
Réunis en séance plénière à Alger, les députés de l’Assemblée populaire nationale (APN) ont adopté ce mercredi 24 décembre 2025 une loi qualifiant officiellement la colonisation française de « crime d’État ».
Le vote, hautement symbolique, est présenté par ses promoteurs comme un acte de souveraineté, de fidélité à l’histoire nationale et de reconnaissance institutionnelle des souffrances subies par le peuple algérien durant cent trente-deux ans de domination coloniale.
Un vote solennel à forte portée historique
La séance s’est ouverte dans une atmosphère solennelle, marquée par l’intonation de l’hymne national. Convoqués par le président de l’APN, Brahim Boughali, les 407 députés ont été appelés à se prononcer sur un texte examiné depuis le 20 décembre. Pour le perchoir, il agissait d’un « message politique clair », traduisant l’attachement de l’Algérie à ses droits inaliénables et à la mémoire des sacrifices consentis par son peuple.
En adoptant cette loi, le Parlement algérien entend inscrire dans le droit positif une lecture officielle de la période coloniale, considérée comme fondatrice de l’identité nationale contemporaine. Le texte consacre ainsi une position longtemps portée dans le discours politique et historiographique algérien, mais jamais formalisée à ce niveau institutionnel.
Criminaliser la colonisation pour reconnaître les crimes
La loi qualifie explicitement la colonisation française, qui s’est étendue de 1830 à 1962, de crime d’État. En cinq chapitres, elle recense les exactions commises durant cette période : tortures systématiques, exécutions sommaires, pillages, déplacements forcés de populations, spoliations foncières et répression violente des résistances. Elle érige ces faits en crimes et pose les bases d’une responsabilité historique et morale attribuée à la France.
Le texte va au-delà de la reconnaissance symbolique. Il réclame des « excuses officielles » de l’État français pour les crimes commis, présentées comme un préalable indispensable à toute « réconciliation mémorielle » entre les deux pays. Une exigence ancienne de l’Algérie, régulièrement réaffirmée par ses dirigeants, mais jusqu’ici restée sans réponse formelle de Paris.
Indemnisation, archives et héritage nucléaire
La loi prévoit également une « indemnisation complète et équitable » pour les préjudices matériels et moraux causés par la colonisation. Elle appelle la France à restituer l’ensemble des archives liées à cette période, notamment celles concernant les essais nucléaires réalisés dans le Sahara algérien et les cartes des zones minées laissées à l’abandon après l’indépendance.
Alger demande en outre la décontamination des sites affectés par les essais nucléaires français, dont les conséquences sanitaires et environnementales continuent, selon les autorités algériennes, de peser sur les populations locales. Le texte introduit également des peines de prison ferme à l’encontre de toute personne glorifiant la période coloniale sur le territoire algérien, une disposition qui vise à sanctuariser la mémoire nationale et à prévenir toute relativisation des crimes coloniaux.
Une volonté politique ancienne, un aboutissement inédit
Depuis 2001, il s’agit de la troisième tentative de faire adopter une loi de criminalisation de la colonisation française. En 2005, le Président Abdelaziz Bouteflika avait bloqué un projet similaire, dans un contexte diplomatique jugé alors trop sensible. Vingt ans plus tard, le contexte a profondément évolué, marqué par des relations algéro-françaises régulièrement tendues et par une centralité accrue des enjeux mémoriels dans le débat politique algérien.
La loi s’inscrit également dans le prolongement des débats internationaux sur la reconnaissance des crimes coloniaux. En 2021, le Président français, Emmanuel Macron, avait qualifié la colonisation de l’Algérie de « crime contre l’humanité », sans toutefois présenter d’excuses officielles au nom de l’État français, une nuance que les autorités algériennes n’ont jamais cessé de souligner.
Réactions prudentes de Paris face à un acte de souveraineté mémorielle
Côté français, la réaction est restée mesurée. Interrogé par l’Agence France-Presse, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Pascal Confavreux, a indiqué que la France ne commentait pas « des débats politiques qui se passent dans des pays étrangers ». Une position de réserve diplomatique qui contraste avec la portée symbolique du texte adopté à Alger.
Pour ses promoteurs, la loi ne vise pas seulement la France, mais aussi les générations futures. Elle entend fixer un cadre juridique et moral à la mémoire nationale, en érigeant la colonisation en crime reconnu par l’État algérien lui-même. À travers ce vote, le Parlement algérien affirme sa volonté de reprendre la maîtrise du récit historique et d’inscrire la question coloniale au cœur de la souveraineté politique et identitaire du pays.
Au-delà de ses effets juridiques concrets, cette loi marque un tournant : celui d’un État qui choisit de faire de la mémoire un acte législatif, et de l’histoire un enjeu pleinement politique, au moment même où les relations avec l’ancienne puissance coloniale demeurent fragiles et chargées de non-dits.



