L’«ami personnel» du président Paul Biya vous parle


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Portrait inédit d’un doux dictateur qui rêve de passer pour un démocrate (pur et) dur.

Tuberculeux chronique, grand-père partait toujours d’une toux grasse et vibrante, sniffait son tabac à priser, se fouillait les poches et, dans la précipitation, faisait tomber de sa poche un mouchoir crasseux sur lequel était brodé en lettres d’or « Propriété de la présidence de la République du Cameroun : ne pas emporter ! »

Il se raclait la gorge avec circonspection et se mouchait dans ce petit bout d’étoffe qu’il avait toujours présenté comme un don, une preuve qu’il avait bien partagé la table du président Biya. Il en tirait des gloses aussi interminables qu’improbables. Grand-père, quoiqu’il ait eu à dire, faisait toujours foule devant sa demeure. Avant d’aborder la question de fond, le sujet sur lequel il ne tarissait jamais, son « ami très personnel » dont il tirait vanité, il nous abreuvait souvent de conseils généraux.

Ancien polygame qui avait survécu à toutes ses épouses, grand-père nous recommandait de nous marier au plus vite, en précisant qu’il fallait éviter le piège de la polygamie qui l’avait rendu malheureux en « couples ». C’est toujours en public que, d’un air spirituel, satisfait, et orgueilleux, il choisissait de me donner ses conseils les plus impératifs sur la vie.

Dans la foule, on avait beau lui objecter que j’étais un dragueur impénitent, il soutenait que « sans la liberté de draguer, il n’est point d’éloge flatteur ». Je devais selon lui prendre femme et pour prendre femme, je devais draguer sans cesse. Je l’écoutais mais ne l’entendais pas : lui-même qui s’était marié à maintes reprises, avait eu une foultitude d’enfants, finissait vieux, seul, malade, radoteur et « ragoteur ». Il n’y a que son argent qui lui maintenait un dernier quarteron de fidèles au chômage, dont moi-même.

L’argent en question ne provenait pas de ses enfants dispersés aux quatre coins de la planète comme les douze tribus d’Israël, mais d’un salaire à vie qu’il émargeait à la présidence de la république : dans la famille, on l’avait souvent soupçonné de haute sorcellerie, mais que pesait la sorcellerie auprès des billets dont il nous arrosait ? Les défauts de ceux qui nous protègent, les soupçons dont on les accable ne nous semblent-ils pas toujours hors de propos, injustifiés, en tout cas exagérés ?

Paul Biya dans la vérité de son intimité

« Paul, disait-il, est un homme courageux. » La foule poussait un «ôôôôh» d’admiration et grand-père s’empressait de préciser : « surtout quand il n’y a pas de danger…» Et comme les badauds repartaient d’un « aaaah », il menaçait d’arrêter tout net sa relation s’il continuait de percevoir des clameurs dubitatives. Un quidam disait qu’ils croyaient à tout ce que le « patriarche » racontait, l’on s’étonnait juste de ce qu’il appelât le président de la république par son prénom, sans dire : « Excellence» !

Grand-père souriait, hésitait puis reconnaissait que c’était justement l’ennui dans leur amitié. Malgré la familiarité, il fallait toujours rappeler qu’il était « le fon de tous les fons, le Nom Gui » :

 C’est le protocole ! Par exemple, quand il a mis Yves Michel Fotso en prison, je me suis un peu fâché après lui. Mais suivant le protocole ! C’est-à-dire que avec ce portable-ci, alors qu’il ne me voyait pas, j’ai enlevé mon chapeau et soutenu avec force :’’C’est une sottise présidentielle, Excellence monsieur le président de la république, chef des armées et du conseil supérieur de la magistrature, président à vie du RDPC, vous qui avez la magnanimité de faire de moi le premier des amis camerounais.

Tout le monde s’extasiait qu’un fils de la Lékié (département dans lequel le président Biya est réputé avoir enterré une grande partie de ses gris-gris) pût dire au président qu’il lui arrivait d’être sot. Un hurluberlu s’enquerrait :

 J’avais lu dans Jeune Afrique que le président s’ennuyait, qu’il lui arrivait de déprimer : est-ce vrai ?

 Ignorantus, ignoranta, ignorantum ! Penses-tu ? Il chantonne tout le temps son bonheur d’être lui-même, et est tout entier dans son identité officielle. Même Chantal, la première dame, l’appelle « mon roi » !

 Est-elle vraiment telle qu’on la voit ?

 Oh que oui : 24heures par jour, elle est toute à sa joie d’être la jeune et jolie femme d’un président éternel.

 Est-il vrai que le président a planqué une partie de ses gris-gris dans les cheveux de son épouse ? N’est-ce pas une confiance trop grande accordée à une femme ?

 Elle-même ne le sait pas : la tête de cette femme est un océan de secrets que l’amitié m’interdit de dévoiler.

