L’Affaire des disparus du Beach n’entamera pas l’amitié franco-congolaise


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Annulation de la procédure de Meaux, pressions exercées sur les plaignants au Congo… Les autorités françaises et congolaises ne semblent pas vouloir donner suite à l’information judiciaire ouverte par les familles des victimes et les rescapés des massacres du Beach de 1999. C’est ce que constatent les organisations des droits de l’Homme qui, lors d’une conférence de presse à Paris, ont montré l’implication des relations franco-congolaises sur l’appareil judiciaire.

Par Valentine Lescot

La visite du chef d’Etat français à son homologue congolais, cette semaine, laisse pensives les organisations humanitaires. La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH), la Ligue des droits de l’Homme (LDH) et l’Observatoire congolais des droits de l’Homme (OCDH) notent que ce déplacement “ consacre la bonne entente entre Jacques Chirac et Denis Sassou Nguesso, quelques semaines après l’annulation de la procédure concernant l’affaire des disparus du Beach ”. En mai 1999, entre 350 et 400 réfugiés de retour au Congo-Brazzaville, sous la protection du Haut commissariat aux réfugiés (HCR) qui avait délimité un couloir humanitaire censé les protéger, disparaissaient après avoir été enlevés par des forces de l’ordre congolaises. Il s’agissait, pour la plupart, d’hommes âgés de 15 à 45 ans. Une instruction judiciaire était en cours en France, selon la compétence universelle des juridictions françaises pour juger des crimes contre l’Humanité, quelque soit la nationalité des auteurs et le lieu d’accomplissement des crimes (à condition que l’auteur présumé se trouve dans l’Hexagone au moment des faits).

Mais le 23 novembre 2004, la première chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris annule la procédure ouverte par le parquet de Meaux contre X pour tortures, actes inhumains et disparitions. Celle-ci faisait suite à une plainte déposée en décembre 2001 par la FIDH, la LDH et la OCDH au procureur de la République contre quatre personnalités congolaises : Denis Sassou Nguesso, Président de la République du Congo, Norbert Dabira, Inspecteur général des armées, Pierre Oba, ministre de l’Intérieur, et Blaise Adoua, commandant de la Garde républicaine. “ Le dossier, construit au fil des mois après de multiples auditions et témoignages, faisait remonter la responsabilité de cette affaire au Président Sassou Nguesso. C’était donc un dossier explosif pour le Congo-Brazzaville et pour les relations entre la France et son ancienne colonie ”, souligne Patrick Baudouin, avocat des parties civiles, lors d’une conférence de presse organisée à la FIDH, mardi à Paris, sur “ Les dessous de l’affaire du Beach ”. La procédure s’est rapidement compliquée car “ l’implication du politique sur le judiciaire devenait de plus en plus forte ”, dit-il. Retour sur les actes.

Le directeur de la Police nationale congolaise interpellé…

Norbert Dabira, qui dispose d’une résidence secondaire à Meaux, est entendu par le juge d’instruction de Meaux, Monsieur Gervillié, en juillet 2002. Il est convoqué une seconde fois en septembre, mais ne vient pas. Le juge d’instruction reçoit un communiqué du gouvernement congolais refusant l’audition de Dabira. Deux mois auparavant, Jacques Chirac recevait Denis Sassou Nguesso à Paris. Selon Patrick Baudouin, l’affaire avait dû être discutée entre les deux chefs d’Etat. Peu après, le procureur de la République (qui représente le ministère public, donc l’Etat) transmet une note au juge dans laquelle il lui demande “ de le tenir informé en temps réel de tout acte qui serait institué ”.

