Gabriel « Mwéné » Okoundji : « Ma poésie doit aider l’humain à grandir »


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Gabriel Okoundji
Gabriel Okoundji

Gabriel Okoundji, poète congolais, a reçu le 25 juin dernier, le prix Coup de Cœur du jury 2008 décerné par l’Académie Charles Cros. Il a été récompensé pour son recueil de poèmes, Souffle de l’Horizon Tégué (France-Congo/Ndzé distributions), qui se présente sous la forme d’un CD audio. Afrik.com l’a rencontré.

Né au Congo-Brazzaville, Gabriel Okoundji s’inscrit à mi-chemin entre la poésie onirique et la pensée philosophique. L’inspiration qui prélude à l’écriture de ses poèmes émane de sa terre natale, celle du peuple Tégué, qui lui a enseigné les hommes, la nature et l’existence. Plus prosaïquement, il est aussi psychologue et professeur à Bordeaux, où il vit depuis 20 ans. Avant de se mettre à la lecture et à l’enregistrement de ses textes, il a d’abord publié de nombreux recueils de poésie qui ont remporté un réel succès, faisant de lui une figure majeure de la poésie africaine contemporaine. Traduit dans de nombreuses langues dont l’occitan, le basque et l’italien, Gabriel Okoundji a collaboré avec tous les milieux artistiques (peintre, musiciens, photographes). Après son « initiation » par le peuple Tégué, il a reçu le titre honorifique de « Mwéné », qui le rend porteur de mémoire et détenteur d’une parole et d’un savoir. Il invite chacun à les transmettre, après s’en être imprégné.

Afrik.com : Pourquoi être passé de l’écriture à l’oralité ?

Gabriel Mwene Okoundji : Mes écrits parlent d’oralité. Je ne suis pas poète mais traducteur d’une pensée et surtout d’une parole : celle qui m’a été transmise par le peuple Tégué, par la bouche de deux personnes, Bernadette Ampili (ma tante) Et Papa Pampo. Ils m’ont enseigné toute la lumière que peut féconder une parole. Ils m’ont inculqué une philosophie et une poétique orales, eux qui n’étaient jamais allés à l’école, qui ne savaient ni lire ni écrire. Moi, je ne suis qu’un élève qui retranscrit et qui répète.

Afrik.com : A qui vous adressez-vous ?

Gabriel Mwene Okoundji : On m’a appris la richesse immense qui entoure chacun de nous, et que les humains ne doivent jamais perdre. J’essaie d’adapter tout ça pour le transmettre, pour que chacun s’en imprègne pour son propre parcours. Ma poésie doit aider l’humain à grandir. Voici le message essentiel du cosmos : la nature nous a créés, nous sommes le fruit d’une poussière d’étoile. La poésie recèle une grande connaissance, qui peut nous apprendre à cheminer soi-même.

Afrik.com : Dans vos poèmes, la thématique des racines, qu’elles soient celles de l’arbre ou celles des hommes, revient de façon récurrente. Pourquoi ?

Gabriel Mwene Okoundji : Un arbre ne peut offrir le meilleur que s’il a des racines bien ancrées. C’est le reflet de notre identité. Tout ce que nous faisons, c’est d’aller de la naissance à la mort, la vie est une ligne. Il faut donc croire en soi pour que d’autres conjuguent leur vie à la votre et cheminent avec vous. Pour cela, la connaissance de ses propres racines est indispensable.

Afrik.com : Qui parle à travers votre voix ?

Gabriel Mwene Okoundji : Encore une fois, je ne suis pas poète, je ne fais que répéter. J’écoute les arbres, et les arbres parlent à travers ma voix. Les bruits de la nature que j’entends, je les redistribue.

Afrik.com : Dans la préface de votre CD, vous évoquez la voix de votre fils, Mamonomé…

Gabriel Mwene Okoundji : Il est le seul héritage de mon existence. Il conjugue ma vie au quotidien. Mes diplômes, les études que j’ai faites, mon compte en banque, tout cela n’est qu’éphémère… Ce qu’il reste de nous, après notre mort, c’est l’enfant qui continue à prolonger la mémoire. On meurt deux fois : la mort biologique, qui est le but de l’existence (on naît pour mourir). La seconde mort c’est l’oubli et la disparition. Pour l’éviter, il faut préserver la mémoire. Il faut donc écrire et témoigner pour ça. C’est un processus de réalisation de l’être car on ne mûrit vraiment qu’après la mort.

Afrik.com : Parlez-nous des lieux d’enregistrement de votre CD.

Gabriel Mwene Okoundji : J’ai toujours fait beaucoup de lectures publiques à Bordeaux. Ma poésie, écoutée et dite, plaisait à mon ami Bernard Chaumont. Ensemble, nous avons eu l’idée d’enregistrer ma poésie sur un CD. Avec ma voix, il fallait trouver les espaces les plus naturels possibles. C’est pourquoi nous avons choisi la base sous-marine de Bordeaux, le parc de Talence, l’église de Bègles. Nous ne voulions pas de musique additionnelle. Cela en a déconcerté certains… qui trouvaient le résultat mou, sans djembé ou balafon. Mais j’ai eu ce prix [Coup de Cœur du jury 2008 décerné par l’Académie Charles Cros, ndlr] car j’ai pris ce risque-là. Tout est naturel, c’est la voix qui se pose toute seule. Ma langue maternelle, qui est la conjugaison du français et du tegué mélangés, fait ressortir le vrai message de ces textes. C’est pourquoi la nature a cette importance-là, dans l’enregistrement comme dans le fond de la poésie. Nous sommes des éléments de la même constitution. Je suis l’arbre, la terre … il n’y a donc pas de différence entre les hommes. Quand on voit comme ça, il n’y a plus de blancs, de noirs … Nous repartons tous à la terre qui redonne vie à d’autres avec des morceaux de chacun.

Afrik.com : Quelle harmonie trouvez-vous entre votre activité de poète et votre métier de psychologue clinicien ?

Gabriel Mwene Okoundji : Il n’y a aucun rapport entre les deux, si ce n’est que je suis la même personne. A l’hôpital je suis clinicien, à l’université où je donne des cours, je suis enseignant. J’applique un savoir livresque, méthodique. Le poète que je suis n’a aucune méthodologie. Je mets de côté cela pour faire ressentir l’émotion. C’est un réel plaisir, après le travail, de me rendre à une lecture de poésie. Cela me détend énormément. Mais si je parlais à mes patients comme dans mes poèmes, je passerais pour un fou ! Ces deux activités me complètent, mais ne sont pas liées.

Son dernier ouvrage « Prière aux ancêtres » paru en version bilingue français/occitan aux éditions Fédérop, vient de remporter le prix Poésyvelines 2008. Ce prix lui sera décerné le 15 novembre prochain au théâtre Villepreux dans les Yvelines.

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