L’Ambassadeur de France au Sénégal enfonce Karim Wade


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Jean-Christophe Rufin, Ambassadeur de France au Sénégal de 2007 à 2010, a eu des relations «compliquées» avec la famille Wade, lorsqu’il était en poste à Dakar. L’écrivain revient sur ses difficultés, sur la tentation qu’ont eue un temps les autorités françaises de soutenir Karim Wade. Ce dernier séjourne actuellement en prison. Sur RFI, mercredi 17 avril, Rufin, qui fut un ambassadeur très bavard pour le régime Wade, a donné son avis sur la question actuelle qui secoue le Sénégal, à savoir les ennuis judiciaires de Karim Wade.

De notre correspondant, à Dakar

Karim Wade n’avait pas de fortune particulière

«Ce qui ne me paraît pas très étonnant, et que tout le monde savait là-bas (au Sénégal), c’est que que toutes les activités de Karim Wade lui avaient rapporté beaucoup d’argent, c’est certain. Des activités multiples, qui étaient quand-même toujours liées à la politique. Quand il est arrivé à des responsabilités, il n’avait pas de fortune particulière. C’est un garçon jeune, d’abord, qui avait travaillé à Londres dans un cabinet financier. Maintenant, sur le montant (694 milliards FCFA, soit 1 milliards d’euros), je ne peux rien dire. Mais je ne suis pas surpris», a lancé l’ancien Ambassadeur qui, au bout de trois années à la tête de la chancellerie, a fini par «céder» devant les pressions de Dakar qui rechignait à garder en poste un diplomate français très regardant sur la situation critique d’un pays hôte.

Comment Wade a déposé Macky Sall pour protéger Karim

Rufin revient sur les pratiques peu orthodoxes de la dynastie Wade qui ont entraîné la destitution de Macky Sall à la tête de l’Assemblée nationale. «Vous savez que l’une des raisons des difficultés que j’ai pu avoir avec la famille Wade, c’est que, précisément, il y avait déjà à ce moment-là des manœuvres pour éviter que Karim Wade ne soit interrogé et ne rende des comptes. À l’époque, c’était surtout sur son activité à la tête de l’organisation de l’OCI. Cette institution, qui devait organiser le sommet de l’OCI, avait brassé beaucoup d’argent de façon un peu mystérieuse. L’actuel président, Macky Sall, était à cette époque président de l’Assemblée nationale. Il avait demandé des explications à Karim Wade. Cette simple requête était apparue au père, au président Wade à l’époque, comme une sorte de crime de lèse-majesté. Le président Wade avait alors changé la Constitution, pour changer la durée du mandat du président de l’Assemblée nationale. Et, au fond, déposer Macky Sall. Et Macky Sall a traversé des moments très difficiles à la suite de cette épreuve », note l’écrivain qui revient sur la légendaire démocratie existant au Sénégal. « Le Sénégal est un pays qui a une longue habitude de la démocratie. Le peuple sénégalais est habitué à choisir ses dirigeants par le vote. Ce n’est pas si courant en Afrique. Il y a une vraie culture démocratique qu’il nous faut respecter ».

Soutien de Sarkozy à Wade dans la dévolution monarchique

Et de souligner la position de la France sur la dévolution monarchique du pouvoir à laquelle Wade voulait opérer. « Nous n’avions pas, nous Français, à prendre parti. Et surtout pas à prendre parti pour Karim Wade. S’il avait été élu démocratiquement, et bien nous devions nous ranger évidemment au suffrage qui aurait été exprimé. Mais s’il n’y arrivait pas, ce n’était pas à nous de le pousser. À l’époque, toute l’activité du président Wade – ce qui a d’ailleurs entraîné sa chute à mon avis – consistait à vouloir entrer dans un processus, qui n’était plus un processus démocratique, mais un processus de dévolution en quelque sorte monarchique du pouvoir à son fils. Et ça, je m’y suis totalement opposé, depuis le début. Au moment de l’élection de 2012, la France s’est abstenue de peser dans un sens ou dans un autre. Elle a laissé le processus démocratique se dérouler. Ce qui a abouti à l’alternance, au départ du président Wade. Mais ce n’était pas gagné ». Rufin va plus loin en pointant du doigt accusateur l’ancien Président Sarkozy en ces termes : « Je pense que la tentation a existé, pendant un certain temps, du côté des autorités françaises – du côté des plus hautes autorités à l’époque, c’est-à-dire du président de la République – de montrer des signes qui auraient pu laisser entendre que Karim Wade était le candidat de la France. Finalement, cela n’a pas été le cas, et c’est tant mieux».

Karim Wade devenu ministre de tout

Revenant sur Karim Wade, Rufin soutient que «c’est un garçon qui savait être charmant, charmeur, mais qui savait être dans l’ensemble très cassant. Et à mon avis, il faisait état de compétences financières qui étaient fortement exagérées. Son père le considérait comme un génie de la finance. Moi je n’ai jamais été impressionné par les qualités de Karim Wade en tant que gestionnaire. En revanche, il a certainement su fructifier sa propre fortune. Ça, c’est autre chose…Mais pour le Sénégal, il avait souvent des idées qui me paraissaient un peu simplistes. Quand il est entré en responsabilité du grand ministère (ministre d’État, ministre de la Coopération internationale, de l’Aménagement du territoire, des Transports aériens et des Infrastructures, ndlr)-un ministère qui couvrait 7 ou 8 départements ministériels, on disait qu’il était ministre de tout. Il avait dit qu’il voulait créer une compagnie aérienne (Sénégal Airlines qu’il a fini par créer, ndlr). Il avait des vues très larges sur la flotte, qu’il voulait acheter comptant, avec des tas d’avions etc. On avait l’impression de quelqu’un qui voyait très grand, ce qui en soi n’est pas un défaut, mais qui n’avait pas les moyens de ses ambitions ».

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Journaliste pluridisciplinaire, je suis passionné de l’information en lien avec l’Afrique. D’où mon attachement à Afrik.com, premier site panafricain d’information en ligne
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