“ Mais le point d’orgue qui va déclencher une mascarade judiciaire est l’interpellation le 1er avril 2004 de Jean-François Ndengue, directeur de la police nationale du Congo, qui a également une résidence secondaire à Meaux ”, continue Patrick Baudouin. L’homme, auditionné par le juge Gervillié, dit bénéficier d’une immunité diplomatique. Il présente alors un passeport diplomatique, “ qui ne constitue nullement un justificatif d’immunité ”, précise l’avocat, et un ordre de mission… vierge de tout ordre de mission. Sollicité par l’instruction, le Quai d’Orsay assure que Ndengue n’a pas d’accréditation diplomatique. Quelques heures plus tard, le Quai d’Orsay envoie pour confirmation une réponse un peu différente : “ Selon des informations recueillies auprès de l’ambassade du Congo, Monsieur Ndengue est à Paris pour une visite officielle ”. L’ambassadeur du Congo, Henri Lopez, fait ensuite parvenir une attestation écrite. Celle-ci est alors transmise au procureur du tribunal de Meaux qui requiert la fin de la garde à vue. Mais le juge d’instruction la poursuit et Jean-François Ndengue est mis en examen puis placé en détention provisoire le 2 avril.

… puis relâché sur ordres venus “ d’en haut ”

Le Parquet s’y oppose et fait appel de cette décision. La présidente de la chambre d’instruction de la Cour d’appel de Paris est alors convoquée dans la nuit du vendredi à samedi, le 3 avril, pour mettre fin à la détention. “ Jamais je n’ai vu un président de chambre d’instruction venir à 2 heures du matin rendre une ordonnance ”, souligne Michel Tubiana, président de la LDH et avocat. Ndengue est libéré sur le champ et s’envole pour le Congo. Le procureur de Meaux demande ensuite l’annulation des actes d’instruction concernant la personne de Ndengue. Raison invoquée : une erreur de procédure. Celle-ci aurait dû dès le départ ne viser qu’une seule personne, en l’occurrence Norbert Dabira, et non être ouverte contre X. C’est-à-dire contre toute personne dont l’instruction peut révéler la culpabilité. La décision de la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris est allée au-delà des attentes du procureur en annulant la totalité de la procédure. “ C’est un jeu politique, une justice aux ordres, de nuit ”, conclut Patrick Baudouin.

Pour la FIDH, l’objectif des autorités françaises et congolaises semble clair : faire en sorte que l’affaire soit jugée non pas en France mais au Congo-Brazzaville, ce qui permettrait de démontrer “ qu’il n’y a pas eu de massacres du Beach ”, selon les dires de Sassou Nguesso. Le président de la Ligue contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA) et député UMP Patrick Gaubert s’est même rendu, en juillet 2004, à Brazzaville, afin de soutenir la tenue du procès dans la capitale congolaise, arguant que là-bas “ l’ensemble de cette affaire se déroule de manière tout à fait démocratique ” et que “ les accusations en France n’étaient sans doute pas si solides ”. Après n’avoir jamais estimé nécessaire d’engager des poursuites suite à une plainte contre X déposée en 2000, la justice congolaise a finalement relancé la procédure en 2002, au moment où la France entamait une instruction. Or, “ comment une justice dont les magistrats sont nommés par le Président, peut fonctionner avec impartialité ? ”, s’interroge Roger Bouka, directeur de l’OCDH. Pressions et intimidations se sont multipliées sur les témoins et les victimes. “ Quand j’ai été reçu par un juge de Brazzaville, celui-ci m’a dit : ‘Je n’ai pas votre courage. Je ne peux pas suivre votre dossier’ ”, témoigne Marcel Touanza, président du collectif des familles de disparus.

L’affaire a été portée par les parties civiles devant la Cour de cassation, qui doit rendre sa décision au plus tard à la fin de cette année. “ Nous irons jusqu’au bout. Nous mettrons en lumière les complicités politiques et les tentatives d’étouffement de la justice ”, déclare Michel Tubiana. Par ailleurs, le directeur de la FIDH, Antoine Bernard rappelle que la France préside, cette semaine à la Commission des droits de l’Homme de l’Organisation des Nations Unies à Genève (Suisse), un groupe de travail sur “ l’élaboration d’un projet d’instrument juridiquement contraignant contre les disparitions forcées ”. Sur son initiative…

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