Je demandais, dubitatif :

 Grand-père, il est quand même humain et mortel, non ? Il finira bien par rentrer dans la vallée de l’ombre de la mort…

 Mon fils, je l’ai touché. De mes mains, je l’ai palpé, il est de chair et d’os, mais le Christ lui-même ne l’était-il pas ? Puisqu’il s’agit d’un homme extraordinaire, le processus de sa fin sera spécial.

 Il va s’élever dans les cieux et on ne retrouvera pas son corps ? Hasardai-je de bonne foi.

Un badaud compléta : « Peut-il transformer le pain en levain ?» (sic)

 Non, mes pauvres enfants ! Pour que la mort n’ait sur son corps aucun effet, il va commencer par pourrir, puis après seulement il daignera crever.

« ôôôôh ! » faisait la foule convertie, ce petit peuple paysan, dont mon grand-père était à lui seul toute l’aristocratie, admirait tellement le président Biya qu’il n’avait jamais compris que l’on veuille nous le changer.

 Dis-nous, toi le premier des amis, y’a-t-il des mendiants à la présidence ou bien c’est toujours vide alentour comme dans les photos ?

 Votre bêtise m’exaspère ! On fait comme partout, au moment de prendre les photos, on chasse les mendiants ! Mais les mendiants là-bas sont toujours en veste et cravate et ont tous longuement étudié la physique nucléaire et d’autres sciences alambiquées qui commencent parfois par pétro…

 Que fait-il même de tous ses milliards ?

 Quand vous gagnerez autant d’argent que lui, vous gagnerez le droit de critiquer sa façon de dépenser sa fortune. En attendant, sachez sombres idiots que l’argent c’est fait pour être enterré dans les banques. De quoi vivent les banques selon vous ?

 ô toi l’ami du premier des amis, toi qui as vu Dieu et côtoyé ses anges, que sais-tu de la succession ? N’a-t-il pas injustement hypothéqué l’avenir de Junior en plaçant si haut l’âge minimal pour être présidentiable ? En 2018, le pauvre n’aura que 23 ans !

 Vous me découragez tellement vous êtes bêtes et incultes ! Si le président Biya a pu faire sauter le verrou limitatif qui l’empêchait de se représenter, croyez-vous qu’il ne pourrait pas faire éclater l’âge restrictif et le ramener à 22 ans ? En fait, il m’avait dit lui-même que ce serait plutôt Franck… Junior a encore beaucoup à apprendre.

 Les mauvaises langues disent que Franck n’est pas le vrai fils de Paul Biya !

 Ce sont de très mauvaises langues, vous l’avez dit. Les mêmes ragots n’avaient-ils pas circulé sur Joseph Kabila ? Franck Biya est bel et bien le fils de l’actuel Président de la République dont il recevra en héritage le palais de l’unité. Seulement, techniquement, cela est impossible parce que son père n’en avait que l’usufruit, le temps que les procédures judiciaires du peuple camerounais, nu-propriétaire, aboutissent, cet homme, qui bénéficiera d’une garantie d’éviction provisoire de l’armée et des institutions, parce qu’il est au moins aussi Camerounais que ses plaignants, cet homme restera Président de la république douze ou quatorze ans après la disparition de son père. Et c’est tant mieux, il ne peut en tout cas qu’être meilleur que son père, et par suite tous les rivaux qui lui seront donnés avec son héritage !

Mon grand-père est mort, le Biyatisme lui survit

Si je peux révéler certains extraits de nos conversations à bâtons rompus, c’est que mon grand-père est mort récemment. Évidemment, je n’ai pas l’intention d’annoncer sa mort au président de la république qui pourrait me couper les vivres. Je continue donc à toucher son salaire, grand-père, comme je l’ai indiqué plus haut, émargeait à la présidence de la république et cela faisait plusieurs mois que j’allais sur procuration retirer son salaire à vie d’ « ami très personnel » du président, dans une banque à Yaoundé.

Mon grand-père n’avait pour seul diplôme qu’un CEPE (certificat d’études primaires et élémentaires) mais maîtrisait comme personne la langue française. Il m’a demandé de faire vivre après lui le biyatisme. Les promesses faites aux morts n’ont aucune valeur juridique, alors je tournerai ma veste quand cela me plaira : « Dans le mot biyaïsme, utilisé par certains auteurs, disait grand-père, il y a un hiatus rédhibitoire. Pour des besoins d’euphonie, ne convient-il pas, au moment de la suffixation (isme), de parrainer cet i bien solitaire (et pourtant de trop : quatrième voyelle de suite) par un t intercalaire rompu à ce genre de tutorat ? Biyatisme serait donc plus adéquat, plus élégant ; du reste les analogies dans les gentilés et les noms propres lexicalisés sont plus nombreuses, qui correspondent à la formation de ce néologisme. »

Bref, tant que le salaire de grand-père passe, comme de nombreux Camerounais qui n’ont ni faim ni soif, il me sera très difficile de scier la branche sur laquelle je suis assis, de mordre le sein qui me nourrit et de ne pas chanter comme je le fais in petto les louanges de l’éternel président !

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