Kenya : besoin d’argent ? Composez le « M »


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Sous pression pour trouver des moyens efficaces d’apporter leur aide, les organisations humanitaires se tournent désormais vers les nouvelles technologies. Entre autres innovations, elles utilisent aujourd’hui les téléphones portables pour envoyer des fonds.

Un projet de ce type a été piloté cette année à Baringo Nord et à Pokot Est, deux régions de la province de la Vallée du Rift, au Kenya, au cours des flambées de violence post-électorales.

« Ils [les habitants de la région] ont été exposés à des vols de bétail lorsque [les forces de] sécurité ont été retirées [de la région] pour maîtriser les violences post-électorales », a indiqué Anne O’Mahony, directrice pays pour l’organisation non-gouvernementale (ONG) Concern Worldwide au Kenya.

« La région présentait également un taux de pauvreté élevé à la suite du conflit ». Les bénéficiaires cibles du projet, des femmes sélectionnées par la communauté parmi les personnes les plus vulnérables, recevaient tous les 15 jours, par SMS, des transferts de fonds de 320 shillings kényans (4,70 dollars) par membre de foyer.

Ce projet repose sur un service de transfert d’argent par téléphone mobile, connu sous le nom de M-Pesa (argent mobile), une entreprise commune, menée par le géant multinational Vodafone et Safaricom, le premier opérateur de téléphonie mobile kényan, une filiale de Vodafone ; ce service permet d’envoyer des fonds via le réseau Safaricom.

Safaricom a conféré à Concern le statut d’entreprise cliente, ce qui permet à l’organisation de transférer des fonds en grand nombre à ses bénéficiaires cibles. M-Pesa a normalement été conçu pour permettre le transfert de fonds de personne à personne, à raison d’un maximum de 35 000 shillings (environ 583 dollars) par transaction.

Or, la plupart des bénéficiaires potentielles du projet sont illettrées ou ne disposent pas des pièces d’identité requises pour retirer les fonds transférés.

Les foyers cibles ont donc été répartis en groupes de 10, environ, dont les membres ont désigné comme chef de groupe une personne lettrée, chargée de retirer les fonds au nom du groupe, a expliqué Mme O’Mahony.

Accès au marché

Photo: Anne Ejakait/Concern Worldwide
Ces habitantes viennent de retirer des fonds au poste de police de Kinyach
Sur les 571 foyers ciblés, 225 (39 pour cent) possédaient un téléphone. Concern en a fourni 45 pour permettre aux groupes de se partager un téléphone, ainsi que 60 chargeurs solaires.

Parallèlement, Safaricom a veillé à ce que des agents des villes les plus proches (Iten ou Eldoret) se rendent au commissariat de police local de Kinyach, désigné comme point de distribution des fonds.

Les agents de Safaricom délivrent les fonds sur place les jours de marché.

« Ce système a permis aux bénéficiaires d’accéder facilement aux fonds, et d’acheter immédiatement la nourriture dont elles avaient besoin », a expliqué Mme O’Mahony.

Les fonds devaient permettre de couvrir au moins 50 pour cent des besoins alimentaires des foyers.

« Nous avons pensé que la meilleure façon d’aider véritablement ces personnes était de leur donner de l’argent », a-t-elle indiqué.

« Si les marchés fonctionnent, ça ne sert à rien d’acheter de la marchandise, de l’acheminer sur place et de la distribuer ; on risque de se tromper sur le type de marchandise requise, et puis il y a également des problèmes liés à l’acheminement des denrées alimentaires par camion […] Le système des fonds est bien plus cohérent ».

Concern a déjà acheté des denrées alimentaires dans la ville d’Eldoret, a ajouté Mme O’Mahony, mais l’organisation a découvert qu’il lui coûtait 18 pour cent moins cher de verser des fonds à ses bénéficiaires pour leur permettre d’acheter eux-mêmes ce dont ils avaient besoin.

« Ces gens sont mobiles : ils ont la possibilité d’aller là où ils peuvent obtenir de la nourriture à petit prix, et avec les portables, ils sont moins isolés », a-t-elle noté. « S’il y a de l’argent, les denrées alimentaires viendront […] les commerçants viendront. Les gens souffrent parce qu’ils ne peuvent rien acheter ».

Selon Panuel Luker, l’une des bénéficiaires, les téléphones mobiles, de plus en plus répandus, ont également amélioré la communication à un autre égard : ils permettent aussi d’avertir les victimes potentielles de vols de bétail.

Mme O’Mahony a indiqué qu’il était prévu d’étendre ce projet pour en faire bénéficier au moins 16 200 familles vulnérables, en fonction des fonds disponibles.

A l’avenir, le ratio mobiles/familles sera également augmenté, et une méthode sera définie pour traiter la perte des cartes SIM. « Nous avons découvert qu’un téléphone mobile par grand groupe de personnes n’était pas assez ; nous allons avoir besoin d’un plus grand nombre de téléphones », a-t-elle expliqué.

Les coûts

« La plupart des projets reposant sur la téléphonie mobile étaient préliminaires et ont été menés à petite échelle, probablement en raison des coûts élevés engendrés par le développement et le déploiement des technologies mobiles », selon un rapport publié en 2008 par le Partenariat entre la Fondation des Nations Unies et la Fondation Vodafone et intitulé « Wireless Technology for Social Change: Trends in NGO Mobile Use » [La Technologie sans fil pour le changement social : les tendances d’utilisation des mobiles par les ONG].

Selon une évaluation du projet de Concern, toutefois, M-Pesa est une méthode plus efficace que les distributions alimentaires, « à condition que la différence entre les prix de gros et les prix au détail se situe dans une certaine fourchette, que les marchés alimentaires locaux fonctionnent véritablement et que le programme de transfert de fonds soit mené sur une période assez longue pour justifier les frais d’équipement (téléphones, chargeurs, etc.) ».

D’après les informations qualitatives recueillies, environ 70 pour cent des fonds transférés sont consacrés à l’achat de denrées alimentaires, le reste permettant de couvrir les frais de transport et l’achat d’autres produits non-alimentaires essentiels.

Selon l’évaluation, l’inflation et les informations prévisionnelles sur le prix des denrées alimentaires devraient être prises en compte pour décider des sommes à transférer, les prix ayant augmenté au cours du programme pilote mené au Kenya.

Lire aussi : Juste un mobile pour transférer de l’argent au Kenya

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