Kenya : une commission pour empêcher les athlètes de partir


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Le ministre kenyan des Sports a mis en place, il y a un peu plus d’un mois, une commission très spéciale. Elle a en effet pour but de déterminer pourquoi les athlètes quittent le pays pour le Qatar et Bahreïn. Une fois cette tâche accomplie, elle devra remettre un rapport aux autorités compétentes pour qu’elles prennent les mesures adéquates.

Le Kenya tient à ses athlètes, et il le prouve. Une commission spéciale est chargée de trouver pourquoi ces sportifs partent du pays et comment empêcher les autres de s’expatrier. Une tâche urgente, puisque les départs tendraient à s’intensifier. Les Kenyans ont en effet du mal à résister au chant des sirènes du Qatar et de Bahreïn, les deux secondes patries qu’ils choisissent le plus.

« Le ministre des Sports a mis cette commission en place il y a plus d’un mois maintenant. Son objectif est d’enquêter sur les raisons qui poussent nos athlètes à courir pour d’autres pays. Elle doit aussi émettre des recommandations pour que cela change. Nous remettrons un rapport d’ici fin août », précise Joshua Okuthe, président de la commission, par ailleurs à la tête du Conseil national du sports du Kenya.

Une hémorragie qui date

Joshua Okuthe n’a pas pu donner à Afrik de statistiques du nombre d’athlètes qui sont déjà partis. Il a en revanche expliqué que l’exode a commencé « il y a très longtemps et s’est accentué après les Jeux Olympiques d’Atlanta (Etats-Unis, ndlr) de 1996 ». Selon lui, c’est Wilson Kipketer qui a lancé le mouvement. Le coureur de 800 mètres, triple champion du monde (1995, 1997, 1999), court depuis 1995 pour le Danemark – le Comité olympique international lui a interdit de concourir pour ce pays dans les JO 1996. Le Kenya a ainsi perdu un élément fort.

L’un des premiers, mais pas le dernier. Après lui, plusieurs ont suivi, à l’image de Stephen Cherono. Le détenteur du record du monde sur 3 000 mètres steeple, qui se fait appeler Saif Saeed Shaheen depuis sa naturalisation, a rejoint le Qatar en août 2003. Nicholas Kemboi, spécialiste du 10 000 mètres, a acquis cette année la nationalité qatarie et courra pour sa nouvelle patrie dans les 10e Championnats du monde d’athlétisme, qui doivent se dérouler à Helsinki (Finlande, du 6 au 14 août 2005). En avril dernier, c’est Bernard Lagat, médaillé d’argent sur 1 500 mètres aux Jeux Olympiques d’Athènes (Grèce, 2004), qui a obtenu une autre nationalité, étasunienne, cette fois.

L’argent et le lobbying comme armes

Pourquoi cette hémorragie de talents ? Joshua Okuthe se refuse à donner toute explication avant d’avoir rendu au ministre des Sports. Il a toutefois avancé du bout des lèvres que ce n’est pas « nécessairement pour l’argent » que les coureurs s’en vont, que le manque de reconnaissance joue aussi un rôle ». Mais, d’après des propos rapportés par Menara, il a déclaré : « Nous sommes très inquiets de cette tendance qui profite énormément aux pays riches, lesquels exploitent la pauvreté des pays africains pour voler leurs meilleurs athlètes ». Sans doute une allusion aux salaires plus importants proposés aux sportifs. Le Qatar a, par exemple, offert à Stephen Cherono un million de dollars de gratification et 1 000 autres alloués à vie chaque mois en guise de rente… Des avantages juteux que les Kenyans peuvent difficilement refuser.

Et, apparemment, les pays en mal de poules aux pieds d’or ne se contentent pas de mettre sur la table que des contrats juteux. « Le gouvernement va enquêter sur le syndicat qui attire les jeunes athlètes vers les Etats du Golfe en leur promettant de financer leur éducation », a déclaré en juin à la Télévision Suisse Normande Karega Mutahi, secrétaire permanent du ministère kenyan de l’Education. Il a ajouté que des Kenyans évoluant déjà à l’étranger aidaient ce « syndicat », sur lequel il n’a pas donné plus de précision, en faisant du lobbying auprès de leurs autres compatriotes coureurs pour qu’ils les rejoignent.

Conséquence des défections, une fragilisation de l’athlétisme national. Inquiétante, selon certains. « L’athlétisme est menacé dans le pays. Avec le départ d’athlètes comme Kemboi et Lagat, je n’ose pas imaginer ce que sera la situation des dix prochaines années. C’est très alarmant », a confié à Xinhua Mike Kosgei, l’ex-entraîneur national. Même sans ces éléments, le Kenya devrait encore pouvoir glaner quelques médailles lors des grands rendez-vous d’athlétisme. Le prochain test grandeur nature aura lieu aux Championnats d’Helsinki, où 33 athlètes vont défendre les couleurs de leur pays. Parmi eux, Isabella Ochichi (médaille d’argent sur 5 000 mètres aux Jeux Olympiques d’Athènes) et Eliud Kipchoge (champion du monde en titre sur 5 000 mètres).

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