«Histoires d’artistes » d’Isaac Essoua Essoua dit Malam


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La réputation d’Isaac Essoua Essoua dit Malam, n’est plus à faire à Douala. Son œuvre a déjà parcouru le monde. Et la reconnaissance viendra avec celle de l’Histoire.

Âme sensible, s’abstenir. Malam, sculpte des êtres de plâtre au destin singulier. Il donne vie à des créatures quelques fois d’après les empreintes de son corps. Il travaille sans relâche. Corps a vie, corps à mort, Malam semble exorciser toutes les agonies. «De nos jours, la violence est ordinaire» nous dit-il. Alors chacune de ses créatures est immolée par le feu. Comme pour nous interroger sur les racines et les manifestations du mal, mais nous rappeler aussi, que le temps du changement est arrivé. «Mussango» qui veut dire Paix, est le nom donné à sa dernière exposition à Paris au mois de juillet 2009. A cette occasion, Malam s’est ouvert à nous et nous a raconté ses débuts. Une interview poignante.

Essoua Essoua dit Malam : L’enfant de New Bell

Née en 1967 à New Bell, Malam est Douala. «Chez les Douala, il y a ceux qui habitent au bord du fleuve, le Wouri , et ceux qui sont à l’intérieur des terres Douala. Nous, nous habitions à l’intérieur, le quartier de New Bell. C’est une ville cosmopolite, avec un brassage important. Parce que toutes les nationalités y sont présentes. On y croise toutes les obédiences religieuses. Moi, je suis née à côté de la grande mosquée, mais mes parents sont protestants. Et puis, je suis allé, dans une école chrétienne, catholique. J’avais même des amis bouddhistes. C’est donc difficile de mesurer à postériori, l’impact de ce milieu sur ma vision du monde. Mais en tout cas, c’est dans ce contexte ou j’ai passé mon enfance, que j’ai commencé à créer».

Tantôt juges, tantôt truands…

«Je me suis toujours exprimé à travers la forme. Je ne sais pas quand j’ai commencé. Et peut-être que dans le fond, je suis aussi resté cet enfant qui s’amuse, à la différence près, que maintenant , il y a le regard de l’autre. Enfant, il y avait un regard familial sur mon travail, mais les choses vont aller vite, parce que la vie passe vite. Depuis beaucoup de choses se sont réalisées et l’amusement a laissé la place a une prise de conscience, expression de mon enfance également. D’ ou les premières expositions individuelles, ou je prenais à témoin, mon public. L’idée, c’était d’amener ce public à comprendre que l’on est dans un société en déclin. Un déclin que nous avons orchestré. Car nous vivons dans un monde injuste que nous acceptons. Et nous sommes tous tantôt juges, tantôt truands…»

Ma réalité s’est construite avec ces ingrédients

«Mon père était conducteur de travaux . Ma mère était initialement brodeuse, mais pour joindre les deux bouts, elle était aussi femme de ménage et commerçante. J’ai plusieurs frères et sœurs et nos parents ont des obligations vis à vis de nous. Dans ce contexte, s’exerce une certaine forme de justice. Dans cette cellule familiale, nos parents essaient de nous éduquer et de nous discipliner. Ce sont eux, qui vont nous inculquer les notions de bien et de mal. C’est précisément, cette éducation qui va orienter ma vison de l’humanité et de la justice, à fortiori. Cet ensemble de conditions vont contribuer à faire ce que je suis devenu».

Un événement marquant dans la vie du jeune Malam

La seule chose dont je me souvienne, c’est d’un prix que j’ai reçu avant mes 10 ans .C’était « Le prix de travail manuel ». Même si ce prix était moins considéré que celui de mathématiques- rires- longtemps après, j’ai continué à me demander pourquoi, j’avais reçu ce prix. En fait, j’étais le chef de la classe, et à ce titre, je veillais à ce que l’espace de la classe et de la cour de l’établissement soient toujours propres. Mais de là a avoir un prix, cela a été une surprise sans précédent. A l’époque cette remise de prix se faisait dans la maison du parti -le part unique- et était retransmise sur les antennes de la radio nationale. Il s’agissait de féliciter les meilleurs élèves dans chaque discipline. C’était un établissement qui comptait plus de 2000 élèves. L événement était très important. Mon nom a été cité à la radio et ma famille entière l’a entendu. Même si ils n’ont pas réalisé, l’ intensité de l’émotion qui m’animait, il n’en reste pas moins qu’ils ont été étonnés et sans doute fiers. Ce moment m’a toujours accompagné et continue de le faire.

Le premier atelier

« Les années ont passé et j’ai quitté le foyer familial, pour aller vivre à Makéa . C’était un quartier qui accueillait des communautés de toute l’Afrique centrale et de l’ouest. C’est là que j’ai eu mon premier atelier. Ma grand-mère y possédait une boutique à louer, qu’elle m’ a cédé. J’étais jeune, à l’époque. J’avais 20 ans. J’ai organisé ma vie autour de la création. Mais 10 ans après, me rendant compte que j’immobilisais cet endroit, en privant ma famille de revenus substantiels, j’ai décidé de le quitter et d’en rendre les clefs ».

