L’âme de la musique brésilienne


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Pour ceux qui ne connaissent pas encore le choro, un conseil : courez voir le film de Mika Kaurismäki, Brasileirinho. Vous y apprendrez tout ce qu’il faut savoir sur ce genre musical brésilien, né en 1870 à Rio, métissage de mélodies européennes et de sonorités afro-caribéennes, considéré comme la première musique urbaine du Brésil. Un régal pour les yeux et les oreilles.

Brasileirinho commence par un plan de Rio de Janeiro dans le soleil couchant … Oubliez le cliché de carte postale, ce n’est pas un énième documentaire sur la ville du Brésil. Le sujet du film est le choro. Un genre musical brésilien, né en 1870 à Rio, et dont l’histoire est celle d’un métissage. En effet, le choro est né de trois influences : l’harmonique européenne que l’on trouve dans les danses de salon, comme la valse ou la polka, les rythmes africains et une certaine « mélancolie indienne ». Ce fût la première musique urbaine du Brésil, bien avant le samba et la bossa-nova. Pour la musicienne Luciana Rebello, le choro « est l’âme de la musique brésilienne » et a influencé les plus grands compositeurs du pays, de Baden Powell à Tom Jobim.

C’est une musique urbaine qui s’est développée parmi des populations blanches et métisses, ce qui fait dire à certains qu’elle serait « bourgeoise » comparé au samba, apparu plus tardivement et accaparé par les populations noires. Mais le film montre avec éclat combien ce genre est aujourd’hui populaire parmi toutes les classes sociales. Pour le joueur de trombone Zé da Velha, « le choro, c’est le jazz brésilien » et le film permet d’évoquer ses grands noms comme Pixinguinha, considéré comme l’un des plus grands compositeurs du style. D’ailleurs, le Brésil célèbre chaque 23 avril la Journée nationale du choro, cette date étant celle de la mort de Pixinguinha.

Il démode toutes les modes

L’on suit avec bonheur la caméra de Mika Kaurismäki, dans le tram qui monte à Santa Teresa, le quartier bohême des artistes cariocas, sous les arcades de Lapa, quartier populaire qui fourmille de bars, les gafieiras… Car le bar, c’est « l’école du choro », explique un musicien. Tout au long du documentaire, la bière coule d’ailleurs aussi vite que les mélodies… Mika Kaurismäki s’entretient avec des « anciens » et ceux qui ont façonné la musique dans les années 70, revenant avec eux dans leurs lieux fétiches de l’époque. C’est le cas de Joel Nascimento, « né dans le milieu du choro », et dont la mandoline « fait partie de son cœur », comme il le dit lui-même si joliment.

Mais le réalisateur tient à montrer combien le genre a su traverser les années et les modes. Il est aujourd’hui très présent à Rio où une nouvelle génération de musiciens tournent tous les soirs en « rondes » (rodas de choro) dans les bars, cabarets et principaux lieux culturels de la ville. Il a choisi comme fil rouge le groupe Trio Madeira Brasil : Ronaldo do Bandolim à la mandoline, Marcello Gonçalves à la guitare 7 cordes et Zé Paulo Becker à la guitare. A côté de ce groupe rôdé, qui tourne à l’international, le réalisateur filme aussi la relève. Dans une école de choro du centre, les plus grands musiciens du moment transmettent leur art chaque semaine à quelque 400 jeunes…

Genre à facettes

Le documentaire permet aussi de jouir de très beaux moments de musique en compagnie du virtuose Yamandù Costa, qui a commencé la guitare à 7 ans et se révèle, dès ses 17 ans comme un des génies de la musique brésilienne. Le voir jouer (en live, c’est encore meilleur !), est un régal : il a une relation quasi-charnelle avec son instrument. Avant un concert important, cet artiste inspiré prend soin de ses ongles comme pour un rendez-vous galant ! « C’est un instrument intelligent… qui propose des idées », dit-il en regardant amoureusement sa guitare… Pour finir, un petit saut du côté de la fusion, avec la ravissante Teresa Cristina à la voix et à la peau de miel, magnifique interprète du samba-choro… Le film fait le tour des facettes du genre et montre à quel point le choro est une musique « à jouer » mais aussi à « danser », qui peut être terriblement sensuelle ou incroyablement festive. « Mon idée était d’essayer de raconter le choro à travers ceux qui en jouent, qui en vivent », explique le réalisateur. Et il a réussi. On peut seulement regretter certains parti-pris de réalisation de Mika Kaurismäki qui enlèvent un peu de « spontanéité » à certaines scènes.

Le tournage, qui a duré trois semaines, a été entièrement réalisé à Rio et en une seule prise. Mika Kaurismäki, réalisateur et producteur finlandais (son frère, Aki, est aussi réalisateur), s’est installé à Rio dans les années 90. Passionné de musique, il a ouvert un club et réalise en 2002, Moro no Brasil, son premier documentaire sur la musique brésilienne, qui se focalise alors sur le samba.

Brasileirinho de Mika Kaurismäki (documentaire musical, 1h30, Suisse-Finlande-Brésil, 2005), sortie française le 31 août.

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