« Il ne faut pas opposer négritude et créolité »


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Ernest pepin

Le troisième festival Gospel et Racines a ouvert ses portes, lundi à Cotonou (Bénin), pour une semaine de célébrations, de retrouvailles et de réconciliation entre l’Afrique et ses diasporas. Invité de marque cette année, le célèbre poète et romancier guadeloupéen Ernest Pépin nous explique le concept de créolité, qu’il base sur la théorie de l’identité mosaïque.

De notre envoyé spécial au Bénin

Les Créoles sont des descendants d’Afrique, mais pas seulement. Sans renier les racines africaines des Caribéens, Ernest Pépin développe une conception de la créolité élargie, basée sur la mixité de diverses cultures. L’un des plus célèbres poètes et romanciers antillais, invité du troisième festival Gospel et Racines (2 au 8 août, Cotonou, Bénin), revendique son identité créole et souhaiterait qu’elle soit reconnue à part entière par les Africains.

Afrik : Après la négritude, la créolité est le nouveau concept défendu et développé par les Antillais. Quelle serait votre définition de la créolité ?

Ernest Pépin : C’est la prise de conscience de la diversité du monde caribéen. C’est également la volonté de repenser la notion d’identité. Parce qu’on ne peut réduire la créolité à la langue créole. Il ne s’agit pas que de ça. Il s’agit fondamentalement d’une théorie de l’identité mosaïque. Il existe une conception de l’identité en terme de propriété : ma langue, ma terre, ma religion. Mais elle nous enferme dans une logique d’exclusion. Il vaudrait mieux raisonner sur la base d’une identité mosaïque : mes terres, mes langues, mes religions. Par le fait de l’Histoire, les Caribéens ont navigué tout naturellement dans cette identité plurielle. Et ont bâti une propre cohérence. Le columbo, plat d’origine indienne, est le plat de tous les Guadeloupéens, qu’ils soient d’origine indienne, africaine ou européenne. Le gwoka (tambour), d’origine africaine, définit le Guadeloupéen. Une danse comme le quadrille, d’origine européenne, est la danse de tous les Guadeloupéens. Nous avons créolisé les origines, avec ce que nous avons pu ramener d’Afrique, d’Inde, de Syrie, du Liban ou d’Europe.

Afrik : La négritude et la créolité sont-elles antagonistes ?

Ernest Pépin : Lorsque la créolité est apparue comme mouvement littéraire, elle s’est positionnée, en particulier à partir du travail de Confiant et de Chamoiseau, comme une sorte de refus de la négritude et du combat politique d’Aimée Césaire. Ce qui fait qu’on a toujours eu tendance à opposer négritude et créolité. Je pense le contraire. Dire que la créolité se conçoit dans la diversité, c’est considérer que la part d’africanité fait partie de la créolité. Mais qu’elle n’est pas exclusive. Tout le débat est là. Nous ne sommes pas que des descendants de l’Afrique. Les composantes sont diverses. Nous portons tous en nous ces parcelles d’identité qui nous constituent en tant qu’Antillais et Caribéens créoles.

Afrik : La créolité est un concept qui pourrait donc s’appliquer à d’autres personnes qu’aux Antillais ?

Ernest Pépin : De multiples créolisations sont à l’œuvre dans le monde parce que nous sommes devenus une terre d’immigration. On voit des mélanges se faire. Pour mieux comprendre que ce n’est pas lié à une question de race ou de lieu précis, je pense que l’enfant d’un couple germano-italien vivant au Brésil se trouve dans une situation de créolisation. C’est-à-dire qu’il va composer avec la diversité du monde.

Afrik : Les Antilles ont toujours eu un rapport trouble avec l’Afrique. Les choses sont-elles en train de changer ?

Ernest Pépin : C’est une vision qui évolue, mais lentement. Il faut savoir que l’école est une des matrices de la conscience. Or, l’Histoire des Antillais et même de l’Afrique n’est pas enseignée à l’école. Pour que notre psyché de l’Afrique évolue convenablement il faut que l’école joue son rôle, hors de toute falsification de l’Histoire. Il faut aussi que l’Antillais ait un esprit plus équilibré entre sa part d’occidentalité et sa part d’africanité. Il y a les discours, il y a les pratiques et il y a l’être. C’est entre tout cela qu’il y a des confusions. Il faut juste un peu d’ordre. Et l’ordre viendra du savoir et de la connaissance.

Afrik : Etes-vous amer par rapport à la France ?

Ernest Pépin : Mon discours n’est pas un discours d’hostilité. Parce que lorsqu’on est toujours dans la revendication, on pratique une forme d’irresponsabilité. Je refuse d’être dans une position d’irresponsable parce que j’estime que ce qui fonde l’Homme c’est justement sa responsabilité. Plutôt que d’être en colère contre, je préfère m’organiser pour résoudre mon problème. Et si j’ai un message fondamental à lancer, premièrement au niveau des Antillais, c’est qu’il faut que nous commencions à prendre en charge, nous-mêmes, nos problèmes. Si notre Histoire n’est par enseignée à l’école républicaine, pourquoi ne pas faire des cours sur l’Histoire des Antilles ou de l’Afrique par d’autres circuits que l’école ? Par la voie associative par exemple. Il faut inventer des solutions. C’est comme ça que nous nous ferons respecter. Et non pas en étant des quémandeurs de tout, même quand il y a des injustices flagrantes.

