Khalifa Ababacar Sall : « Il faut reprendre à notre compte le rêve de Senghor pour Dakar»


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Dakar, ville hôte du sommet Africités, a dévoilé son nouveau plan de développement ce jeudi. La capitale sénégalaise compte aussi bien retrouver son lustre d’antan que se prévaloir des attributs d’une grande ville. Khalifa Ababacar Sall, le maire de Dakar, revient sur quelques unes des ambitions de son administration pour la presqu’île.

Dakar s’est doté d’une nouvelle stratégie de développement pour les cinq prochaines années et à l’horizon 2025. Une exception qui confirme la règle qui veut que les villes africaines souffrent d’un défaut de planification ?

Khalifa Ababacar Sall :
Quand on veut gérer une ville, il faut qu’il y ait de la prospective. Il faut se mettre en perspective pour créer les conditions de prévisibilité et de visibilité. C’est ce qui permet aux uns et aux autres de savoir ce que vous voulez, ou vous vous voulez aller, comment vous voulez le faire, avec qui et qui fait quoi. Pour la gestion de Dakar, dans les 20 prochaines années, il faut que nous puissions, avec les Dakarois, déterminer ce qu’on veut faire. Ce document est le résultat de ce travail. Nous avons été accompagnés par la Banque mondiale, l’Agence française de développement (AFD) et la Fondation Bill et Melinda Gates. Les ressources traditionnelles de la ville ne nous permettront jamais de faire face à nos besoins et de réaliser notre ambition pour Dakar. Après avoir créé les conditions d’une gestion rigoureuse, vertueuse et transparente, des partenaires ont décidé de nous soutenir. La Banque mondiale va nous aider à rationaliser et à rendre plus efficace notre politique de recettes. La Fondation Gates a décidé, elle, d’accompagner Dakar dans sa capacité à lever des fonds sur les marchés financiers privés nationaux et internationaux. Pour pouvoir le faire, il faut créer un certain nombre de conditions : une bonne gestion, une capacité à rembourser et surtout être crédible. C’est pour cela que nous avons accepté l’audit de l’agence de notation Moody’s qui est depuis six mois mois dans les murs de la ville. Le marché de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) a aussi sa structure de notation, Bloomfield, qui doit effectuer un audit à Dakar. C’est avec leurs différentes notes que nous irons sur le marché financier. Aujourd’hui, nous levons des fonds sans recourir à l’émission de titres. Pour la réalisation de beaucoup de projets, nous sommes allés chercher de l’argent uniquement auprès des guichets privés pour faire, par exemple, les feux tricolores, les pavages, reprendre la voirie, l’éclairage, construire le palais des congrès, le Dakar City Center, et bientôt le Dakar Business Center.

La ville de Dakar en chiffres

> 19 communes d’arrondissement

> Population : plus de 1,5 millions d’habitants, soit 20% des Sénégalais

A quoi peuvent s’attendre les Dakarois en 2025 ?

Khalifa Ababacar Sall :
A vivre dans une belle ville où il fera bon vivre. Senghor avait dit que Dakar serait comme Paris en 2000. Ils nous a vendus un rêve. Quand vous dirigez des gens, il faut leur donner des raisons d’espérer et le rêve est une excellente chose. Mais quand on rêve, il faut tout faire pour le réaliser. Senghor voulait que Dakar soit une ville. Avant qu’il ne parte, il y avait des rues, des trottoirs, un établissement contrôlé, les Sénégalais allaient à la plage, les gens se baignaient… En 2012, Dakar n’a plus de rues, de places publiques, les populations n’accèdent pas à la mer, ils ne vivent pas bien… Il nous faut reprendre à notre compte le rêve de Senghor en restaurant l’existant. Ceux qui connaissent Ponty savent que c’était une belle place. Aujourd’hui, on ne peut plus y faire un pas. Il n’y a pas d’espaces verts… Voilà ce que Senghor voulait éviter à Dakar. Nous, socialistes, avons été accusés de chasser les vendeurs ambulants qui pratiquent un commerce illégal. Aujourd’hui, nous nous sommes compris : les commerçants ambulants ont accepté de partir et nous les aideront à s’installer ailleurs.

La ville de Dakar n’a plus la maîtrise de son foncier. Comment comptez-vous vous ôter cette épine du pied dans les années à venir ?

Khalifa Ababacar Sall :
La ville avait la maîtrise de son foncier jusqu’en 2009. Quand nous sommes arrivés en avril de cette année-là, j’ai dit au pouvoir sortant que nous reviendrons sur un certain nombre de lotissements qui avaient été faits. C’est à ce moment-là que Wade a fait voter une loi qui rétrocédait à l’Etat ces compétences en octobre 2009. Le président Macky Sall a indiqué qu’il restaurerait les collectivités locales dans toutes leurs compétences. Il a commencé et c’est cela qui nous rassure. Ce n’est pas le foncier qui nous fait vivre. Par contre, si nous avons les compétences en matière de lotissement, nous aurons une prise sur l’établissement humain. Les gens ne pourront plus se mettre, construire où ils veulent. Leur installation sera gérée et maîtrisée. Nous savons tous que la grande difficulté dans nos villes, c’est l’établissement humain non maîtrisé, c’est l’habitat spontané. La question de l’établissement est par conséquent essentielle. C’est la raison pour laquelle Africités s’est intéressé à cette thématique. Comment promouvoir les populations dans leur site d’origine ? Africités, ce n’est pas que l’urbain mais l’ensemble des collectivités locales. Comment faire en sorte que même la population rurale, qui ne peut plus cultiver, ait d’autres moyens de survivre sur son terroir au lieu d’éprouver le besoin d’aller en zone urbaine ? Les autorités locales doivent être en capacité de répondre aux interpellations, aux besoins primaires et essentiels des populations dans leurs terroirs. C’est ce qui rend pertinent le thème d’Africités : construire à partir des territoires. Mais avant le territoire, il y a le terroir, le quartier… La maison même est un terroir puisqu’elle est la première cellule du territoire.

Comment comptez-vous résoudre un problème concret qui mine le quotidien de certains Dakarois : les inondations ? Vous allez reconstruire certaines zones ?

Khalifa Ababacar Sall :
C’est la conséquence de l’établissement humain. Les zones qui doivent et peuvent être construites le seront. Mais mon discours ne plaît pas toujours. Avec le retournement du cycle hydrique, l’eau va reprendre ses droits. Allons-nous consacrer chaque année 5-10 milliards de f CFA au pompage ? Ce n’est pas la solution ! Les zones inondables, il faut les laisser à l’eau. Il faut qu’on se donne plutôt les moyens de déplacer les populations. Je préfère dire les choses : si toutes les sommes consacrées au pompage étaient utilisées pour des projets de réhabilitation de zones habitables, nous n’aurions pas de problème.

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