Justine Masika : « La RDC est en train de devenir comme la Somalie »


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Pour mettre un terme aux crimes de guerre perpétrés par des groupes armés dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), 52 personnalités ont réclamé la création d’un tribunal pénal spécial pour juger les responsables. Justine Masika Bahimba, présidente de l’ONG « Synergie des Femmes », qui prête main forte aux victimes de violences sexuelles dans le Kivu, apporte son regard sur ce projet.
Entretien.

Afrik.com : Comment avez-vous acceuilli le projet de création d’un tribunal pénal spécial pour juger les crimes de geurre en République démocratique du Congo?

Justine Masika :
Je crois que c’est une bonne chose que des personnalités puissent s’intéresser à ce que vivent les populations dans l’est de la République démocratique du Congo. Mais en ce qui concerne la création d’un tribunal spécial, j’émets des réserves. Je me pose des questions concernant la coordination des énergies. Je parle notamment de nous, les acteurs de la société civile qui sommes sur le terrain, pour que le projet aboutisse. Je pense, pour que nous puissions atteindre notre objectif, nous devons impérativement mieux coordonner nos actions et nous réunir régulièrement pour essayer de trouver des solutions.

Afrik.com :Vous êtes quotidiennement sur le terrain auprès des victimes des milices armées qui sévissent dans l’est du pays. Qu’attendez-vous de ce tribunal?

Justine Masika :
Nous voulons une justice internationale avec des magistrats dignes de confiance. Nous voulons que ce tribunal soit mis sur pied en RDC. Nous demandons que tous les crimes graves commis au quotidien dans la région du Kivu soient jugés. Nous réclamons que tous les éléments du M23 soient traqués un à un. Aujourd’hui, les acteurs de la société civile qui œuvrent auprès des populations ne peuvent pas communiquer correctement d’un endroit à un autre à cause des milices armées qui peuvent surgir à tout moment. Je ne communique que par sms avec une partie de mon équipe, ce qui n’est pas normal ! Nous ne pouvons pas nous voir pour faire nos compte-rendus, de peur d’avoir affaire aux rebelles.

Afrik.com :Qui selon vous est responsable de l’impunité des rebelles dans la région?

Justine Masika :
Le gouvernement congolais a la responsabilité de protéger les populations, mais il ne le fait pas. Quand l’armée congolaise avance et marque des points contre les rebelles, Kinshasa lui demande de s’arrêter. C’est à croire que les autorités congolaises ne veulent pas que l’armée avance et qu’elle viennent à bout de ces groupes armés! C’est de la mauvaise volonté de la part de Kinshasa qui ne voit pas la souffrance des populations dans l’est du pays!

Afrik.com : Les combat entre l’armée congolaise et les rebelles du M23 ont repris le 14 juillet dernier. Actuellement quelle est l’urgence à gérer pour protéger les populations du conflit?

Justine Masika :
On parle souvent de la sécurisation de la ville de Goma. Mais je pense que Goma est suffisamment protégée par l’armée congolaise ou encore l’Onu. Désormais, il faut absolument sécuriser les autres localités aux alentours de Goma, car les rebelles y terrorisent la population, sachant que personne ne viendra les confronter. La population est fatiguée! On n’en peut plus de vivre dans ces conditions. Il y a un vrai risque que la RDC devienne comme la Somalie. Oui, on en est arrivé à ce stade-là. La population se sent démunie, livrée à elle-même, impuissante. D’ailleurs, pour crier son ras-le-bol, elle a attaqué la Monusco il y a sept jours, dénonçant son inefficacité. La population reste incontrôlée. Je craint que la situation ne dégénère.

Afrik.com :Vous avez visité cet après-midi un camp de réfugiés à Boulengo. Comment vivent-ils depuis qu’ils ont fui la reprise des combats entre le M23 et l’armée congolaise?

Justine Masika :
J’ai pour le moment rencontré 116 personnes dans ces camps de réfugiés situés à 15 kilomètres de Goma. Ils comptent au moins 900 personnes. Les déplacés sont là depuis un mois. Ils vivent dans des conditions inhumaines! Ils manquent de tout. Les ONG sur place font ce qu’elles peuvent pour leur venir en aide, mais elles sont débordées, car elles prêtent main forte à une multitude de réfugiés. Encore une fois, je le redis : la population est lasse de cette situation dont elle ne comprend même pas qui en est à l’origine. Une pétition circule actuellement à Goma pour demander à Kabila de mettre fin aux négociations de Kampala. Elles ne servent à rien! A Kampala, tout le monde cherche uniquement des grades. Cette situation nous est devenue insupportable! Plus les rebelles violent leurs sœurs, mères et filles, plus on cherche à les rencontrer pour négocier avec eux! Mais pourquoi faire? J’aimerai qu’on me dise ce qu’ils négocient tous comme ça à Kampala? Qu’est-ce qu’ils négocient réellement, alors que nous vivons dans la souffrance?

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