L’Afrique face à la diagonale terroriste : que faire ? (2)


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Deuxième partie – La tragédie récente de Naïrobi nous donne incontestablement matière à penser. La logique de la terreur, d’aussi loin que l’on remonte dans l’histoire de l’humanité, est celle de l’instrumentalisation de la peur engendrée par une violence sans bornes pour soumettre les foules au diktat de minorités assoiffées de jouir du pouvoir pour le pouvoir.

Refusant les perspectives de lucidité d’un tel bilan contrasté, les anticolonialistes dogmatiques du continent africain nous serinent leur thèse sempiternelle sur les raisons de la vulnérabilité africaine au terrorisme. Globalement, ils imputent la faute à l’Occident impérialiste et capitaliste. Ce serait, nous disent-ils, parce que l’Occident, après le ravage esclavagiste et le rapt colonial, n’a pas renoncé à faire de l’Afrique une réserve gratuite de matières premières que les Etats africains ne sont pas structurés, et par conséquent qu’ils sont livrés à la logique du plus fort.

La responsabilité des Africains est fortement engagée

Le terrorisme fondamentaliste, finalement, nous disent les anticolonialistes dogmatiques, n’est que la reproduction miniaturisée du geste scandaleux d’accaparement accompli par les Occidentaux en Afrique depuis des siècles, par les moyens de l’occupation armée, de l’administration forcée des Africains, de la répression des mouvements indépendantistes africains, et du soutien régulier des grandes puissances occidentales aux dictatures africaines qui garantissent, cela est connu de longue date, l’approvisionnement gratuit des économies occidentales en matières premières de haute portée stratégique. Ce raisonnement n’a-t-il pas, comme toute analyse marxiste de l’exploitation de l’homme par l’homme, le mérite d’une circularité et d’une cohérence qui semblent imparables ? Il ne faudrait pas s’en laisser abuser, car le fonds négligé de l’affaire est ailleurs : la lutte contre le terrorisme en Afrique ne saurait se passer d’un anticolonialisme critique, qui prendrait acte de la situation post-coloniale de responsabilité inexcusable des Etats et Nations africains dans leur histoire. Le commencement authentique de l’émancipation des individus comme des peuples est aussi, voire d’abord une décision libre et radicale de la volonté d’affronter le destin. En effet, malgré les relations de dépendance économique et stratégiques demeurées très importantes entre les Etats africains et leurs anciennes métropoles coloniales, la responsabilité des Africains dans les six dernières décennies de leur histoire est fortement engagée. Les détournements de fonds publics, les pratiques génocidaires, le refus de promouvoir la démocratie au cœur des institutions africaines, le refus de prendre résolument en charge les défis de l’industrialisation écologique, de l’égalité des sexes, de l’inclusion des apatrides, de l’intégration régionale voire continentale, de la lutte commune contre la misère, contre les pandémies et les épidémies, toutes ces tares de la politique africaine sont des gestes volontaires de coteries de l’élite africaine qui savent que la modernisation du continent les emporterait dans l’oubli. Le pouvoir actuel de la Terreur n’est-il pas exploité par de nombreuses élites africaines, comme un alibi pour justifier la persistance de pouvoirs arbitraires aux sommets des Etats ? N’est-ce pas, en pareille situation, l’absence de démocratie, la fragilité de l’Etat de droit et de la bonne gouvernance en Afrique, qui sont les compagnons attitrés de la prolifération des nébuleuses terroristes ? Comment oublier que c’est dans la faille inespérée de la pauvreté organisée des Africains par les Africains que l’humanitarisme salafiste s’est engouffré pour faire de nos faiblesses infrastructurelles, sa force superstructurelle ?

