Gardien d’espoirs


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Arrivé en France il y a 22 ans pour poursuivre des études de droit, cet Ivoirien a été contraint d’enchaîner des « boulots alimentaires » pour survivre mais Degré-Séraphin Gadou n’a pas renoncé à ses ambitions.

Le bleu de travail lui donne des allures de jeune premier ,que confortent un physique de « gars ordinaire » et un sourire qu’il arbore en permanence. On pourrait lui donner 20 ans que personne ne s’en offusquerait. Mais quel âge a-t-il ? ose-t-on enfin lui demander. « 43 », répond-il sans gêne avec une voix posée. Degré-Seraphin Gadou est cash. Il ne s’encombre pas de fioritures, ni de circonvolutions stylistiques, qui parasitent le propos de ceux qui sont en représentation.

Poste de sécurité

Il reçoit dans l’un des postes de sécurité de l’entreprise où il a été affecté par son employeur comme agent de sûreté, Place de la Bourse à Paris, la ville de tous les fantasmes des candidats à l’immigration dans les bidonvilles de pays africains.

Cet ancien étudiant en droit, 7e d’une fratrie nombreuse -le père était polygame – se raconte sans fard, le regard alternant entre vous et l’écran de vidéosurveillance, le doigt appuyant fréquemment sur le bouton d’ouverture de la porte d’entrée.

La vie de Degré-Seraphin ressemble à l’itinéraire de nombre d’étudiants africains débarquant en Occident.

Terminer ses études de droit…

1988: il arrive à 21 ans en France, dans le nord, pour achever des études de droit commencées à Abidjan en Côte d’Ivoire. Inscription à la Fac. Petits boulots en parallèle pour « payer ma croûte ». Face au coût élevé de la vie, il interrompt ses études. Entrée forcée dans la vie active. Enchaînements de « jobs alimentaires » faute de trouver un emploi équivalent à ses compétences.

« Je suis venu en France pour poursuivre mes études comme tout le monde. Et puis on enclenche sur des activités parce qu’il faut vivre et on perd un peu l’esprit de départ« , raconte Degré-Seraphin.

Issu d’une famille de « classe moyenne » (un père employé au Port autonome d’Abidjan et une mère « vendeuse »), il entreprend en 2000 une formation en informatique mais va une nouvelle fois essuyer des refus de la part des employeurs. Il vient de se réinscrire à une autre formation professionnalisante sanctionnée par un diplôme, équivalent à celui d’ingénieur.

« Il ne faut pas baisser les bras. Il faut se ressourcer, revoir sa stratégie« , lance-t-il philosophe, le regard posé sur un livre d’informatique qui trône en évidence sur la table. « Je veux devenir administrateur de réseau« , ajoute-t-il.

Demain Administrateur de réseau…

En attendant, il travaille comme agent de sécurité à la société de transport de fonds Brink’s, dont les activités de gardiennage et d’accueil ont été rachetées en novembre 2009 par Néo Securities. « C’est une transition« , assure-t-il.

Degré-Seraphin gagne entre 1200 et 2000 euros nets par mois, et en envoie 200 tous les trente jours à sa famille, restée en Côte d’Ivoire. Le reste « c’est pour payer les factures (loyer, électricité, téléphone) et la nourriture. On ne peut pas économiser« , explique-t-il. Il vit seul à Montgeron, en banlieue parisienne, avec ses deux filles (12 ans et 8 ans), nées de lits différents.

Son épouse n’a pas supporté les affres de la vie occidentale et les aléas liés à la condition d’immigré et est retournée à Abidjan moins d’un an après son arrivée en France, abandonnant enfant et mari.

Elle va bientôt revenir…

« Elle va bientôt revenir« , s’excuse presque Degré-Seraphin. « Ma femme est particulière. Mon cas est particulier« , se reprend-il. Le couple a été éprouvé par la longueur de la procédure de regroupement familial, qui a pris « trois-quatre ans« . « ça déstructure, ça disloque« , confie Degré-Seraphin. Il n’en dira pas plus, si ce n’est pour tancer l’administration, dont les agents lui ont conseillé de « divorcer et de prendre (femme) sur place« .

Quand on aborde le racisme, problématique prégnante dans les discussions entre immigrés, Degré-Seraphin est peu loquace. Il faut interpréter son sourire, lequel paraît pour la première fois forcé, et ses réponses concises. « J’ai souffert quelque peu du racisme mais on fait avec« , confie-t-il. Et de demander: « tu fais quoi quand un individu que tu viens de former devient ton chef ? C’est arrivé plusieurs fois. Je ne suis pas là pour rééduquer les gens« .

Alors qu’il vit en France depuis plus de vingt ans, Degré-Seraphin ne dispose toujours pas de la nationalité française. « Je n’en veux pas. Je n’en ai pas fait la demande, c’est comme ça« , plaide-t-il.

S’il n’a pas en projet de retourner à moyen terme en Afrique « parce que mes ressources personnelles ne le permettent pas« , le continent noir est omniprésent dans son quotidien. « J’ai pour ambition d’être un afro-centriste au sens positif du terme. Il faut d’abord se connaître soi-même avant de se tourner vers l’autre« , confie-t-il.

C’est sur Internet, ses réseaux sociaux, ses forums de discussions et ses blogs que cet ancien amateur de foot et cinéphile vit son « africanité ».

« Actuellement c’est le séisme meurtrier à Haïti qui m’interpelle. C’est une part de l’Afrique qui est ailleurs. Une cristallisation des problèmes de l’Afrique. J’ai passé mon week-end sur les blogs pour en parler. Internet libère la parole. ça éloigne les brouhahas des forums physiques« , explique-t-il.

Et c’est en philosophe impliqué dans l’action, attentif à l’éducation de ses deux filles, que Degré-Séraphin Gadou s’apprête une nouvelle fois à réorienter sa carrière… Il a déjà vécu plusieurs existences dans une seule vie…

Degré-Seraphin Gadou en 5 dates
1967 Naissance à Abidjan en Côte d’Ivoire
1988 Arrive en France
1990 Abandonne ses études de droit
2000 Commence une formation en informatique
2009 Retrouvailles avec sa femme en France

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