Guinée Bissau : les libérations sélectives renforcent les soupçons d’un coup d’État arrangé


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Drapeau de la Guinée Bissau
Drapeau de la Guinée Bissau

Un mois après le putsch du 26 novembre, la junte libère six détenus mais maintient en prison les leaders de l’opposition. Une stratégie qui conforte la thèse d’une manœuvre orchestrée pour confisquer la victoire électorale au profit du clan Embalo.

Des libérations en trompe-l’œil

Le Haut commandement militaire a annoncé mardi 23 décembre la remise en liberté de six opposants politiques. Ce geste intervient après la visite d’une délégation sénégalaise conduite par le ministre des Affaires étrangères Cheikh Niang, venue plaider pour la libération des prisonniers. Une annonce présentée comme « un signe de bonne foi » mais qui sent la combine diplomatique.

Mais les principales figures de l’opposition demeurent sous les verrous. Domingos Simões Pereira, leader historique du PAIGC, reste incarcéré à la 2e Esquadra de Bissau. Fernando Dias, candidat indépendant qui revendique la victoire à la présidentielle du 23 novembre, est toujours retranché à l’ambassade du Nigeria où il a obtenu l’asile.

Des libérations sélectives qui renforcent les soupçons de connivence entre les putschistes et l’ancien pouvoir.

Un putsch « cérémoniel » dénoncé dès le premier jour

Les éléments troublants s’accumulent depuis le 26 novembre. Le général Horta N’Tam, investi président de transition, était le directeur de cabinet et chef d’état-major promu par Embalo lui-même. Le nouveau chef des armées, le général Tomas Djassi, occupait également un poste clé auprès du président déchu.

Goodluck Jonathan, ancien président nigérian et chef de la mission d’observation de la CEDEAO, a qualifié les événements de « coup d’État cérémoniel mené par le chef d’État lui-même ». Le Premier ministre sénégalais Ousmane Sonko a été plus direct encore sur France 24 : « Nous savons tous que c’est une combine. »

Des résultats électoraux méthodiquement détruits

Le timing du putsch interrogeait dès le départ car il est survenu précisément la veille de l’annonce des résultats provisoires, alors que les estimations donnaient Fernando Dias vainqueur. Des hommes armés et cagoulés ont fait irruption à la Commission électorale nationale, détruisant l’intégralité des procès-verbaux et le serveur informatique. Les documents de deux régions clés, bastions de l’opposition, ont été interceptés.

Le secrétaire général de la CNE a confirmé l’impossibilité de publier les résultats, le matériel électoral ayant été intégralement anéanti.

Narcotrafic : l’alibi de la junte

Les putschistes justifient leur action par la découverte d’un « plan de déstabilisation impliquant les barons de la drogue ». Un argument peu convaincant dans un pays classé comme plaque tournante du trafic de cocaïne. En outre, le commerce illicite irrigue depuis longtemps les réseaux du pouvoir.

L’ancien Premier ministre Aristides Gomes a prédit sur RFI : « Ce ne serait pas surprenant qu’ils maintiennent les chefs de l’opposition en prison et finissent par libérer Embalo en prétendant qu’il a gagné. ». Mais grisé par l’exercice du pouvoir, l’actuelle junte pourrait finir par le garder…

L’ONU, l’Union africaine et la CEDEAO ont unanimement condamné le putsch et exigé le retour à l’ordre constitutionnel. L’organisation régionale menace de sanctions ciblées. Mais la junte refuse de recevoir la mission des chefs d’état-major de la CEDEAO.

Idriss K. Sow Illustration d'après photo
Journaliste-essayiste mauritano-guinéen, il parcourt depuis une décennie les capitales et les villages d’Afrique pour chroniquer, en français, les réalités politiques, culturelles et sociales de l'Afrique
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