Génocide au Rwanda : « Le jour où Dieu est parti en voyage »


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Comment raconter l’innommable ? Témoigner du génocide rwandais qui, quinze ans après, marque encore les esprits et couve de nombreuses tensions dans la région des Grands Lacs ? Pour le réalisateur belge Philippe Van Leeuw, la question à traiter était la survivance. Celle d’une jeune femme traquée, fuyant la ville et la vie pour s’enfoncer dans les bois comme dans son for intérieur. Si Le jour où Dieu est parti en voyage, qui sort sur les écrans français ce mercredi, séduit par son image, son traitement historique manque d’empathie.

Le jour où Dieu est parti en voyage est l’histoire d’une traque. Celle de Jacqueline, jeune gouvernante Tutsi abandonnée par ses patrons belges dans le grenier de leur maison au printemps 1994. Tandis que ses patrons quittent le pays escortés par des Casques Bleus, la milice s’approprie le lieu. Terrorisée à l’idée de laisser ses enfants au village, Jacqueline (Ruth Niere) sort de sa cachette et doit faire face à une situation impossible : celle d’être Tutsi parmi les Hutus.

Inspiré d’une histoire vraie, ce premier long-métrage du chef opérateur de Bruno Dumont et Claire Simon (La vie de Jésus, Les bureaux de Dieu) a remporté le Prix du Public du meilleur scénario au Festival Premiers Plans d’Angers 2008. Revenant sur le génocide rwandais, le réalisateur explique son choix : « J’ai assisté comme l’humanité entière à un massacre qui a duré à peine trois mois. Et comme la plupart d’entre nous, je me suis trouvé impuissant, incapable d’agir. J’ai compris qu’on peut savoir, voir même, et rester dépassé par l’événement. Après cela, j’ai cherché un moyen d’exprimer ma solidarité et ma compassion pour les victimes et les rescapés. »

Philippe Van Leeuw suit son actrice principale comme une bête traquée. Sa photographie souligne toutes les expressions de la peur et du désespoir, de la fuite et de l’abandon. Car Jacqueline est au bord du vide, obligée de se cacher dans la forêt pour y survivre. Qu’elle disparaisse derrière une branche ou sous l’eau, son expression reste la même : celle du désespoir. En effet, il y a, dans le regard splendide de Ruth Niere, un mélange d’incrédulité et d’abandon. Et si la vie fait soudain apparaître un compagnon de route (Afazali Dewaele) à ses côtés, ce n’est que pour endurer davantage de souffrances : celles qui la séparent de la mort et de Dieu.

Une belle photographie, mais un manque d’intensité dramatique

Le jour où Dieu est parti en voyage dépeint donc la détresse d’une victime malgré elle. Qu’est ce qui fait que l’on se retrouve un jour traquée ? Pourquoi se raccrocher à la vie ? Si l’esthétique emballe (forêt luxuriante, lumière et cadrage remarquables), le sentiment se perd. Car Jacqueline est admirée, regardée, disséquée par la caméra. Et son ressenti, quoiqu’expressif, n’emballe pas. Sa fuite renvoie pourtant à quelque chose du Pianiste de Polanski, qui se dissimulait dans des immeubles abandonnés, écoutant les bombardements de Varsovie. Le choix de laisser le son de l’horreur en off participe à cette focalisation sur l’être caché, le reclu, le paria. Mais le déplacement du point de vue (avec la famille belge, avec les miliciens dans la maison, avec cet homme blessé à la fois craint et désiré qui lui parle en français) dérange.

Lauréat de la Fondation Groupama Gan 2008, le film a reçu le soutien de nombreux financeurs du cinéma belge et français et est distribué par la société MK2. Un démarrage prometteur pour un film récompensé avant tournage. Cependant, quand on sait qu’un film splendide sur le génocide rwandais comme Sometimes in April du haïtien Raoul Peck (2005) n’a jamais pu sortir sur les écrans français, on se demande pourquoi les films sur l’Afrique ont toujours plus de succès (visibilité, soutien…) que les films réalisés par les Afro-Caribbéens eux-mêmes. Certes, Philippe Van Leeuw tente sans prétention de se mettre à la place de son héroïne pour respecter la souffrance des victimes. Mais son traitement du personnage et de l’Histoire l’éloigne du spectateur plus qu’il ne l’en rapproche. Entourée par la nature, sublimée par l’écran, Jacqueline devient objet de fascination plus que sujet d’un massacre contemporain.

Le jour où Dieu est parti en voyage, de Philippe Van Leeuw

France/Belgique – 2009 – 1h34

Avec Ruth Niere, Afazali Dewaele
Sortie en salles, en France, le 28 octobre 2009.

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