Horus prend la mer à bord de l’Exodus


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Horus nous parle de son nouvel single, Exodus, et répond aux questions d’afrik.com en s’élevant contre les états africains qui ont accepté sans réagir le sort de leurs ressortissants vendus comme esclaves en Libye ou en prônant l’enseignement de l’astronomie Dogon pour que l’Afrique retrouve son histoire face au modèle de l’Occident.

« C’est la survie qui compte, car faire demi-tour n’est pas possible »

Afrik.com : Parlez-nous un peu de vous. Qui est Horus Donkovi ?

Horus :
Je suis Horus Donkovi, artiste de la narration, j’ai la trentaine. Là d’où je viens, Horus représente une divinité protectrice. Je m’intéresse au rap depuis 1993 lors de mes années collège, c’était la grande mode, mais ma première scène date de 1997. Je suis né en France et rentre en Afrique, plus précisément à Lomé, à l’âge de 14 ans. Mon premier groupe s’appelait « Apothéose » toujours en 1997. Puis il y a eu « Underground Flow » en 1999, peu avant « Balles de Rimes Crew ». Nous étions neuf ou dix à l’époque.

Afrik.com : Pourquoi le titre EXODUS ? Comment en êtes-vous venu à parler de ce problème d’immigration ?

Horus :
J’ai fait ce titre pour trois raisons. Je voyais mes potes partir un à un dans un contexte où tous le voulaient, et qu’il n’était pas facile d’avoir les fonds nécessaires pour le faire. J’avais cette envie là aussi, comme tout le monde, car nous nous sentions coincés au bled, pensant que l’extérieur nous comprenait bien mieux. J’ai été contraint de m’adapter. La deuxième raison c’est que j’ai finis par comprendre pourquoi les gens partaient en exil, notamment les jeunes régulièrement bastonnés sur le campus. Des fois ce n’était pas loin au Bénin et au Ghana voisins, au Sénégal, tout sauf ici. Enfin, la 3e raison, c’est que j’ai été témoin de la difficulté d’avoir un travail, de le garder et d’en avoir un qui soit décent ! Encore aujourd’hui c’est difficile. Les médias évoquent souvent les personnes qui partent pour raisons économiques. Mais moi je connais nombre de mes amis qui sont aussi partis pour raisons de santé ou pour avoir accès à une meilleure éducation aussi. Pour avoir la chance de bénéficier d’une université ou d’une couverture sociale digne de ce nom en Occident.

Afrik.com : Votre clip vient de sortir sur Youtube et l’actualité bouillonne actuellement concernant les immigrés clandestins dont certains sont vendus en Libye. Cette actualité vous touche-t-elle particulièrement ?

Horus :
Oui. Et ce qui me choque c’est qu’au fond, c’est le trajet et non la volonté de voyager qui est remise en cause. J’entends des choses du type, il aurait mieux fallu que ces hommes passent par le Maroc, ou l’Algérie, personne ne se demandent pourquoi ils partent !

Pour moi, toute cette histoire illustre l’incapacité de l’Union Africaine a réagir et défendre ses ressortissants. C’est violent ce que je pense mais pour moi, une organisation digne de ce nom aurait dû former une coalition de l’armée africaine pour riposter contre la Libye. Elle ne le fera bien sûr pas, elle n’en a pas les moyens. Les états africains ont quelque part accepté le sort de leurs ressortissants sans trop réagir. Regardez, les irakiens, syriens ou polonais, ils ne subissent aucune traite. Finalement, il n’y a que l’homme noir qui subit encore et toujours l’esclavage car noir. Cela traduit une chose terrible : « on peut vendre du nègre, vous ne ferai absolument rien » et c’est très violent.

Afrik.com : Vous évoquez vous-même ce racisme entre africain lorsque vous dites « Il se fâche, et déferle un speech en arabe » pour dire que les immigrés sont noirs bien qu’africains, et les passeurs sont arabes bien qu’africains aussi. Existe-t-il alors des sous-catégories d’africains ?

Horus :
Nord Africains et Africains ne connaissent pas leur histoire, car les programmes scolaires sont influencés par l’UNESCO et charcutés selon des intérêts supérieurs. Nous avons une richesse trop dévoyée. Au lieu de la poterie, nous montrons aux enfants la pâte à modeler, nous ne les informons pas sur l’astrologie des Dogons par exemple. Le seul modèle qui a grâce à nos yeux est le modèle européen avec la Reine des neiges et Cendrillon. Nos modèles sont à redéfinir.

Afrik.com : Dans l’intro de votre morceau, c’est l’écrivaine et militante Fatou Diome qui explique le ressenti de ceux qui partent. Pourquoi le choix de cet extrait d’une de ses interventions ?

Horus :
Son parcours et la personnalité qu’elle incarne m’inspirent beaucoup. De plus, la phrase choisie s’accorde parfaitement avec mon propos et l’esprit de mon morceau. En plus, j’ai un faible pour les femmes qui ont du caractère. (sourire)

Afrik.com : Dans votre vidéo, le regard de la femme qui reste est très fort, puissant, la scène où elle apprend, devant son écran, qu’un navire de fortune a chavirer aussi… Qu’avez-vous voulu traduire avec l’image de cette femme seule, cette femme peut-être bientôt veuve ?

