Kokou Edem Tengue : « L’Afrique a des cartes maîtresses à jouer dans le contexte d’inflation »


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Kokou Edem Tengue, ministre togolais de l’Économie maritime, de la Pêche et de la Protection côtière
Kokou Edem Tengue, ministre togolais de l’Économie maritime, de la Pêche et de la Protection côtière

Invité de marque lors de la plénière introductive ministérielle, le 17 octobre 2023 à Paris, dans le cadre de la 5ème édition d’Ambition Africa 2023, le ministre togolais de l’Économie maritime, de la Pêche et de la Protection côtière, Kokou Edem Tengue, s’est exprimé sur certaines solutions africaines face à l’inflation mondiale en pensant à une co-industrialisation, en pensant gagnant-gagnant. Il a également déploré l’absence de leadership politique sur la croissance de notre continent.

L’évènement d’affaires annuel entre la France et l’Afrique baptisé Ambition Africa 2023 à Paris-Bercy, a tenu son pari, les 17 et 18 octobre 2023. Et comme chaque année, les panélistes étaient des experts de haut niveau. De Thierry Deau (PDG de MERIDIAM), à Laurent Saint-Martin (DG de Business France) en passant par Thomas Samuel (Fondateur de SUNNA DESIGN) ou encore Aïda Tagmouti (PDG JOBBEE), tous ont pris part à plusieurs table-rondes enrichissantes. Mais plus que tout, l’intervention du ministre togolais de l’Économie maritime, de la Pêche et de la Protection côtière, Kokou Edem Tengue, durant la table-ronde introductive liée au thème : « L’Afrique, le continent de la croissance du 2ème siècle », a marqué les esprits.

« Tensions sur les approvisionnements en produits alimentaires »

« Merci à Ambition Africa 2023, les ministères français de l’Économie et des finances ainsi que les Affaires étrangères pour cette belle initiative de soutenir ce forum et pour aussi l’invitation qui m’a été adressée, à travers moi, à mon pays le Togo ». Tels ont été les premiers mots de Kokou Edem Tengue, invité au ministère de l’Économie et des Finances à Paris-Bercy, à la faveur de la 5ème édition d’Ambition Africa, les 17 et 18 octobre 2023.

« Je voudrais vous dire que l’Afrique n’a pas une carte mais des cartes maîtresses à jouer dans le contexte d’inflation. Il n’est un secret pour personne que l’inflation est due à la Covid-19 et de l’impact que cela a eu sur les chaînes d’approvisionnement au plan mondial. Même si certaines entreprises, telles que les entreprises de transports maritimes, ont bénéficié de cet impact. Je pense à MSI, MAERSK et aussi à l’entreprise française CMA-CGM. Cet impact a été doublé par la crise en Europe de l’Est entre la Russie et l’Ukraine avec les tensions sur les approvisionnements en produits alimentaires », a-t-il souligné.

« Les processus économiques mondiaux et de transformation de matières premières exigent que l’Afrique s’approprie le fait de gagner un peu de valeur sur le continent avant d’exporter »

Sous le regard admiratif de Laurent Saint-Martin (DG de Business France), le ministre togolais de l’Economie maritime a insisté sur le fait que « l’Afrique a un rôle à jouer dans la croissance mondiale car c’est une réserve de matières premières. Plusieurs pays africains sont des exportateurs de pétrole et je crois que l’impact de l’énergie sur l’inflation n’échappe à personne. Conséquence, l’Afrique a une carte à jouer ».

« L’Afrique a également une carte à jouer dans le sens où il faut qu’elle s’insère elle-même plus dans les chaînes de valeurs mondiales. Dans le sens où, malheureusement, plus de soixante ans après les indépendances, les modèles économiques dans la plupart des pays sont calqués sur nos dettes coloniales c’est-à-dire exporter des matières premières et importer des produits manufacturés. Si c’est dommage que le responsable de la zone de libre-échange continental africain ne soit pas là, si l’Afrique commence par commercer avec elle-même, elle pourrait aussi être une solution à la tension que nous avons vécue sur les chaînes de valeurs mondiales ».

«L’Afrique a plusieurs cartes à jouer dans ce contexte inflationniste et je pense également que les processus économiques mondiaux et de transformation de matières premières exigent que l’Afrique s’approprie le fait de gagner un peu de valeur sur le continent avant d’exporter ».

« Nous n’avions pas besoin de ces épisodes d’instabilité »

« Au lieu d’exporter du cacao, on pourrait exporter de la pâte de chocolat même si on ne fait pas le chocolat sur place. C’est l’exemple de mon pays le Togo qui est un grand exportateur de phosphate mondial mais qui est aussi un grand importateur d’engrais par exemple. Or, nous savons tous que l’engrais peut jouer dans la production agricole. « Faut-il exporter forcément le phosphate ou amorcer un premier processus de transformation de ce phosphate avant de l’exporter. Voilà les cartes que l’Afrique pourrait jouer en ce qui concerne l’inflation », a dit l’officiel.

Au sujet de l’instabilité politique liée aux différents putschs perpétrés en Afrique de l’Ouest et de l’absence de leadership politique fort dans la région, le ministre togolais de l’Économie maritime, de la Pêche et de la Protection côtière a déclaré : « C’est dommage que nous ayons eu ces crises, ces épisodes d’instabilité parce que nous n’en avions pas besoin. Même si la croissance était lente, elle était au moins là. Le leadership politique est très important en matière de croissance économique surtout si nous nous plaçons dans les différentes perspectives qui viennent d’être évoquées. Il n’y aura pas de croissance économique, par exemple, demain sans respect de l’environnement. Cela, c’est au leadership politique de l’incarner. Au Togo, un des atouts majeurs que nous avons, c’est le port de Lomé ».

