L’Érythrée claque la porte de l’Igad


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Drapeau de l'Erythrée
Drapeau de l'Erythrée

L’Érythrée a brusquement annoncé son retrait de l’Igad et ravive les tensions géopolitiques qui fracturent la Corne de l’Afrique. Cette décision, motivée par des rivalités régionales et un isolement assumé, souligne la fragilité de la coopération interétatique dans une zone en crise.

L’Érythrée a créé la surprise ce vendredi 12 décembre en annonçant son départ de l’Autorité intergouvernementale pour le développement (Igad), le bloc régional des États d’Afrique de l’Est. Cette décision intervient à peine deux ans après sa réintégration et souligne les profondes dissensions et les jeux d’alliances complexes qui agitent la Corne de l’Afrique.

L’Igad, « aucun avantage stratégique tangible »

Dans un communiqué ferme, Asmara, la capitale érythréenne, a justifié son retrait en dénonçant une organisation qui aurait « manqué et continue de manquer à ses obligations statutaires, compromettant ainsi sa propre légitimité et son mandat légal ». Le ministère des Affaires étrangères érythréen a notamment affirmé que l’Igad n’offre « aucun avantage stratégique tangible » à ses membres et ne contribue « pas de manière significative à la stabilité de la région ».

Cette rhétorique intervient alors que l’Igad, qui regroupe huit pays dont l’Éthiopie, le Soudan et la Somalie, est confrontée à de graves crises régionales. Le Soudan est embourbé dans une guerre civile sanglante, tandis que l’Éthiopie, deuxième pays le plus peuplé du continent, doit gérer des conflits internes persistants. L’Igad s’est dite prête à « regretter » la décision d’Asmara et a encouragé l’Érythrée à la « reconsidérer », tout en précisant qu’elle n’avait participé à aucune activité depuis son retour en 2023.

Le nœud de la rivalité Égypte-Éthiopie

Derrière les critiques formulées par Asmara se cachent des tensions géopolitiques plus vastes, notamment l’antagonisme historique entre l’Éthiopie et l’Érythrée, dont les relations demeurent très tendues. L’Igad est d’ailleurs dirigée par Workneh Gebeyehu, un ancien ministre des Affaires étrangères d’Éthiopie.

Selon Marc Lavergne, directeur de recherche émérite au CNRS, le retrait de l’Érythrée s’expliquerait avant tout par un alignement sur des alliances régionales divergentes. Le chercheur pointe du doigt le conflit au Soudan, où « tous les pays membres de l’Igad sont en faveur des Forces de soutien rapide, contre l’armée soudanaise, qui elle est soutenue par l’Égypte ».

L’Égypte, considérée comme le grand rival de l’Éthiopie dans la région, s’affronte notamment à Addis-Abeba sur la question du grand barrage de la Renaissance. En se désolidarisant de l’Igad, l’Érythrée, historiquement proche de l’Égypte, rompt de nouveau avec l’ensemble de ses voisins proches de l’Éthiopie, exacerbant les divisions régionales.

L’habitude de l’isolement

Ce retrait n’est pas le premier. L’Érythrée, dirigée d’une main de fer depuis son indépendance en 1993 par Isaias Afwerki, avait déjà suspendu son adhésion à l’Igad en 2007, avant de la reprendre brièvement en 2023. Le pays est l’un des plus fermés au monde.

Pour Marc Lavergne, si ce départ est « assez significatif », il ne devrait pas empêcher l’organisation de fonctionner, car « l’Igad est habituée ». L’Érythrée, selon lui, est « un pays fermé qui n’a pas de relation ou de coopération avec les autres pays de la région ». L’annonce de ce retrait souligne une nouvelle fois la fragilité des structures de coopération en Afrique de l’Est face à des intérêts nationaux et des jeux d’influence divergents.

Maceo Ouitona
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Maceo Ouitona est journaliste et chargé de communication, passionné des enjeux politiques, économiques et culturels en Afrique. Il propose sur Afrik des analyses pointues et des articles approfondis mêlant rigueur journalistique et expertise digitale
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