J’ai vu tuer Ben Barka


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En 1965, l’opposant marocain Mehdi Ben Barka est enlevé à Paris. On ne retrouvera jamais sa trace. Le réalisateur Serge Le Peron revient sur le piège mis en place par le Maroc et la CIA pour le faire disparaître et sur ce qu’on a appelé « l’affaire Ben Barka ». Passionnant.

Le corps de Mehdi Ben Barka n’a jamais été retrouvé. C’est un crime sans cadavre. Mais pas sans histoires. Le 29 octobre 1965, le membre fondateur de l’Istiqlal, le parti de l’indépendance marocaine, et président de la Tricontinentale, organisation qui rassemble les Etats ayant récemment accédé à l’indépendance et les mouvements de libération du monde entier, est enlevé devant la brasserie Lipp, à Paris. Les hommes qui le font monter dans leur voiture se présentent comme des agents français. Emmené en banlieue parisienne, il sera torturé et exécuté par les services de sécurité marocains, dirigés par le général Oufkir.

Dans J’ai vu tuer Ben Barka, le réalisateur Serge Le Peron revient sur le piège mis en place par les services d’Oufkir, grâce à la complicité de Georges Figon. Ce dernier est un malfrat à la petite semaine, homme sans scrupule qui, par les hasards de la médiatisation, s’est attiré la sympathie de certains intellectuels de St-Germain-des-Prés, comme l’écrivaine Marguerite Duras. Il est mis sur un « coup juteux » par ses amis gangsters. Il doit produire un documentaire sur la décolonisation, écrit par Duras et réalisé par George Franju. Mehdi Ben Barka sera engagé comme conseiller historique sur ce film qui n’existe que pour signer sa fin.

Poussière sur le secret-défense

Dans ce film noir qui tient du polar et du thriller psychologique, le réalisateur dirige des acteurs de choix : Simon Abkarian interprète l’opposant marocain, Charles Berling prête ses traits à Figon et Josiane Balasko est impeccable en Duras. Le film livre aussi quelques clés, nous faisant revivre l’histoire et ressentir l’atmosphère de l’époque. Il éclaire d’un jour nouveau la mort de Ben Barka et analyse la terrible machination qui mène à son enlèvement par les services secrets marocains, encadrés par la CIA américaine et couverts par la France, même si l’implication des services français au plus haut niveau reste encore sujette à caution. Car, comme le dit le personnage de Duras dans le film : « Il aura fallu attendre 40 ans pour que la France lève le secret-défense sur cette affaire mais quand on a ouvert le dossier, il ne restait plus qu’un peu de poussière ». On ne sait toujours pas où est le corps de l’opposant, ni qui a donné l’ordre de l’enlever.

Ce film est intéressant car il parle de l’affaire et non de Ben Barka lui-même, finalement assez peu présent. Tout se passe du point de vue de Figon qui fait éclater l’histoire dans la presse peu de temps après. Il le fait pour de l’argent, mais qu’importe : le scandale éclate et la France, qui ne peut dissimuler la vérité, va la mettre en scène. « L’Histoire est devenue un mystère mais les mystères se vengent », dit Duras. En janvier 1966, Figon est retrouvé « suicidé » à Paris. En 1971, Thami el Azzemouri, ancien étudiant de Ben Barka, présent devant la brasserie Lipp et qui donnera l’alerte, est retrouvé pendu. Mohamed Oufkir est abattu en 1972 après une tentative de coup d’Etat. Quant aux gangsters qui ont mis Figon sur le coup, ils sont emprisonnés au Maroc après la mort d’Oufkir puis assassinés. Duras résume : « Ben Barka le militant, Figon le scélérat. Tout les séparait sauf la mort. Les deux sont victimes des mêmes réseaux secrets. »

 « J’ai vu tuer Ben Barka » de Serge Le Peron, sortie française le 2 novembre.

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