La naissance de Squat’ Art de Douala

« Voilà que, juste avant de me séparer de l’atelier, deux artistes passent voir mon travail, et ils m’invitent dans des galeries ou ils exposent. C’est ainsi, que je fais la connaissance d’autres artistes qui hantent ces lieux. Un constat s’imposait:on fréquentait le milieu, mais nous n’exposions jamais. Ce qui nous rassemblait, c’est qu’on avait le même langage. Nous avions envie de dire des choses, mais nous n’étions pas entendu. Alors on a décidé de créer un événement commun et hors du commun. On devait prouver que l’on savait s’organiser. C’est ainsi, qu’ on a décidé de squatter un lieu. C’était un bâtiment en construction abandonné. C’était là, que nous allions montrer nos travaux. Ce collectif d’une vingtaine d’artistes, dont je faisait partie va fondé le Squat’ Art à la fin des années 1990. A l’époque, je travaillais avec des matériaux que je n’avais pas pu acheter, faute de moyen. Si bien que, les autres artistes avaient terminé leur travail, alors que je n’avais encore rien fait. Ça n’est que la veille du vernissage, que j’ai pu commencé mon installation. Le jour s’est levé et mon travail a retenu l’attention de tous. Cela m’a valu l’intérêt de la galerie Doual’ Art qui a décidé de me consacrer une exposition individuelle dans les jours qui suivirent. C’est comme ça, que j’ai exposé pour la première fois »

«Confidences sur l’oreiller», une signature indélébile.

«En fait, avant cette première, j’avais déjà beaucoup d’articles dans la presse locale. Les œuvres qu’ils ont retenues pour cette exposition, n’ étaient pas mes sculptures. C’était un travail particulier, réunissant des dessins réalisés en une nuit blanche, et présentés sur les taies d’oreiller de ma mère. Cette exposition devait s’appeler «Confidences sur l’oreiller». Après réflexion, j’ai demandé à y rajouter une installation qui reflétait d’avantage mon travail. Et là, j’ai eu l’idée d’y reproduire une scène de rupture. Pour cela, j’ai allongé le moulage du corps d’une femme nue, sur un lit supposé de mariage et j’ai mis en scène un homme qui partait. Cette installation était plastiquement très belle, mais chaque détail était dans le fond, très sombre»

De la violence ordinaire à l’abandon, de l’oubli jusqu’au déni des institutions

« Chacun des visages des acteurs de la scène de «confidences sur un oreiller» était remplacé par un miroir. Ainsi, sous un certain angle, le visage de chacune des personnes qui se rapprochaient de la scène pouvait se réfléchir dans celui sculptures. Car au fond, la scène de cette femme qu’on venait d’abandonner, et qui allait donner naissance à un enfant qui grandirait seul,dans la rue, c’était un spectacle quotidien. Pendant que certains invités, choqués par le spectacle de la nudité s’interrogeaient sur ce qui m’importait de leur montrer et que les questions commençaient à fuser, j’ai alors invité le public, à chercher les réponses aux questions qu’ils souhaitaient me poser, dans cette scène. Et je leur ai promis, que je leur apporterai une réponse en leur montrant une autre œuvre, encore plus crue, qui répondrait à l’ensemble de leurs interrogations ».

Le symbole d’une justice

« A ce stade des choses, c’était évident, qu’ils en aient conscience ou pas, tous étaient attirés, soit par la nudité des personnages, soit par le caractère violent de la scène. Et ils attendaient cette réponse promise. C’était comme un voyage qu’ils étaient prêts à faire . Alors quand j’ai quitté la salle et ils m’ont suivi. Ils étaient plus d’une centaine, et certains d’entre eux, courraient. Au terme de quelques minutes de marche, je me suis arrêté devant le palais de justice, symbole à mes yeux, de la condition humaine. Une fois, arrivés devant cet édifice, je leur ai posé cette question: «Et ça, qu’est ce que cela vous évoque ?» En fait, ils étaient tous scotchés »

La lecture d’une œuvre

« Je voulais montrer à toute ces personnes, ce qu’est une installation et ce à quoi cela sert. Ou peut-être, quelles sont les priorités que l’on doit avoir quand on lit une œuvre. Ce que je voulais faire comprendre, c’est qu’une œuvre artistique à une dimension propre. Le tour de force étaient d’amener des gens d’un point à l’autre du sujet. Car le côté violent ou voyeur d’une scène d’intimité, dérange plus que le spectacle de l’injustice sociale. La boucle était bouclée. Depuis, j’ai réalisé de nombreuses exposition, mais je n’ai jamais retrouvé cette intensité. De l’histoire de ce quartier au couple, des têtes coupées dessinées, au palais de justice, il y avait un lien. Car au fond, cette exposition avait une histoire de bout en bout. »

Les Autres

Quelques années plus tard, Malam est toujours investi des mêmes messages et il mesure mieux la complexité et les enjeux de ce monde. Son œuvre est universelle, mais lui demeure cet éternel «Autre». A ce sujet, il nous dit : «Aujourd’hui, la tendance est à l’individualisme. Chacun s’occupe des siens en leur souhaitant tout le bonheur du monde. Mais ce monde est aussi habité, par les enfants des autres. Mon souhait est que l’on arrive à s’ ouvrir à son prochain, à son voisin. Car une fois adultes, nos enfants se tourneront vers les enfants des autres. Précisément, ceux que l’on ne voulait pas voir. »

Propos recueillis par Anne Yoro en 2009

Portes Ouvertes d’Atelier de Malam à St Denis : Le 18 et 19 février 2012

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