Kadhafi tente de dompter le Darfour


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Réunis à Tripoli mercredi dernier, les chefs d’Etat soudanais et tchadiens se sont engagés à fournir tous les efforts nécessaires pour mettre un terme aux affrontements entre rebelles dans la région du Darfour, de part et d’autre de la frontière commune.

« Le problème ne doit pas être réglé par les kalachnikov, les lances roquettes ou les Toyota.» Le leader libyen Mouammar Kadhafi, dans la peau du chantre d’une résolution pacifique et consensuelle du contentieux tchado-soudanais. Il entend bien rétablir l’échiquier géopolitique agité de l’Afrique sahélienne. Président en exercice de la communauté des Etats sahelo-sahariens – crée en 1998 à Tripoli, composée de vingt-deux Etats-, le guide de la révolution libyenne se pose en médiateur pacificateur entre Idriss Déby et Omar Al-Bachir. A la recherche d’une sortie de secours « négociée, pacifique et globale ».

Tripoli au chevet du Darfour

Réunis derechef – troisième accord en un an- à Tripoli mercredi 21 février dernier, en présence du chef d’Etat érythréen M.Afeworki et sous la houlette de Kadhafi, les deux frères ennemis se sont engagés mutuellement à respecter la souveraineté et à ne pas se livrer à des ingérences dans les affaires intérieures du voisin et à œuvrer à la normalisation de leurs relations. « Nous ouvrons un nouveau chapitre des relations entre le Tchad et le Soudan avec une volonté politique de part et d’autre. Si Dieu le veut, nous surmonterons tous les obstacles et nous dépasserons toutes nos rancoeurs » a déclaré le président soudanais en guise de synthèse de cette rencontre quadripartite. Un communiqué de l’agence de presse libyenne Jana précise que les deux chefs d’Etat s’engagent à « appliquer honnêtement » l’accord ratifié en février 2006 à Tripoli qui stipule l’interdiction formelle d’accueillir et de soutenir des bases rebelles sur son territoire. Afin d’évaluer et d’accompagner les efforts de paix, conformément aux engagements de Tripoli, un « comité de suivi » composé de Libyens, Erythréens, Soudanais et Tchadiens veillera.

Les forces rebelles invitées à rejoindre l’étendard de la paix

De son côté, Kadhafi a exhorté tous les groupements rebelles actifs dans la région « à répondre à l’appel de la paix prévu par les mécanismes du Sommet de Tripoli » ; mettant en exergue la volonté des populations, « un seul et même peuple » précise-t-il, de renouer avec la paix. Laissant planer l’ombre de sanctions sévères à l’encontre des séditieux qui continueraient d’alimenter le conflit, le guide a exprimé sa détermination à résoudre le contentieux tchado-soudanais et plus largement la crise du Darfour. Le ralliement aux efforts de paix du président du front Uni pour le changement démocratique (FUC), Mahamat Nour, et son retour à N’Djaména ajoute une pierre à l’édifice. L’ancien capitaine de l’armée tchadienne qui a pris les armes au milieu des années 1990, avec l’appui officieux de Khartoum, contre Déby s’est rangé derrière le processus de paix impulsé par la Libye. Rejoint par le président du Front démocratique pour le peuple centrafricain, le général Abdoulaye Miskine, qui a signé, vendredi 2 février à Syrte en Libye, l’arrêt immédiat des hostilités. La baguette diplomatique libyenne se révèle bien plus efficace que les coups de bâtons des Etats-Unis et de la communauté internationale.

Darfour : une pépinière de crises

L’inextricable crise du Darfour ravage l’Ouest du Soudan, déteint à l’Est du Tchad, menace N’Djamena et déstabilise le régime de Bangui. Effet domino dont les populations civiles paient le plus lourd tribut : 300 000 morts et 2,5millions de déplacés en quatre ans. 250 000 Darfouriens ont traversé la frontière, fuyant la persécution de Khartoum, pour se réfugier dans les camps de fortune de l’Est du Tchad. Forcées à l’exil ou restées sur place dans les villages Four dévastés et pillés par les milices djandjawids, composées d’Arabes soudanais intégrés aux forces armées officielles, les populations du Darfour sont réduites à dépendre de l’aide internationale insuffisante et d’ONG menacées sinon chassées. Pas d’ingérences, guerre à huis clos. Tel est le mot d’ordre d’Al-Bachir qui refuse formellement le déploiement de casques bleus onusiens en soutien des 7000 soldats arabo-africains mal armés de l’Union africaine dépêchés dans la région avec le soutien financier de la Ligue arabe et l’appui logistique et technique de l’ONU. Du côté tchadien, notamment depuis l’automne 2005, la tension monte. Rupture diplomatique avec son voisin oriental, suspicions tous azimuts, factions rebelles opérationnelles (incitées par Khartoum ?), bras de fer avec la Banque mondiale, gouvernement fébrile, mutineries et désertions, scandales financiers, crise socio-économique, constitution modifiée, réélection pipée, Déby dépassé. Mais, c’est sans compter le soutien indéfectible de l’ancienne puissance coloniale – 1200 hommes du dispositif « Epervier » stationnent dans la base d’Abéché- qui n’hésite pas à intervenir militairement pour venir à la rescousse de son protégé face à la kyrielle de groupes rebelles retranchés au Darfour.

La guerre du Darfour révèle in fine la fragilité de régimes fébriles et menacés, tenus à bout de bras par des présidents éreintés dont la marge de manoeuvre se réduit comme peau de chagrin face à une contestation rebelle de plus en plus active. La reprise du dialogue, sous l’égide de la Libye, entre le Tchad et le Soudan laisse entrevoir une amélioration diplomatique visant la coopération et l’arrêt total des hostilités et des massacres. Là où les Occidentaux et les Nations unies achoppent sur le refus inflexible d’Omar Al-Bachir de négocier une intervention onusienne au Soudan, la Libye de kadhafi relève le défi. Convaincu que les Africains peuvent résoudre eux-mêmes leurs conflits, Kadhafi espère guider les belligérants sur la route – semée d’obstacles- de la paix. Coup de théâtre souhaitable par le guide qui jouit d’une relation privilégiée avec les deux camps et qui permettrait à la Libye de renforcer son influence régionale et de l’étendre bien au delà. Depuis la suspension de l’embargo imposé par l’ONU de 1999 à 2003, la Libye tente de se frayer une place digne de ce nom sur le continent et s’immisce dans la spirale, jusque là inaccessible, de la communauté internationale. Au placard donc – jusqu’à quand ?- les frasques passées, place à la réinsertion et à l’intervention même.

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