« Jasmin Rouge », une révolution musicale signée Këlem


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Le groupe Këlem sort son tout premier album intitulé Jasmin Rouge. La poésie dans l’âme, Këlem s’exprime par le slam et le rap, sur fond d’essence hip-hop et sonorités orientales. La sortie dans les bacs de l’album, déjà disponible sur Internet depuis le 14 mai, est prévue pour le 11 juin.

Nebil Daghsen est un slameur, poète et rappeur franco-tunisien du groupe Këlem, formé en 2006. Aujourd’hui âgé de trente ans, il est à l’origine du premier spectacle de slam en France aux Rencontres urbaines de La Villette en 2001. Ce premier opus, enregistré entre Paris et Tunis, est un croisement de styles entre l’oralité poétique, le rap, le spoken words et la musique. Jasmin Rouge raconte l’histoire d’une révolution, de ses prémices, de son arrivée et de ses conséquences.

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Afrik.com : Racontez-nous l’histoire de Këlem ?

Nabil Daghsen :
Le groupe est né en 2005, avec la rencontre de Sébastien Mateo qui est percussionniste. Le groupe s’est entièrement composé au bout d’un an. On s’est retrouvé à six personnes, un saxophoniste, un bassiste, un contrebassiste, un percussionniste et deux cœurs. Moi j’étais au texte, à la voix. Puis, le groupe s’est encore élargi à deux personnes supplémentaires. Mais on s’est rendu compte que huit personnes dans un groupe comme le nôtre, c’était trop. Certains sont partis, d’autres sont arrivés. Le groupe Këlem a vraiment vu le jour en 2007. Désormais, nous sommes cinq avec Sébastien Matéo à la percussion, Zamo à la guitare et aux compositions musicales de l’album, Marc Ramon à la contrebasse, et Régis à la batterie. Nous sommes davantage efficaces, car le texte reste le centre des compositions. La musique est essentielle mais le texte joue un rôle important dans notre travail artistique.

Afrik.com : Que signifie Këlem ?

Nabil Daghsen :
Autrefois, le groupe s’appelait Neb and the Nems band. C’est un nom difficile à retenir, on nous demandait souvent ce que cela signifiait. Quant on est parti enregistrer notre album à Tunis, après la révolution, on a senti qu’il y avait une métamorphose même au niveau du travail, qu’on était en train de changer de cap. Il fallait qu’on trouve autre chose même en terme d’identité. J’ai donc fait des propositions aux garçons et le mot (arabe) këlem est arrivé comme une évidence. En français, cela signifie le propos. Il a plein de sens différents. Dans certains pays, le këlem est une sorte de stylo en bambou pour la calligraphie et l’écriture.

Afrik.com : D’où vous vient l’inspiration ?

Nabil Daghsen :
Je m’inspire de ce qu’il y a dans mon fort intérieur, de ce que j’observe aussi. Je me nourris de moi, de mes propres métamorphoses, de ma paternité, de mon parcours. Je ne commande pas trop, ce n’est pas quelque chose d’industriel. C’est beaucoup de laisser faire, de laisser aller. Par exemple, sur le ferry qui m’amenait à Tunis, j’ai créé le titre Jasmin Rouge. L’ambiance de ce bateau m’a inspiré.

Afrik.com : Justement, pourquoi avoir opté pour Jasmin Rouge ?

Nabil Daghsen
: En fait, le jasmin, c’est la fleur symbole non seulement au Moyen Orient mais aussi de la Tunisie. C’est une fleur extrêmement parfumée, très prisée. Quand on veut offrir une fleur à une femme en Tunisie, on ne lui offre pas des roses mais du jasmin. Le rouge est le symbole de cette révolte, de ces peuples opprimés qui ont su briser leurs chaînes. Je considère que le rouge est la couleur de l’amour, de la passion, de l’émotion, du sentiment. Këlem trouve évident que ces deux mots là soient associés. Le jasmin est blanc mais ce côté immaculé me gênait, car le monde, selon moi, n’est pas aussi sain qu’il n’y paraît.

Afrik.com : Le thème central de votre album est la révolution…

Nabil Daghsen
: La révolution est traitée principalement dans le titre Jasmin Rouge en évoquant l’immolation de Mohamed Bouazizi en Tunisie. L’album raconte aussi le désespoir, la solitude dans Mal de vivre, les désillusions de la jeunesse dans Génération tout va trop vite, qui paraissent noyées sous les nouvelles technologies. La chanson Këlem est un parcours intérieur. L’album est à l’image du monde. La vie est un parcours, comment s’améliorer dans sa manière de penser, d’observer le monde.

Afrik.com : Que pensez-vous de la « révolution de Jasmin » ?

Nabil Daghsen
: Surprenante, car personne ne s’attendait à ce que les choses se passent aussi vite. Après la révolution, les choses ont été compliquées car les gens pensaient que la chute de Ben Ali allait rapidement arranger les choses, or cela n’a pas été le cas. Les attentes du peuple étaient tellement grandes qu’il a fini par être déçu. La Tunisie est un exemple dans le fait d’avoir essayé de normaliser l’après révolte et d’avoir mis en place des élections. Des actions pour les jeunes se mettent en place, des formations, des séminaires… 4 000 à 5 000 postes sont en train d’être proposés dans les différents ministères. La difficulté est de rassurer les investisseurs. Les Tunisiens trouvent que la France, censée être le pays des droits de l’Homme, n’a pas été un exemple pour ce qui a été de l’accueil des jeunes tunisiens arrivés de Lampedusa qui réclamaient l’asile politique.

Afrik.com : Un tribunal militaire a requis la peine de mort contre l’ancien président tunisien Ben Ali, qu’en pensez-vous?

Nabil Daghsen
: Je trouve cette condamnation juste. Le fait qu’un homme qui a dirigé ce pays pendant trente ans, qui a tué et a fait des choses horribles créant ainsi une injustice dans notre pays, soit reconnu coupable par la justice. Néanmoins, je ne suis pas pour la peine de mort. Par contre, le fait qu’il puisse continuer à faire du shopping en Arabie Saoudite, à vivre comme si de rien n’était. Le peuple sera apaisé quand cet homme viendra rendre des comptes.

Afrik.com : Dans votre album, vous chantez en français et en arabe…

Nabil Daghsen
: C’est vital pour moi. Avant je ne chantais pas en arabe, j’avais un complexe car je ne maitrisais pas assez la langue. J’ai beaucoup travaillé pour rendre hommage à de très grands poètes du Moyen Orient et d’Afrique du Nord comme Abou el Kacem Chebbi, Mahmoud Darwich ainsi qu’à Ali Ahmed Saïd Esber dit Adonis qui ont à leur époque voulu changer les mentalités. En France, les poèmes des africains ne sont pas étudiés. En Tunisie, on ne parle plus de ces poètes. Dans Tyran du Monde, je rends hommage à Abou el Kacem Chebbi qui a écrit un poème en 1945 sur la chute d’un tyran.

Afrik.com : Quel message véhiculez-vous à travers Jasmin Rouge ?

Nabil Daghsen
: On souhaite faire passer tout d’abord, un message humaniste. Dans cet album, on met en avant cette passerelle entre l’Occident et l’Orient, entre nos peuples et nos différentes cultures. C’est un album avec des musiques d’ici et d’ailleurs. Je pense qu’avec plus de tolérance, on peut construire des choses ensemble, car nous avons tous des intérêts communs.

Ecoutez Këlem :

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