C’est l’homme qui fait la religion, non le contraire

Enfin, on a voulu se débarrasser du terrorisme fondamentaliste en même temps que de la religion. Une vision gauchiste de la situation africaine contemporaine trouve ici son sillon fécond. Ne suffirait-il pas d’expliquer le lien de nécessité qu’il y aurait entre l’affirmation que la vie humaine sera meilleure après la mort et l’exploitation cynique des masses appauvries d’Afrique pendant leur existence ici-bas ? Il n’est pas inutile de citer à nouveau Marx et Engels, à l’origine de la thèse que reprennent allègrement nos gauchistes africains :
« Le fondement de la critique irréligieuse est : c’est l’homme qui fait la religion, ce n’est pas la religion qui fait l’homme. Certes, la religion est la conscience de soi et le sentiment de soi qu’a l’homme qui ne s’est pas encore trouvé lui-même, ou bien s’est déjà reperdu. Mais l’homme, ce n’est pas un être abstrait blotti quelque part hors du monde. L’homme, c’est le monde de l’homme, l’Etat, la société. Cet Etat, cette société produisent la religion, conscience inversée du monde, parce qu’ils sont eux-mêmes un monde à l’envers. La religion est la théorie générale de ce monde, sa somme encyclopédique, sa logique sous forme populaire, son point d’honneur spiritualiste, son enthousiasme, sa sanction morale, son complément solennel, sa consolation et sa justification universelles. Elle est la réalisation fantastique de l’être humain, parce que l’être humain ne possède pas de vraie réalité. Lutter contre la religion c’est donc indirectement lutter contre ce monde-là, dont la religion est l’arôme spirituel. La détresse religieuse est, pour une part, l’expression de la détresse réelle et, pour une autre, la protestation contre la détresse réelle. La religion est le soupir de la créature opprimée, l’âme d’un monde sans cœur, comme elle est l’esprit de conditions sociales d’où l’esprit est exclu. Elle est l’opium du peuple. L’abolition de la religion en tant que bonheur illusoire du peuple est l’exigence que formule son bonheur réel. Exiger qu’il renonce aux illusions sur sa situation c’est exiger qu’il renonce à une situation qui a besoin d’illusions. La critique de la religion est donc en germe la critique de cette vallée de larmes dont la religion est l’auréole. »[1]

Imparable démonstration de la vacuité de l’expérience religieuse ?

On serait tenté d’y souscrire, tellement elle paraît couler de source ! L’Afrique contemporaine doit pourtant s’en méfier autant que du dogmatisme fondamentaliste. Réduire, comme le font ici Marx et Engels, la religion au déguisement symbolique de l’exploitation des masses exploitées, c’est en réalité jeter le bébé et l’eau du bain. Certes, nos deux penseurs allemands eurent raison de pointer, sur la base de l’expérience récurrente de la collusion des forces d’exploitation politico-économique et des institutions religieuses à travers l’histoire, l’impact négatif du prosélytisme religieux sur les luttes émancipatoires de nombreuses sociétés. Mais, il importe au plus haut point de signaler que si cette complicité criminelle du religieux et du politique mérite, hier comme aujourd’hui d’être combattue, il ne faudrait pas en déduire que la portée sociale de la religion s’y épuise nécessairement. Une critique[2] des expériences religieuses africaines aboutirait-elle nécessairement à leur récusation totale et radicale ? Loin s’en faut. L’expérience de l’engagement des religions pour la construction effective de la paix civile, dans la solidarité désintéressée envers les pauvres de tous pays, dans l’avènement d’une civilisation universelle de la non-violence, dans leur dévouement dans la lutte contre la misère et la dévastation écologique de la planète, plaide aussi pour un bilan objectivement mitigé, en tout cas contrasté du phénomène religieux à travers l’histoire. Comme nous l’ont montré les expériences de l’incorporation du christianisme en Afrique, ou celles des théologies de la libération en Amérique latine, sans oublier la belle histoire de la résistance spirituelle du bouddhisme tibétain ou l’engagement des justes de toutes religions contre l’extermination des Juifs lors de la deuxième guerre mondiale, la religion, sainement pratiquée comme quête sincère d’un vivre-ensemble harmonieux avec tous les autres humains, est une force d’utopie non-négligeable dans la construction de nos sociétés contemporaines. Utopie qui signifie ici, au sens d’Ernst Bloch[3] notamment, construction de la cité sur des valeurs testées et attestées comme promotrices d’un avenir continuellement fécond pour les nouveaux-nés. Du coup, la lutte contre le terrorisme fondamentaliste en Afrique ne suppose-t-elle pas la défense des forces positives d’utopie dont les pratiques religieuses compatibles avec la consolidation des cités démocratiques sont porteuses ?

Tel est le paradoxe qu’explorera la deuxième partie de la présente tribune : il s’agira de montrer que pour sauver l’Afrique contre le terrorisme, il importe tout autant de consolider la démocratie que de défendre la valeur utopique des religions à travers le continent.
D’où le sous- titre de la 2ème partie que nous annonçons : « Consolider la démocratie et sauver les religions en Afrique ».

Lire la première partie de l’analyse

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