« Aujourd’hui, je le regrette, notre jeunesse africaine est malheureusement sous-éduquée et n’a pas accès aux recettes de base, aux ressources qu’il faut pour mener une vie humaine digne »

« Il est devenu le port de référence dans la sous-région ouest-africaine. Nous sommes aujourd’hui le premier port à conteneurs de l’Afrique subsaharienne, ce qui est important aux côtés de grands voisins comme le Nigeria. Ce port vient aussi avec un défi climatique car nous avons un véritable problème d’érosion côtière. Et je voudrais saluer l’action de l’Agence française de développement qui nous soutient dans le cadre du projet WAKA ».

« Le rôle du leadership politique est d’incarner cette ambition écologique et de le traduire dans l’économie, de sorte que dans ce domaine, il puisse avoir des opportunités pour les entreprises et dans les différents processus industriels. La seconde chose est liée à la transition démographique. Là encore, le leadership politique doit jouer un rôle car il faut que nous allions vers des systèmes économiques qui créent des emplois à toute cette jeunesse parce que c’est un couteau à double tranchant. Si cette jeunesse est bien formée et qu’elle a accès à des emplois pour s’insérer dans les chaînes de valeurs économiques mondiales, elle permettra à l’Afrique de tirer le dividende démographique ».

« Si rien ne change, la jeunesse pourrait se transformer en une menace »

« Aujourd’hui, je le regrette, notre jeunesse africaine est malheureusement sous-éduquée et n’a pas accès aux recettes de base, aux ressources qu’il faut pour mener une vie humaine digne. Si rien ne change, elle pourrait se transformer en une menace et ce sera une véritable poudrière. A ce propos, l’écrivain russe Serge Mikhaïlov, déjà dans les années 2015, parlait d' »Africanistan » en disant que si cette question démographique n’est pas bien traitée et bien résolue, elle pourrait devenir une menace ».

« Pour moi, l’État doit être stratège pour régler ce problème. D’ailleurs le Président togolais Faure Gnassingbé disait récemment à un forum économique qu’aujourd’hui il faut que ce soit l’État qui crée un cadre général (en co-construction avec le secteur privé) pour induire les secteurs d’activités qui permettront une vraie relance et qui permettent de régler les deux problèmes que je viens de citer ».

« Les entreprises françaises en Afrique devraient jouer le rôle de catalyseur de ce libre-échange économique. La filiale d’un même groupe pourrait prendre des matières premières au Togo, les transformer en Angola »

Évoquant les efforts réalisés par son pays dans le cadre de la lutte contre le chômage des jeunes, Kokou Edem Tengue a révélé l’initiative prise par le Togo, celui de faire une transformation sur place du coton togolais. « Une zone industrielle a été créée, la Plateforme industrielle d’Adétikopé (PIA) où le coton togolais est traité jusqu’à produire des vêtements. La semaine dernière, j’ai eu le privilège d’assister aux dix premières exportations de conteneurs vers les États-Unis. Voilà le rôle de l’Etat, un rôle stratège. Enfin, le rôle de l’État est d’assainir le cadre macro-économique. La question de la dette des pays africains doit être résolue. La question de la stabilité monétaire également. Nos deux géants voisins, le Nigeria et le Ghana, ont une bonne croissance économique mais ils ont eu des problèmes d’inflation liés à la Covid-19 ».

« Dans le cadre du partenariat avec la France, les Etats africains doivent traiter cette question car dix, quinze ans après les périodes de dépassement de dettes avec l’initiative PPTE, plusieurs pays africains sont revenus à des niveaux d’endettements très élevés. Le programme PPTE était bien mais n’a pas réglé le problème de la structure de l’économie pour éviter d’engendrer une accumulation de dettes, s’il n’existe pas de créations d’opportunités de créations de richesses. Pour terminer, je propose pour la prochaine édition d’Ambition Africa c’est le nombre de PME africaines qui ont eu accès au marché français, au marché européen. Le nombre de salariés ou encore le nombre d’emplois créés par ces PME. C’est ce qui permettra de faire une véritable co-construction entre l’Afrique et la France ».

« Vers une croissance économique partagée par tous »

Toujours au sujet du partenariat France-Afrique, Kokou Edem Tengue a ajouté que « la France est un grand partenaire de l’Afrique. En raison de notre démographie galopante, l’Afrique joue un rôle majeur dans la croissance. Un consommateur de la planète sur cinq sera africain dans quelques années. Ce que j’attends de cette relation entre la France et l’Afrique, c’est une co-construction. Une co-construction dans la mesure où la France pourrait s’engager dans des projets structurants. L’une des problématiques en Afrique est que nos projets ne sont pas bien reliés ».

« Les entreprises françaises en Afrique devraient jouer le rôle de catalyseur de ce libre-échange économique. La filiale d’un même groupe pourrait prendre des matières premières au Togo, les transformer en Angola. Ce que je voudrais appeler de mes vœux, c’est le contenu local des projets. Un projet de métro par exemple, dans les transports, demande une expertise que nous n’avons pas en Afrique. Mais pour des petites tâches, il serait bien qu’on puisse faire appel à des entreprises de BTP qui participent aussi à la construction. Une co-construction pour aller vers une croissance économique partagée par tous ».

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