Justice inachevée : l’Afrique du Sud rouvre le dossier des crimes de l’apartheid


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Cyril Ramaphosa, Président sud-africain
Le Président sud-africain, Cyril Ramaphosa

Trente ans après la fin de l’apartheid, l’Afrique du Sud tente de réparer une injustice historique. Le président Cyril Ramaphosa annonce la création d’une commission indépendante pour enquêter sur les crimes impunis du régime ségrégationniste.

Le 30 avril, le président Cyril Ramaphosa a annoncé la création d’une commission d’enquête indépendante destinée à faire la lumière sur l’absence de justice concernant des centaines de crimes commis sous le régime ségrégationniste. Une réponse directe à la colère persistante des familles de victimes, qui dénoncent depuis des années les blocages institutionnels ayant permis à nombre de coupables d’échapper à toute sanction.

Un lourd héritage laissé par la Commission Vérité et Réconciliation

Créée au lendemain de l’apartheid, la Commission Vérité et Réconciliation (TRC), présidée par l’archevêque Desmond Tutu, avait pour mission de panser les plaies du pays par la confession et l’amnistie. Mais son travail avait aussi abouti à la recommandation de poursuites dans plus de 300 cas précis, où les auteurs de crimes n’avaient ni coopéré ni exprimé de remords. Pourtant, près de trois décennies plus tard, à peine une poignée de ces dossiers ont abouti à des procès. Un silence judiciaire qui alimente un sentiment d’injustice profond et durable.

Face à cette impunité persistante, plusieurs familles de victimes ont décidé d’agir. En début d’année, une coalition de 25 familles a intenté une action en justice contre l’État sud-africain pour « manquement flagrant à enquêter« . Parmi elles, Lukhanyo Calata, fils de Fort Calata, militant assassiné en 1985, dénonce les responsabilités partagées des gouvernements successifs depuis la fin de l’apartheid. Leur mobilisation a mis en lumière une vérité amère : celle d’une justice empêchée, voire volontairement entravée.

Des soupçons d’accords politiques post-apartheid

Les révélations de ces dernières années ont renforcé les soupçons. En 2021, la fondation de l’ancien président Frederik de Klerk a reconnu qu’un accord informel aurait été conclu entre l’ANC, au pouvoir depuis 1994, et d’anciens responsables de l’apartheid. Objectif supposé : éviter les poursuites judiciaires pour maintenir une transition pacifique. Une stratégie du silence qui aurait été prolongée sous la présidence de Thabo Mbeki, selon les accusations d’anciens procureurs et observateurs.

Avec cette nouvelle commission d’enquête, Cyril Ramaphosa affirme vouloir « restaurer la confiance dans la justice » et répondre à des « allégations persistantes d’interférences politiques ». Si la création de cette instance est saluée comme une étape importante, de nombreuses zones d’ombre demeurent : qui en assurera la présidence ? Quelles seront ses prérogatives concrètes ? Et surtout, pourra-t-elle réellement débloquer des affaires trop longtemps étouffées ?

Une course contre le temps et contre l’oubli

L’urgence est palpable. Nombre de suspects sont aujourd’hui décédés, emportant avec eux la vérité que les familles cherchent encore. Pour ces dernières, cette commission représente peut-être la dernière chance de faire la lumière sur les crimes de l’apartheid, non seulement pour rendre justice, mais aussi pour construire une mémoire collective plus honnête et complète. Car sans justice, affirment-elles, il ne peut y avoir de paix durable.

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