La chute du Mur de Berlin : du pouvoir de la presse


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Les journalistes allemands et occidentaux ont, d’une certaine manière, précipité la chute du mur de Berlin en annonçant dans la soirée du 9 novembre 1989 son ouverture. L’information est à l’origine de la ruée des Allemands de l’Est vers la Bornholmer Strasse, poste-frontière qui donnait l’accès à l’Ouest de la République Démocratique d’Allemagne (RDA). Le Mur tombera quelques heures plus tard. La confusion du porte-parole du gouvernement de la RDA, Günter Shabowski, les aura beaucoup aidés.

Plusieurs évènements politiques qui se déroulent dans le bloc communiste en Europe conjugués à l’endettement de la République Démocratique Allemande (RDA) vont conduire à la chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989. L’avènement d’un pape polonais en 1978, Karol Wojtyla, qui prendra le nom de Jean-Paul II, la naissance de Solidarnosc en 1980, la fédération de syndicats polonais menée par Lech Walesa, l’accession de Michaïl Gorbatchev au poste de secrétaire général du Parti communiste en 1985, qui inaugure la Glasnost (transparence) et la Perestroïka (restructuration) et décide que l’Union soviétique n’interviendra plus dans les affaires intérieures de ses pays satellite d’Europe, la brèche ouverte dans le Rideau de fer en Hongrie en 1989 par le gouvernement du Premier ministre Miklos Nemeth (1988 -1990) sont autant de catalyseurs.

Mais ce qui va physiquement faire tomber le « Mur de la honte », c’est un mouvement populaire déclenché par une annonce dans les médias allemands et internationaux. Du moins une erreur de communication commise par un membre du Politburo du Comité central de la Sozialistische Einheitspartei Deutschlands (SED), parti au pouvoir en RDA, et porte-parole du gouvernement, Günter Shabowski. Dans l’après-midi du 9 novembre, Egon Krenz, successeur d’Erich Honecker à la tête du parti communiste est-allemand, lui demande d’annoncer l’assouplissement du dispositif de circulation de l’Est vers l’Ouest lors d’une conférence de presse destinée aux journalistes étrangers. Au correspondant de l’Agence de presse italienne Ansa, Riccardo Ehrman, qui l’a bombardé de questions et qui lui demande la date d’entrée en vigueur de cette mesure, il répond en consultant le document qu’il vient de lire : «Das tritt nach meiner Kenntnis… ist das sofort, unverzüglich (Pour autant que je sache, cela entre en vigueur… c’est maintenant, immédiatement)». [[ Günter Shabowski vient d’annoncer ce qui suit :

«Les voyages privés vers l’étranger peuvent être autorisés sans présentation de justificatifs — motif du voyage ou lien de famille. Les autorisations seront délivrées sans retard. Une circulaire en ce sens va être bientôt diffusée. Les départements de la police populaire responsable des visas et de l’enregistrement du domicile sont mandatés pour accorder sans délai des autorisations permanentes de voyage, sans que les conditions actuellement en vigueur n’aient à être remplies. Les voyages y compris à durée permanente peuvent se faire à tout poste frontière avec la RFA.»

Source : Slate.fr ]].

En réalité, le dispositif devait être effectif le lendemain, la nuit aurait permis au gouvernement pour avertir les postes-frontières. «Il (Egon Krenz) ne m’a pas dit qu’il y avait un embargo sur la décision jusqu’au lendemain matin», explique Günter Schabowski dans Le Figaro. Son régime est acculé par les manifestations populaires, qui se multiplient depuis mai 1989, et les revendications des citoyens est-allemands en faveur de plus de liberté. Liberté de circulation et de presse. La presse, justement, qui répandra la bonne nouvelle générée par la bourde de Günter Shabowski. « Le mur est tombé ! », annoncera Riccardo Ehrman à son agence. On l’y croit fou, rapporte Rue 89. L’information est reprise plus tard par l’agence américaine Associated Press. « Le 9 novembre, le Comité central a annoncé la délivrance sans conditions de visas pour les particuliers, explique Fredéric Taylor, historien et auteur du Mur de Berlin 1961-1969» publié aux éditions JC Lattès dans les colonnes de 20 minutes. « Ouverture des frontières en RDA » ont annoncé les médias occidentaux. Du coup, les Allemands de l’Est qui regardaient les chaînes de RFA ont convergé par milliers vers le Mur. A minuit, la frontière était ouverte ».

