L’industrie sucrière des pays ACP menacée par l’Europe


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La Commission de l’agriculture du Parlement européen a présenté, mercredi, son projet de réduction progressive des prix garantis aux exportateurs de sucre à destination de l’Europe. Cette mesure risque d’avoir des conséquences dramatiques pour les pays du groupe Afrique, Caraïbes, Pacifique (ACP). Bénéficiant d’une période transitoire de cinq ans, ils estiment que cela ne leur laisse guère le temps de diversifier leurs économies, dont certaines, à l’instar de Maurice, sont fortement dépendantes de l’industrie sucrière.

Par Floréal Sotto

La baisse progressive mais drastique des prix garantis sur le sucre envisagée par l’Union européenne, à l’horizon 2010, va entraîner la faillite de milliers de petits producteurs dans les pays du groupe Afrique, Caraïbes, Pacifique (ACP). Une proposition de la Commission européenne, présentée mercredi, entend réduire de 42% les prix garantis aux exportations de sucre en provenance de ces pays. Les pays ACP estiment désastreuses les conséquences socio-économiques de cette disposition.

Elle intervient à la suite du verdict rendu, en avril dernier, par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui juge illégal ce système de subventions. La mesure européenne reste néanmoins trop brutale et trop rapide pour beaucoup, dont les pays ACP. « Il y a une obsession à apporter une réforme brutale quelles que soient les conséquences pour les producteurs des pays du groupe Afrique, Caraïbes et Pacifique, dont Maurice”, a déclaré le ministre mauricien de l’Agriculture, Nando Bodha.

Les aides de l’UE en cause

Jusqu’à maintenant, l’Union Européenne (UE) garantit un prix d’achat aux producteurs de sucre, tout en imposant des quotas pour limiter la production. Ce prix garanti est environ trois fois plus élevé que celui du marché mondial : 523 euros contre 200 euros par tonne. Les agriculteurs européens et les pays du ACP bénéficient ainsi de revenus stables et d’un accès préférentiel au marché européen.

Mais, face à des pressions de plus en plus insistantes de la part de ses partenaires commerciaux, l’Europe s’est vue dans l’obligation de réviser ce système de subvention. Le Brésil, la Thaïlande et l’Australie avaient notamment porté plainte contre elle devant l’OMC, en 2004. Ces pays soutiennent que ces aides tirent vers le bas les cours mondiaux, et leur imposent des taxes élevées à l’importation, constituant ainsi une véritable barrière douanière. Ces réformes étaient attendues depuis des années, mais la condamnation de l’OMC d’avril dernier a accéléré le processus.

Une faillite programmée

Cette baisse devrait commencer dès l’année prochaine et s’étaler sur 5 ans. Dès 2006, le prix du sucre passera de 523 euros la tonne, à 496,80 euros, puis il chutera à 384,70 euros sur la période 2007/2008. A la fin du processus, entre 2009 et 2010, il ne sera plus que de 319,50 euros. Cette nouvelle touche particulièrement l’économie mauricienne, dont les principaux revenus sont liés à l’exportation de sucre. Elle a rapporté 9 milliards de roupies mauriciennes (255 millions d’euros) en 2004, emploie 22 000 planteurs et fait vivre 30 000 familles.

L’inquiétude s’est donc installée dans les petites plantations comme dans les grandes productions. Les premières sont vouées à disparaître car elles ne pourront survivre à ce choc économique. Les secondes devront entreprendre des mesures rapides de diversification de la production, pour ne pas couler. “A ce niveau de prix, on ne pourra pas survivre. Ce sera très difficile”, déclare Jean-Noël Humbert, secrétaire général de la Chambre d’Agriculture mauricienne.

Des mesures palliatives

Le projet prévoit néanmoins quelques mesures pour permettre aux pays ACP de s’ajuster. Quarante millions d’euros d’aide devraient être débloqués afin d’accompagner la diversification de leur agriculture. Mais cette aide reste dérisoire comparée à celle qui sera attribuée aux producteurs de l’UE. Ils recevront, eux, une compensation représentant 60% de la baisse. Il est a noter que des entreprises européennes devraient, quant à elles, bénéficier largement de cette baisse des prix. The Indenpendant, journal anglais, indique à titre d’exemple que « l’entreprise britannique Cadbury Schwepps, qui fabrique du chocolat et des boissons sucrées, pourrait ainsi augmenter ses marges de 105 millions d’euros par an avec cette réforme ».

Pour les pays du groupe ACP, l’acceptation de cette proposition, sans délai, équivaudrait à un manque à gagner de 400 millions d’euros par an. Ils ne s’opposent pas à une réforme nécessaire, mais souhaitent une réduction moins importante qui serait étalée sur 8 ans. Ils espèrent aussi obtenir davantage de soutien pour la restructuration et la modernisation de leurs industries. Le groupe se base sur une estimation britannique qui affirme que 500 millions d’euros seront nécessaires pour pallier le futur manque à gagner. Le groupe ACP exige que ce financement de l’UE soit disponible avant la signature de la réforme. Cependant, la proposition de la Commission ne devrait être approuvée qu’en septembre. Trois mois de sursis donc pour les pays ACP qui espèrent, plus que jamais, faire pencher la balance en leur faveur.

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