Ifrikiya, une maison d’édition camerounaise ouverte sur le continent


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Depuis 2007, Ifrikiya, née à Yaoundé de la fusion de trois maisons d’éditions, a publié une cinquantaine d’auteurs africains. En dépit des nombreuses difficultés qu’il reste à surmonter, son fondateur et directeur, l’écrivain camerounais François Nkeme, entend faire de sa société un acteur majeur de la littérature africaine.

« Ma vision de l’écriture est centrée autour de l’écrivain, car je crois que c’est l’écrivain qui fabrique les éditeurs, bref, qui leur donne la vision nécessaire pour fonder leur structure et avec elle la littérature. » Patrice Nganang, écrivain camerounais qui enseigne la théorie littéraire à l’université de l’Etat de New York, exprime ce que l’éditeur François Nkeme a développé comme principe pour sa maison d’édition Ifrikiya.

Les trois maisons d’éditions qui ont fusionné en 2007 pour former Ifrikiya avaient pour objectif de devenir une maison capable de produire des ouvrages de qualité au Cameroun et en Afrique. Aujourd’hui, une cinquantaine d’auteurs et autant d’ouvrages marquent l’engagement de cette ambitieuse société à porter aussi loin que possible les voix du continent. Parmi les auteurs publiés par Ifrikiya, l’on trouve bien sûr des camerounais, vivant au Cameroun, en Europe et aux Etats Unis, mais aussi des étrangers. Ifrikiya est en même temps un tremplin important pour de nombreux jeunes auteurs qui ont publié grâce à elle leurs premiers ouvrages. De grandes plumes, des auteurs camerounais mondialement reconnus comme Patrice Nganang, l’essayiste Gaston Kelman, ou encore le Togolais Kangni Alem, ont publié des livres chez Ifrikiya. Kangni Alem, dont l’essai Dans les mêlées. Les arènes physiques et littéraires, doté d’un introduction de Sami Tchak dans la Collection Interlignes, figure dans le catalogue de l’éditeur, déplore les quelques coquilles qui se sont glissées dans le texte. Ce qui ne l’empêche pas de renchérir : « Je trouve l’expérience intéressante, et j’ai renoncé à mes droits d’auteur en vue d’aider cette jeune maison que je trouve dynamique et pleine d’avenir s’ils osaient davantage. » Pour la fin de l’année, un recueil de textes d’auteurs camerounais de la diaspora sur l’indépendance du pays est annoncé. Les événements et personnages racontés seront mis en scène sous forme de BD.

L’écho positif de l’éditeur donné par les grandes plumes pourrait bien aider les jeunes auteurs. Même si les œuvres de ces derniers marchent bien au Cameroun, il reste encore beaucoup de travail pour les faire connaître hors du pays et du continent. François Nkeme, lui-même auteur de plusieurs romans, se rend bien compte qu’il s’agit là d’un travail de longue haleine demandant davantage de communication. Il lui reste encore d’autres défis à relever, tels que la réalisation d’un site, la vente en ligne et la communication via les réseaux sociaux. Un autre problème, et d’importance, auquel il doit faire face est la diffusion à l’international. Déjà, il est extrêmement difficile d’exporter des livres dans des Pays limitrophes du Cameroun. La CEMAC (Communauté Économique et Monétaire des Etats de l’Afrique Centrale) ne reconnaît ni la libre circulation des personnes, ni celle des marchandises. Parfois, déplore François Nkeme, il est plus facile d’exporter des livres vers la France plutôt que directement vers le Gabon ou le Congo. Pour faire connaître un ouvrage au Gabon, il faudrait d’abord le faire connaître en France. Situation paradoxale qui nécessiterait, selon lui, une collaboration entre les maisons d’édition de la sous-région. Mais, pour François Nkeme, « il manque la volonté des autorités politiques.»

Relever les défis du coût et de la communication

Les ouvrages sont imprimés sur place, mais « La production du livre coûte cher au Cameroun, à cause des accords de Florence qui ne sont pas respectés, explique François Nkeme. Ces accords prévoient que tout le matériel qui sert à fabriquer le livre, (encre papier, équipement) ainsi que le livre même ne payent pas le droit de douane. Ils ne sont pas respectés par les gouvernements africains. Par contre, les livres des pays développés entrent chez nous en bénéficiant de ces accords sans payer la douane. C’est une grosse injustice. »

« En plus, le papier coûte cher par ce qu’il est importé, ajoute François Nkeme. Notre bois est exporté et revient au Cameroun plus cher quand il est sous forme de papier. Nous avons du bois et pas d’usine à fabriquer le papier et la pâte à papier. Je crois que la solution c’est nous-mêmes qui devront la trouver en montrant à nos gouvernements l’utilité des industries du livre en terme de formation du citoyen et en terme de rentabilité économique. »

« Ifrikiya » est l’appellation originelle de l’Afrique. Ce nom a été expressément choisi pour signifier la volonté des auteurs du projet de retourner à leurs racines pour s’en inspirer et créer. Pour Patrice Nganang, « les écrivains africains doivent aussi établir des relations préférentielles avec des éditeurs que les contrats reflètent peu s’ils veulent bâtir une littérature africaine sérieuse, car alors la totale dimension de leurs points de vues et de leurs intérêts sera prise en compte. Ma relation avec Ifrikiya est donc d’amitié, mais elle est aussi de principe: je soutiens ces auteurs, parce qu’ensemble, en établissant une relation nouvelle entre écrivains et éditeurs, relation différente de celle qui liait nos ainés a Paris, nous pouvons à la base redéfinir la littérature camerounaise ». Un programme qui ne manque pas d’ambition.

Editions Ifrikiya

BP. 6627 Yaoundé – Cameroun

editionsifrikiya@yahoo.fr

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