Histoires d’amour sur fond de sexe… et de mobylette


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Maria-Silvia Bazzoli et Christian Lelong
Maria-Silvia Bazzoli et Christian Lelong

Amour, Sexe et Mobylette raconte la perception des relations amoureuses d’habitants de Koupéla, une ville moyenne du Burkina Faso. Le film, qui sort ce mercredi en France, révèle entre autres que le sexe n’est pas si tabou et que même les enfants ont conscience du danger du sida… Interview avec Christian Lelong et Maria-Silvia Bazzoli, les deux maîtres d’œuvre de cette production mêlant documentaire et fiction.

Un amour long de trente ans. Un amour naissant torturé par la distance et la pauvreté. Un amour dont les braises sont refroidies par le virus du sida. Amour, Sexe et Mobylette, c’est tout ça, et bien plus encore. Le film de Christian Lelong et Maria-Silvia Bazzoli a été tourné à Koupéla, une ville moyenne du Burkina Faso. Mais, quelque part, on se dit qu’il aurait pu l’être ailleurs. Car si certaines problématiques sont spécifiques au pays des Hommes intègres, et même plus généralement à l’Afrique, le documentaire-fiction rappelle à chacun l’intensité enivrante ou/et douloureuse d’une relation amoureuse. Christian Lelong et Maria-Silvia Bazzoli reviennent sur les nombreux messages de leur film, tourné avec des techniciens locaux.

Afrik.com : Comment est venue l’idée du film ?

Maria-Silvia Bazzoli : L’idée du film nous est venue avec l’association Cinomade, qui fait de la prévention contre le sida au Burkina. Ils organisent des micros-trottoirs le matin, et l’après-midi et le soir ils projettent ce qu’ils ont filmé sur un grand écran au milieu du village ou d’un quartier. On a trouvé ça très intéressant et on a décidé de faire un petit documentaire. En voyant les archives des entretiens de l’association, on a vu que la plupart des gens avaient exprimé très librement leurs expériences et pensées sur la sexualité mais qu’ils ne parlaient jamais d’amour. Ça nous a vraiment donné la curiosité d’aller chercher et voir comment les gens s’aiment au Burkina.

Afrik.com : Le film est à mi-chemin entre le documentaire et la fiction. Pourquoi ce concept ?

Christian Lelong : On a cherché la meilleure façon pour nous, Européens, d’aller rencontrer des Africains qui racontent leur histoire. Et on a imaginé des situations : un photographe qui demande à des gens de se mettre en scène, une association de sensibilisation qui circule en ville et puis des gens qu’on a rencontrés et avec qui on a aussi construit le film.

Afrik.com : Quand vous dites « nous, Européens », à quoi faites-vous allusion ?

Christian Lelong : On ne veut pas rentrer dans cette idée que, parce que je suis Français et Sylvia Italienne – et donc que nous sommes Européens et blancs de peau – on n’a pas la légitimité de faire un film en Afrique. Nous, on a fait un film sur les êtres humains. Et pour nous, faire un film en Afrique est totalement pertinent et je me sens très libre de faire ce travail. Et je trouverais très bien que des Africains fassent des films en Europe. (…) Ça permet de tisser du lien, de voir l’universalité des choses, de rapprocher les gens et de créer un peu d’humanisme dans notre monde qui est malheureusement un peu difficile aujourd’hui.

Maria-Silvia Bazzoli : Je dirais aussi que, quand on veut communiquer avec les gens, nous ne devons pas oublier que nous sommes Européens, que nous sommes blancs. On arrive, on est blanc, on est étranger, on a une culture différente et un langage différent. Ce n’est pas juste une traduction des mots mais aussi une traduction d’une culture à l’autre. En plus, on voulait parler de sujets dont les gens ont déjà du mal à parler entre eux. On s’est demandé comment le faire parce que si on était arrivé comme ça, en posant directement la question nous-mêmes, je ne sais pas si on aurait eu le même résultat. C’est pour ça qu’on a choisi des intermédiaires (Cinomade, la radio, le photographe…) pour mettre les gens à l’aise et créer des situations où les gens pouvaient s’exprimer plus librement.

Afrik.com : On dit souvent que le sexe est tabou en Afrique, et pourtant vous avez observé que les interviewés parlaient sans détours de sexualité…

Maria-Silvia Bazzoli : Quand on a vu les archives de Cinomade, on était étonné de la liberté que les gens avaient pour parler de sexualité. Mais c’est comme ça ! Ce film a été une découverte pour nous aussi. A chaque fois qu’on s’attendait à quelque chose, on était surpris par le contraire. Et on a voulu garder ça, notamment parce que l’Afrique est toujours enfermée dans une image figée : la maladie, la guerre… Pas seulement l’Afrique d’ailleurs : on a toujours tendance à enfermer les autres dans des cases. C’est plus facile, plus simple. Nous, on voulait vraiment donner l’idée d’une Afrique ouverte, parce que c’est ce que nous avons constaté, ce n’est pas une démarche intellectuelle.