Afrik : On assiste à l’émergence de revendications identitaires très fortes aux Antilles. Les jeunes affirment leur fierté d’être de « Gwada » (pour Guadeloupe) ou de « Madinina » (pour la Martinique). N’entre-t-on pas ici dans une logique d’exclusion et d’enfermement ?

Ernest Pépin : Il est normal que la jeunesse ait quelque chose à revendiquer. Aux Antilles, elle revendique Gwada et Madinina : ce n’est pas forcément une mauvaise chose à mes yeux. Aimé Césaire a une phrase que j’aime beaucoup dans La traite du roi Christophe : « Les peuples vont de leur pas ». Les consciences évoluent. Il y a eu plusieurs étapes. Celle de l’aliénation comme dynamique essentielle de la psyché antillaise, parce que ce qui était en jeu était la volonté de reconquérir une dignité. Il y a eu l’étape de la négritude, où on a revendiqué l’Afrique comme terre mère et comme élément fondamental de l’identité antillaise. Aujourd’hui, la négritude est remise en question et nous en sommes à l’étape de la créolité. Il émerge progressivement, au fil de l’Histoire, une conscience de soi-même, qui va amener, je crois, à assumer son pays. Et il s’agit malgré tout bien de la Guadeloupe pour les Guadeloupéens et de la Martinique pour les Martiniquais. Une fois que cette étape aura été franchie, nous pourrons nous ouvrir sur le monde avec la conscience d’être. Nous sommes dans une forme d’instabilité, mais d’instabilité créatrice. C’est à mon sens ce qu’il faut retenir.

Afrik : Quel effet cela vous a-t-il fait lorsque vous avez foulé le sol africain pour la première fois ?

Ernest Pépin : On ne peut pas venir en Afrique sans une certaine émotion. Je suis né comme intellectuel dans le berceau de la négritude avec notamment les œuvres d’Aimée Césaire. J’avais déjà mon imaginaire de l’Afrique. Mais je suis aussi venu les yeux ouverts. Je ne suis pas venu avec une Afrique idéalisée. Je suis venu à la quête de la vérité de l’Afrique. Je voulais voir, comprendre et peser ce qu’il y avait de positif et ce qui relevait à mes yeux de l’inacceptable. Je trouve par exemple que les bourgeoisies africaines ne sont pas assez « nationalistes ».

Afrik : Quel accueil avez-vous reçu ?

Ernest Pépin : Un accueil excellent. Parce qu’ils ont vraiment senti que je venais en sympathie et en fraternité. D’autre part, je crois que l’Africain est toujours honoré de voir quelqu’un de la « diaspora » faire le déplacement pour connaître ses origines.

Afrik : Avec quel message arrivez-vous et arriviez-vous en Afrique ?

Ernest Pépin : Il a toujours eu, chez certains, un discours entre l’Africain et l’Antillais de l’ordre du grand frère au petit frère. Soit nous sommes considérés comme des bâtards de l’Afrique, à cause du métissage et d’une certaine perte de la mémoire. Soit nous sommes considérés comme des petits frères un peu « renégats », avec une certaine condescendance dans le regard. Je dis que si l’on veut faire fonctionner une fraternité, il faut qu’il y ait un discours d’égalité qui fonctionne. C’est à dire que l’Africain doit me reconnaître dans ma créolité. Comme celui qui est parti. Dans Africa-Solo, je dis : « Ne me traite pas de fils d’esclaves, je suis peut être parti à ta place, je suis peut être parti pour t’empêcher de partir ». C’est très important pour moi de dire cela. A partir d’un tronc commun, il y a eu une dérivation imposée par l’Histoire, certes tragique, mais qui a donné naissance au bourgeon. Et ce bourgeon doit être perçu dans le respect de ce qu’il est. Je suis fier de mon histoire. Tout autant que quelqu’un qui dit qu’il est fier de descendre du royaume d’Abomey. Mon royaume d’Abomey, c’était le ventre du bateau négrier. Mon royaume d’Abomey, c’était la résistance des esclaves pour survivre et s’accommoder de cette terre nouvelle, c’était cette dynamique dans l’urgence pour s’émanciper, reconquérir son droit à l’humanité. Et je crois que ça aussi mérite un coup de chapeau.

Un poème d’Ernest Pépin :

Je me souviens

Oui je me souviens bien

De l’arbre des esprits

Beau fromager déraciné

Malgré la force des forêts

Malgré la foi des initiés

Je suis bien de la famille

Même si je ne sais plus mon nom

Je répondrai toujours

A l’aimant des tambours

A l’orée des retrouvailles

Ils ont jeté mon nom par dessus bord

Ils ont jeté mon père sans sépulture

Mais les chacals gris de l’oubli

N’ont point emporté ma dépouille

Me voilà de retour

Ernest Pépin, Africa-Solo, A3 éditions, Collection Rond point

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