Horus :
J’ai voulu mettre en lumière les causes qui poussent ces hommes et femmes à l’exil. Elles doivent être réglées avant les conséquences. Le voyage n’est finalement pas remis en cause, seule la manière. Or, dans mon clip, cette femme n’a au fond pas le choix ! Elle veut mieux pour sa famille, donc sait qu’elle doit laisser son homme partir. Elle est dans un salon dépourvue de tout, miséreuse, avec son fils, et attend un autre enfant. Elle ressent une émotion froide, sans larmes lorsqu’elle apprend le naufrage de l’embarcation de fortune de son conjoint car au fond, elle avait déjà accepté l’idée qu’il puisse partir, mourir.

Afrik.com : Dans votre texte, vous évoquez aussi la peur, la mort, du à cette traversée morbide en mer…

Horus :
Oui, parce qu’au fond, à chaque étape, on souhaite rester en vie. On joue le tout pour le tout. Je pense que, comme les grands hommes d’Afrique que sont Cabral, Sankara ou autres, à chaque étape de leurs vies, ils ont flippé, mais c’est la survie qui compte, coûte que coûte. Et faire demi-tour n’est pas possible. Il ne reste plus qu’à aller de l’avant ! Alors, même si une fois dans le bateau, il faut boire son pipi, car il n’y a plus d’eau et que la soif se fait trop intense, ils le font, sans trop y réfléchir.

Afrik.com : Il y a dans votre clip, un face-à-face poignant entre une agent des douanes inflexible et un immigré clandestin qui tente de lui expliquer ce pourquoi il se trouve devant elle. C’est un dialogue de sourd pourtant, à voir comment elle le rejette à la fin… Est-ce à dire que l’incompréhension va rester entre ces deux groupes personnes, né sur des continents différents, donc ne vivant pas les mêmes problématiques ?

Horus :
Cette femme illustre l’incompréhension pure. Car au fond, elle ne pourra jamais comprendre. En Occident, on apprend aux enfants que les autres enfants sont des subalternes, eux les rois du monde. La dame est à l’image de l’Europe, finalement, qui ne connait pas l’histoire, et ne souhaite pas en savoir plus, sciemment. Cela part d’un très long conditionnement.

Afrik.com : Dans votre texte vous dites « je vais là où l’on frappe mon CFA, sur la terre promise », pour évoquer la France, cet eldorado, et ce récent débat sur la légitimité du Franc CFA, monnaie encore utilisé dans plusieurs pays d’Afrique bien que fabriquée en France, plus d’un demi-siècle après les indépendances des états africains. Quel est votre avis sur cette monnaie et sur cette France soit disant éternellement hospitalière?

Horus :
C’est une façon de dire « je vais récupérer mon dû ». C’est un débat essentiel où l’Africain va encore se faire duper à mon avis. Surtout s’il reste au sein d’une certaine élite. Personne n’arrive à l’expliquer de manière simple au peuple, c’est dommage ! Quelle monnaie ? Quels critères ? Quel système informatique ? Par qui ? Or nos sociétés n’ont pas les mêmes bases. Un exemple simple : le cauchemar de l’Occident c’est l’hiver et comment le passer. Ainsi, toute la société est basée sur le système d’épargne pour faire face aux rigueurs du froid. En Afrique, c’est différent, car quel que soit la saison, des récoltes se font et nous avons des fruits et légumes. Le surplus on le troc et ainsi de suite. Nous n’avons donc pas une grande tradition de conservation longue durée, comme dans les pays du Nord. Un autre exemple, nous laissons nos langues pour calquer celles des autres. Ainsi, le mot paysan devient péjoratif chez nous alors que le paysan fait vivre un nombre important de personnes et était respecté auparavant.

Afrik.com : Votre clip parle du racisme de cet homme qui découvre une autre France, loin de celle rêvée, son rêve est brisé. Selon vous doit-on se cantonner à rester chez soi en Afrique, même si on n’y est pas heureux, ou tenter l’aventure, quel que soit les dangers et difficultés qui nous y attendent ?

Horus :
Cela dépend des cas, mais pour certains, il est clairement suicidaire de rester. Ils sont bloqués. De plus, ce ne sont pas les Africains qui ont inventés ses barrières aux frontières si tu es de telle ou telle nationalité. C’est purement injuste. Une fois en Europe, ils le sont de nouveau. Condamner à rester pour continuer à nourrir la famille restée au pays, quel que soit ses conditions de vie. Et beaucoup se font avoir comme cela par les clichés et les sirènes de l’Occident.

Afrik.com : Vous évoquez aussi le désespoir « Des hommes, des gosses, des femmes, dont l’une sur le point d’accoucher », en illustrant une femme pleine d’espoir d’une vie meilleure et qui, sur le point de donner la vie, préférer risquer sa vie en mer avec sa grossesse, plutôt que de continuer sa vie (et quelle vie ?) en Afrique… est-ce une fatalité ?

Horus :
D’abord, il faut se rappeler que le voyage est souvent très long. Peut-être que cette femme, lorsqu’elle quittait sa maison, n’était pas enceinte. Que lui est t-il arrivée en route ? Est-elle tombée enceinte de son conjoint, d’un compagnon de route, d’un inconnu ? A-t-elle subit des agressions, un viol, des viols? C’est vers toutes ces questions douloureuses que je voulais d’abord renvoyé l’auditeur. Et si elle était déjà enceinte avant de partir de sa maison, peut-être alors que c’est justement cette volonté de donner une vie meilleure à son enfant qui l’a poussé à prendre la mer… Je vous laisse choisir votre version…

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