Afrik.com : Dans le film, la vision de l’amour passe par la bouche des enfants, des adolescents et des adultes. Est-ce voulu ?

Christian Lelong : C’est vraiment un choix de voir comment le sentiment amoureux – qui génère de l’imaginaire dès l’enfance, dès la petite enfance même – comment cet imaginaire, qui lui est vraiment universel, se transforme avec la vie, la culture, la société… Comment la vie arrive à venir à bout, ou pas, d’une relation amoureuse entre deux êtres humains. On a voulu questionner les enfants dès le départ. Et là, on a eu une surprise énorme, et même un choc. La phrase qui est la plus étonnante pour des gens du Nord, on va dire, c’est celle d’un jeune enfant à qui on demande « Qu’est-ce qui faut faire quand on s’aime » et qui répond « Il faut aller à l’hôpital pour voir si on n’a pas le sida ». Tout d’un coup, il y a quelque chose qui bascule. On a la crue réalité du sida. Mais on a vraiment voulu aller au-delà de l’imaginaire enfermé dans cette image du sida pour trouver quelle est la profondeur de la relation amoureuse. On a ce monsieur, Jean-Marie, qui a 65 ans, qui aime sa femme depuis trente ans, qui la prend dans ses bras et qui dit : « Quand on s’aime, on fait comme ça ».

Afrik.com : Ce film est-il votre participation à la lutte contre le sida ?

Christian Lelong : Complètement. Dans ce film, il y a la démonstration de la pose d’un préservatif, et je crois que c’est vraiment d’actualité aujourd’hui quand on voit les conneries que le pape est capable de dire. Des propos qui sont à mon avis un scandale humanitaire total, et on ne devrait pas laisser des gens comme ça dire des bêtises. C’est mon point de vu, et celui de Sylvia. On voulait aussi montrer que la relation amoureuse qui passe par le respect peut être aussi l’une des réponses. C’est complexe parce qu’on ne veut pas réduire la réponse à la question du sida à la fidélité. Absolument pas, ce n’est pas du tout ce qu’on dit dans le film. Mais je pense que la question du sida amène celle de la responsabilité et du respect de l’autre, un thème qui traverse vraiment notre film.

Afrik.com : Au final, est-ce que l’amour et le sexe vont toujours de paire avec la mobylette ?

Christian Lelong : (Rires) Dans le titre, on voulait donner le ton du film. On voulait faire un film léger qui parle de questions profondes et importantes. C’est un clin d’œil, un trait d’humour, par rapport à un débat avec Cinomade. Un soir, un garçon dit que si on rentre du champ avec ses habits tous crottés, on aura jamais de femme et que si un gars passe en mobylette pendant que tu es avec une fille, il va l’embarquer la fille et toi tu vas rester seul. La fille en face répond : « Mais c’est pas avec la mobylette que tu vas faire l’amour, c’est pas la mobylette que tu vas niquer ! ». C’est pareil chez nous. Les garçons ont toujours constaté que s’ils n’avaient pas une belle voiture et de beaux habits ils n’arrivaient pas à draguer les filles, et les filles disent toujours qu’elles s’en fichent (de la voiture et des habits, ndlr). Mais ce n’est pas toujours vrai. (rires) Le titre parle vraiment bien de l’amour pris entre le désir sexuel et la représentation sociale à travers la mobylette ou autre chose.

Afrik.com : Comment s’est passée la rencontre avec Yoni, qui a fait les musiques du film ?

Christian Lelong : On a demandé à notre assistant quel chanteur pourrait nous aider sur le film. C’était au tout début, on était en repérage. Il nous a donné deux ou trois noms, on a écouté les cassettes, et on est vraiment tombés amoureux de la musique de Yoni – et notamment d’une chanson qui s’appelle « Amour ». On l’a rencontré, on lui a demandé s’il voulait travailler avec nous sur le film, et il a dit oui tout de suite. Il a vraiment travaillé avec nous sur l’écriture du film avant le tournage, il a rencontré les gens, il a écrit les musiques, et après on a eu l’idée de le mettre dans le film dans la séquence finale. Tout ça tourne très bien et je pense que ça donne une tonalité musicale au film qui est vraiment essentielle. Je pense que sans la musique on n’aurait pas fait un film aussi réussi parce qu’elle donne la légèreté et la profondeur émotionnelle qu’on voulait. Il a trouvé les mots, il a trouvé la douceur… C’est une musique assez moderne travaillée avec un arrangeur burkinabè. D’ailleurs, en 2008, il a eu le Kundé d’or du meilleur musicien au Burkina avec cette musique… donc je crois qu’on a un peu touché dans le mille !

Afrik.com : Le film sera-t-il diffusé hors du Burkina ?

Christian Lelong : Il sera diffusé sur TV5 Monde dans une version plus courte, qui fera 50 minutes. Il est disponible sur les programmes de CFI (Canal France international), donc toutes les télévisions africaines qui le souhaitent peuvent le programmer. Il a également été co-édité par les télés nationales du Niger, du Burkina, du Bénin, du Togo et du Cameroun. Ça fait beaucoup de possibilités de voir le film !

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