qui est devenue, peut-être, l’épouse d’un militaire malien ?  » Ne sais-tu pas, dit-il à l’absente, que la maison est le tombeau des vivants ?  » Même si l’espoir le tenaille toujours de travailler pour acheter des animaux et de repartir, lorsqu’arrivera ce moment qu’il ne renoncera jamais à attendre :  » La patience est la clé du temps « .

Parce que rien n’égale la sauvage noblesse qui était l’art de vivre de ses ancêtres, et qui devient chaque jour un peu plus mythique, et moins compatible avec la vie contemporaine…  » Dieu a créé des pays pleins d’eau pour y vivre, et des déserts pour que les hommes y trouvent leur âme.  » Et soudain voici qu’une des paroles qui traversent sa bouche nous saisit par son actualité et sa justesse :  » Annoncez que l’eau doit être partagée. Annoncez-le à tous les peuples de la terre.  »

La force du livre de Maguy Vautier est de dire en si peu de mots tant de choses, à la fois sur hier et sur aujourd’hui, sur le temps qui passe et sur les hommes, sur la passion et la soif, et ce qui les étanche, et d’avoir su intérioriser, pour nous les restituer, les mots et les pensées du peuple touareg, martyr de la grande sécheresse bleue de la modernité.

 » Instinctivement, écrit superbement Théodore Monod dans sa courte préface, je suis toujours pour le loup, parce qu’il est libre  »

Commander le livre : La Femme Bleue, Editions alternatives, 1998.

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