La face cachée des révélations de Robert Bourgi


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Les révélations du libano-français Robert Bourgi, porteur de valises et courtier politique de la françafrique, sont un secret de polichinelle. Elles dévoilent aux yeux des populations africaines qui ne l’ignoraient guère la tutelle de la classe politique française sur ses obligés : les classes politiques africaines. Elle étale au grand jour la complicité structurelle qui les lie dans la politique de prédation exercée sur le continent. Toutefois, cette tutelle de l’ancienne puissance coloniale sur ses anciennes colonies, matérialisée par la tradition du financement africain des élections françaises, pose cette question : Les chefs des Etats africains indépendants étaient-ils obligés de financer les campagnes électorales des partis politiques français ? Ce financement était-il forcé ou consenti et par-dessus tout intéressé ?

Cette question est centrale. Y répondre fournit un contrepoint dissonant à l’argument souvent brandi par certaines élites intellectuelles africaines qui soutiennent que ce sont des interventions externes irrésistibles des anciennes puissances coloniales qui contraignent les pouvoirs africains à leur corps défendant à pratiquer une politique de prédation contre leur propre peuple. L’argument de Mamadou Koulibaly qui appuie les révélations de Bourgi semble s’inscrire dans cette thèse de la contrainte externe. L’épisode scandaleux de l’éviction en mars 2008, sous la demande expresse du défunt président gabonais Omar Bongo, du Secrétaire d’Etat à la coopération Jean-Marie Bockel, dont le seul tort fut de réclamer la fin de la Françafrique et la mise en œuvre d’une bonne gouvernance en Afrique, montre toutefois que ce système de prédation avait des racines internes aux Etats africains. La tutelle externe était plutôt souhaitée, consentie et intéressée. Elle était organisée par les pouvoirs africains qui en retiraient un bénéfice politique et financier. L’on peut imaginer qu’au tutorat politique et à la protection de leur pouvoir par le parti au pouvoir en France, s’ajoutent les retombées financières en terme de bakchich résultant de l’attribution gracieuse des marchés publics aux milieux d’affaires français. Robert Bourgi, celui que Jean-François Probst excellent connaisseur des nombreux réseaux de la françafrique désigne comme « un affairiste et un opportuniste » « qui a intrigué toute sa vie durant et a voulu se faire passer pour le successeur de jacques Foccart qui pourtant le détestait » (cf Le Parisien du 12-09-2011) n’était qu’un intermédiaire sulfureux, un entremetteur et un démarcheur qui se chargeait de relier les demandes convergentes, de mettre en contact des partenaires en affaire. Le financement des partis politiques français, élément fondamental du système de prédation exercé sur les Etats africains comblait les vœux cardinaux des pouvoirs et des chefs d’Etat africains, acteurs centraux d’un triolisme politique comprenant les milieux politiques français, les lobbies et milieux affairistes français. Dans cette partie à trois, Monsieur Robert, qui faisait passer les mallettes pleines d’argent émis par les clients africains, officiait comme entremetteur, une sorte de proxénète politique. Le système de financement des partis et des classes politiques françaises par les chefs d’Etat africains était l’assurance vie qui leur permettait de perpétuer et de conserver leur pouvoir personnel et leurs avantages matériels. En inscrivant les officiels français dans un système de financement illicite de leurs partis politiques respectifs, les chefs d’Etats africains faisaient d’une pierre deux coups de maître. S’inspirant de la stratégie politique précoloniale de la dépendance personnelle, ils les inscrivaient dans un réseau de dépendance et dans un système de corruption active qui faisait d’eux, en retour, des obligés. Ils en tiraient un bénéfice politique sous la forme d’une rétro-commission politique.

Pour ce nous intéresse personnellement, nous les Ivoiriens, les révélations de Robert Bourgi nous apprennent que Gbagbo le prétendu socialiste, l’anticolonialiste et l’anti-français qui brocardait le gouvernement français convoyait, au même moment, des valises entières de billets de banque au gouvernement de droite français. Nous avions dans un article précédent intitulé «Le complot international contre Gbagbo. Les raisons secrètes de ce slogan », publié dans ce journal, montré justement que la colère meurtrière de Gbagbo envers la France relevait du sentiment d’avoir été payé en monnaie de singe par ses partenaires en affaires. Après avoir financé le parti de droite au pouvoir grâce aux valises convoyées par le libano-français Robert Bourgi – car certaines valises furent déposées aux pieds de Sarkozy comme le soutiennent certaines sources chiraquiennes – et après avoir attribué, par brassée entière, les marchés publics aux entreprises françaises, Gbagbo attendait du gouvernement de droite français un soutien sans faille dans sa stratégie de conservation frauduleuse du pouvoir. Il n’en fut rien. Là était la source de sa colère et de ses diatribes anti-françaises. Cet anticolonialisme d’opérette fut une réaction vengeresse meurtrière de dépit envers un partenaire en affaire qui n’a pas respecté les termes du contrat. L’anticolonialisme de Gbagbo ne fut jamais un anticolonialisme de conviction mais un écran de fumée dissimulant sa complicité consensuelle avec l’Etat français dans sa politique de conservation de son pré-carré ivoirien et africain. De gauche ou de droite, les classes politiques africaines ont au détriment de l’intérêt général de leur propre peuple, payé aux différents pouvoirs français une sorte de tribut politique pour la conservation de leur pouvoir et avantages matériels particuliers. Le courtier Robert Bourgi, porteur de mallettes remplies de millions d’euros pillés sur le trésor public des Etats africains et entremetteur, relayait des demandes africaines empressées de tutelle politique française dûment rétribuées. Les dictateurs africains de droite ou de gauche payaient rubis sur l’ongle, sous la forme de financement des partis politiques ou d’attribution de marchés publics aux entreprises françaises, leur maintien au pouvoir en vue de la conservation et de la perpétuation de leurs intérêts particuliers. Réalisé au détriment des populations africaines, le bénéfice de ces différents acteurs de la françafrique était net et considérable. Les dictateurs africains conservaient leur pouvoir et leurs avantages matériels au détriment de leurs peuples. Les entreprises françaises prospéraient en Afrique. Les classes politiques, les lobbies et milieux affairistes français renflouaient leurs trésoreries et satisfaisaient leurs divers intérêts politiques et financiers.
Le dévoilement public de ce système de domination et d’appauvrissement concerté des populations par les aveux d’un Robert Bourgi au pouvoir déclinant, qui règle des comptes personnels, révèle toutefois trois vérités. Il brise le mythe de la domination non consentie des Etats africains par les Etats occidentaux. Il déconstruit le mythe de la résistance héroïque contre le néo-colonialisme dont se parent encore les dictateurs africains comme Gbagbo. Et il établit la réalité de la servitude volontaire et de la soumission consentie et intéressée des classes politiques africaines à l’emprise des pouvoirs politiques et financiers étrangers.

