Jimmy Cliff : l’adieu d’une légende du reggae au cœur de l’Afrique


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Jimmy Cliff mort

Monument de la musique jamaïcaine et pionnier du reggae sur la scène mondiale, le chanteur Jimmy Cliff est décédé ce lundi 24 novembre à l’âge de 81 ans des suites d’une pneumonie.

Si la planète entière pleure l’interprète de tubes planétaires comme Reggae Night ou I Can See Clearly Now, le peuple Noir perd bien plus qu’une star : il perd un ambassadeur infatigable et un artiste dont la quête spirituelle et les messages engagés ont façonné une longue et profonde histoire d’amour avec l’Afrique.

L’esprit du reggae, de Kingston à Pretoria

Né James Chambers en 1944, l’artiste, de son vivant, s’est distingué par sa volonté d’évoquer les sujets socio-politiques et de célébrer l’identité africaine, conférant au reggae une dimension au-delà du simple divertissement.

Son engagement l’a parfois mené au bras de fer avec les régimes en place. Sa chanson Remake The World, dont les paroles dénonçaient le fait que « Quelques-uns possèdent tout, quand trop de gens n’ont rien », fut notamment interdite de diffusion par la SABC (South African Broadcasting Corporation) en septembre 1977 par le régime ségrégationniste de Pretoria.

Pourtant, Jimmy Cliff était autorisé à se produire en Afrique du Sud en 1980. Il chanta alors dans le township de Soweto devant près de 20 000 personnes, vêtu d’un treillis militaire, un geste fort considéré comme une allusion à l’Armée populaire de libération de la Namibie. Son album suivant, Give The People What They Want, envoyait un message encore plus clair avec le morceau Majority Rule.

Un artiste voyageur en quête d’identité

À l’inverse de ses compatriotes reggaemen, souvent de fervents apôtres du mouvement Rastafari, Jimmy Cliff a tracé un chemin spirituel complexe et personnel. Converti à l’islam, prenant le nom de Naïm Bachir, il s’est intéressé à différentes religions, loin de l’imagerie rasta habituelle, ce qui lui a valu une image de « grand public » aux yeux de certains puristes du reggae.

Cette quête identitaire l’a poussé à développer des liens indéfectibles avec le continent. Dès 1977, il effectue une tournée pionnière en compagnie de la choriste sud-Africaine Aura Lewis, passant par le Sénégal, la Gambie, ou encore la Sierra Leone. Une partie des musiciens est alors recrutée sur place, parmi lesquels le Malien Cheick Tidiane Seck.

Propriétaire d’un terrain au Liberia, l’artiste voyageur a parcouru l’Afrique du nord au sud et d’est en ouest à titre personnel. Au fil de sa carrière, ses concerts marquants ont rassemblé des foules considérables, notamment au Ghana, au Zaïre (aujourd’hui RDC), en Zambie, à Madagascar, au Maroc, en Tunisie, en Algérie ou, plus récemment, en Côte d’Ivoire lors du festival Abireggae en 2015.

Un héritage au-delà du reggae

Jimmy Cliff, dont le charisme et la voix douce ont fait danser la planète avec des titres comme Hakuna Matata ou la célèbre reprise de No Woman No Cry, fut un artiste engagé, inspiré par les injustices sociales, l’hypocrisie religieuse et les clans politiques. Il s’est intéressé à des influences multiples, du soul au funk en passant par le punk, et a collaboré avec des groupes comme The Clash, Kool and the Gang ou le Français Bernard Lavilliers.

Pour la Jamaïque, c’est un « véritable géant culturel » qui s’est éteint, comme l’a déclaré le Premier ministre Andrew Holness. Mais pour l’Afrique, qui a été au cœur de ses voyages et de ses revendications, son décès marque la perte d’un ami qui a su faire résonner la dimension socio-politique du reggae de Kingston jusque dans les townships. Son héritage artistique et spirituel y perdurera.

Maceo Ouitona
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Maceo Ouitona est journaliste et chargé de communication, passionné des enjeux politiques, économiques et culturels en Afrique. Il propose sur Afrik des analyses pointues et des articles approfondis mêlant rigueur journalistique et expertise digitale
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