Un peu avant 20h, le 9 novembre 1989, les Allemands de l’Est, qui suivent la télévision publique ou celles de la RFA – la première chaîne ouest-allemande, ARD, diffuse les propos de Günter Shabowski [[ Journaliste de formation, Günter Schabowski est revenu à ses premières amours en 1992, rapporte L’Express. Il dirige à Rotenburg, en Hesse (Est de l’Allemagne), un journal gratuit de petites annonces et de nouvelles locales baptisé Heimatsnachrichten (Les nouvelles du pays), rapporte L’Express. « C’est moi qui ai ouvert le Mur, et je ne le regrette pas…», confie-t-il en 1994 à l’hebdomadaire français. ]]-, entendent qu’ils peuvent se rendre librement à l’Ouest. C’est le cas de l’un des témoins interviewés dans le documentaire diffusé récemment par la télévision publique française, France 2, Un mur à Berlin réalisé par Patrick Rotman. Il expliquera qu’aussitôt la nouvelle apprise, il sortira de chez lui pour en profiter. Des milliers de personnes ont eu le même réflexe que lui et se dirigent, à pied ou dans leurs Trabants, vers le poste-frontière de la Bornholmer Strasse, point de passage vers l’Ouest le Borholmer Brüke (pont). Les VoPo (pour Volkspolizei, l’armée du peuple) qui y sont stationnés n’ont reçu aucune instruction particulière. Le responsable de ce poste-frontière, l’officier des gardes frontières Harald Jäger, a également la parole dans le documentaire de France 2. Il y décrit comment il finira par désobéir à sa hiérarchie qui lui avait demandé d’assurer un passage au compte-gouttes, en prenant soin de tamponner les passeports des Allemands de l’Est qui perdaient ainsi leur nationalité et leur droit au retour. L’officier réalise que si le poste-frontière n’est pas ouvert pour laisser traverser cette marée humaine, un bain de sang risque de se produire. Fort de la levée de l’interdiction de tirer sur ceux qui tentent de passer la frontière depuis quelques jours en RDA, il libère la voie vers 23h30. Le Mur a cédé sous la pression populaire.

Si l’on évoque souvent la puissance des médias qui réveillent les consciences et changent par conséquent la face du monde, le 9 novembre est l’un de ces moments dans l’Histoire qui en sont l’illustration. L’information véhiculée par la presse s’est répandue comme une traînée de poudre. Les services secrets allemands, soviétiques et américains ne s’imaginaient pas que le Mur tomberait ce 9 novembre 1989, comme on l’apprend dans un autre documentaire diffusé dans la nuit de ce 8 novembre sur la télévision privée française TF1, Mur de Berlin, la guerre des espions de Jean-Charles Deniau. Un responsable de la CIA, les services secrets américains, affirme avoir appris la nouvelle sur CNN et déclare que, parfois, les journalistes sont les mieux informés.

Une simple télé ou une radio et la liberté est venue sonner à la porte de chaque Allemand de l’Est. Ce 9 novembre-là, chaque représentant de la presse et ceux qui ont répandu cette bonne nouvelle auraient pu paraphraser le président américain John Kennedy lors de son fameux discours, le 26 juin 1963, face au Mur. « Nous n’éprouvons aucune satisfaction en voyant ce mur, car il constitue à nos yeux une offense non seulement à l’histoire mais encore une offense à l’humanité. (…) C’est pourquoi, en tant qu’homme libre, je suis fier de dire : « Ich bin ein Journalist (Je suis un journaliste) ». Car, c’est une fierté de délivrer une information salvatrice. C’était le cas le 9 novembre 1989 en RDA.

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