Une vérité qui relève, de la psychologie rationnelle et de la science des fondements transcendantaux de l’agir humain, établit que la liberté humaine, provenant de la pure spontanéité qui fait de l’homme l’auteur absolu de toutes ses actions, ne s’actualise jamais en étant conditionnée de l’extérieur. Autrement dit, au sein de la contrainte externe la plus brutale, tout individu humain agit toujours par lui-même en décidant souverainement de manière ultime. Les bourreaux se sont souvent trouvés confrontés à ce château fort intérieur inexpugnable de la liberté humaine quand ils ont eu affaire aux véritables héros qui, préférant la mort à la vie servile, n’abdiquent ni ne cèdent devant la torture la plus extrême. Autrement dit, tout homme qui cède à la domination externe fut-elle celle de ses propres pulsions, celle d’un autre homme ou celle d’une puissance politique et militaire externe y a d’une manière ou d’une autre consenti. Dans la sagesse africaine provenant d’une culture holiste, cette irréductibilité et cette responsabilité absolue que la liberté confère à l’homme, est traduit par le principe qui dit que le mangeur d’âme étranger à une famille ou un lignage ne peut y prélever une victime que si d’une manière, ou d’une autre, un membre de cette famille ou de ce lignage y a consenti. On ne nous dira donc pas que l’Africain ignore les principes moraux du consentement et de la liberté comme spontanéité pure, caractères qui font de l’homme et de tout groupe humain des entités éthiques. Face à l’agression externe et la servitude, une alternative s’offre toujours à chaque homme : le refus et la résistance quelle qu’en soit la forme, ou la soumission qui est toujours volontaire et consentie. Nul ne peut m’obliger en tant qu’homme à faire ce à quoi je n’ai pas consenti. La résistance dans la soumission apparente est toujours possible. On se soumet pour renverser la domination non consentie en élaborant une tactique et une stratégie de libération. L’exemple de Gandhi dans l’Inde coloniale sous domination britannique en constitue un exemple éclatant.

Plus proche de nous Nelson Mandela en constitue une figure. Ce qui dans ce cas donne du crédit aux diverses ruses et médiations dont use celui qui s’est rendu par contrainte, qui a baissé les armes contre son gré en raison de la supériorité des armes de l’adversaire, c’est le témoignage qu’apporte au quotidien le refus de principe, de l’asservissement et de l’exploitation des siens, matérialisé par les actions exemplaires quotidiennes du héros révolutionnaire. Mais on peut aussi baisser les bras par paresse et par cupidité lorsque la situation de domination nous procure des satisfactions personnelles matérielles et privées. Dans la plupart des cas, en dépit d’exemples de résistance sans concession contre l’agression politique culturelle et économique de l’Occident, comme en témoignent la révolte des Ngban ou des Abbeys en Côte d’Ivoire, la révolte des Holli au Dahomey ou la résistance du chef Mandume contre les Portugais en Angola, la plupart des élites et des classes politiques africaines depuis les indépendances optèrent, par cupidité, pour la collaboration intéressée et s’allièrent aux puissances occupantes pour abattre ceux de leurs pairs qui se rebellaient encore contre l’ordre nouveau.

En Afrique occidentale, l’intérêt politique des révélations du porteur de valise libano-français de la françafrique est donc de focaliser l’attention sur les sources internes de la politique de prédation exercée dans le continent depuis les Indépendances africaines. Ce regard critique oblige nécessairement à revisiter l’histoire africaine pour tenter de dévoiler les sources précoloniales de la politique de prédation en Afrique. Ces pratiques politiques ne s’inscrivent-elles pas dans la continuité de pratiques politiques qui s’enracinent dans l’histoire africaine précoloniale? Cette investigation critique est donc plus que jamais nécessaire. Elle permettra d’éclairer le présent pour que le cheminement vers l’avenir puisse être entrepris par un continent qui aura surmonté sa scission interne cachée.

Dieth Alexis. Vienne. Autriche

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