Gabon : la dissolution de l’Union Nationale est « un coup d’Etat contre la démocratie »


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Drapeau du Gabon
Drapeau du Gabon

L’Union nationale, le principal parti de l’opposition gabonaise a été dissoute jeudi par une décision du Conseil d’Etat. Son président, Zacharie Myboto, dénonce une manœuvre du gouvernement tendant à fragiliser l’opposition avant les élections législatives.

«Mesdames et Messieurs,

Le 25 janvier 2011, pour revendiquer sa victoire, Monsieur André MBA OBAME a prêté serment dans des formes non constitutionnelles en qualité de Président de la République élu. Cette victoire a, du reste, été affirmée par des personnalités françaises éminentes, sur un média public français, dans un documentaire à financement public français que les Gabonais ont suivi.

Les mêmes informations, faut-il le rappeler, avaient déjà été données par les télégrammes diplomatiques américains et révélées au grand jour par le site Internet Wikileaks.

Pour répondre à cet acte politique fort, le pouvoir en place, par le biais du Ministre de l’Intérieur, au lieu de porter plainte contre les organismes publics français concernés par ce documentaire, a plutôt prononcé, par un arrêté, la dissolution de l’Union Nationale.

Estimant cet acte illégal, nous avons saisi le conseil d’Etat le 3 juin 2011, afin qu’il déclare nul et de nul effet l’arrêté du Ministre de l’Intérieur manifestement entaché d’irrégularités.

De cette démarche somme toute normale, nous attendions que la haute juridiction administrative dise le droit, rien que le droit. Sans pour autant être naïf, compte tenu du manque d’indépendance de la justice dans notre pays, il nous fallait épuiser l’essentiel des voies légales, pour montrer notre attachement au droit et démontrer, le cas échéant, les limites de celui-ci au Gabon.

En déboutant l’Union Nationale dans sa décision du 28 juillet 2011, le Conseil d’Etat n’a malheureusement pas dit le droit.

Le Conseil d’Etat, à la suite du Gouvernement, prétend curieusement qu’en acceptant l’organisation de la cérémonie de prestation de serment de Monsieur André MBA OBAME dans ses locaux et en y assistant, l’Union Nationale est «coauteur ou à tout le moins complice» de l’acte posé par l’ancien candidat indépendant à l’élection présidentielle anticipée du 30 août 2009.

Le Conseil d’Etat feint d’ignorer que Monsieur André MBA OBAME a prêté serment en sa qualité d’ancien candidat indépendant à la dernière élection présidentielle, élection à laquelle l’Union Nationale n’a pas pris part puisqu’elle n’existait pas encore. Il feint aussi d’ignorer que l’Union Nationale a pris part à la cérémonie au même titre que d’autres partis de l’Opposition qui y étaient invités.

De surcroît, il n’apporte aucune preuve tangible de l’implication de l’Union nationale en tant que parti dans cette cérémonie, bien que celle-ci se soit déroulée dans ses locaux.

En disant que l’Union nationale est coauteur de l’acte incriminé, le Conseil d’Etat affirme donc que l’Union nationale, personne morale, a aussi prêté serment au même titre que Monsieur André MBA OBAME.

Nous ne sommes pas dupes car nous savons bien ce qui s’est véritablement passé au sein du Conseil d’Etat pour en arriver là et nous l’avons dénoncé dans notre déclaration vingt quatre heures avant le rendu de sa décision. Il fallait laisser triompher les intérêts du pouvoir en place et partant, les intérêts de certains magistrats.

Leurs intérêts personnels sont donc plus importants que l’avenir du Gabon et de ses enfants.

Pas de biométrie, pas d’Union Nationale, nous voyons bien ce qui se dessine. Le pouvoir établi veut écarter son principal adversaire potentiel et se donner une majorité écrasante à l’Assemblée Nationale pour faire oublier son indélébile défaite du 30 août 2009 et combler le déficit de légitimité qui en découle. Refus de la biométrie, donc refus d’un élément primordial de la transparence électorale pour les élections législatives à venir, sous des prétextes fallacieux, dissolution d’un parti politique, atteinte au principe de la démocratie pluraliste, le pouvoir fait tout à sa tête au vu et au su de la Communauté Internationale , parfaitement informée, notamment de l’ONU, des Etats-Unis, de l’Union européenne dont la France. Aucune réaction de sa part jusqu’ici.

Attend-elle que les choses se gâtent pour venir jouer au pompier, faire le médecin après la mort ? La prévention n’est-elle pas la voie royale pour garantir la paix et la stabilité ? N’est-ce pas dans cet esprit qu’est installé à Libreville le Centre Régional Onusien de Prévention des Conflits ?

Mesdames et Messieurs,

Nous voulons rappeler ici que l’Union nationale dont la dissolution vient d’être confirmée compte six députés, trois sénateurs et cent cinquante quatre élus locaux, ce qui fait de ce parti la deuxième force politique du pays et le premier parti de l’Opposition.

La dissolution d’un parti politique ne peut pas être un acte banal dans un Etat qui se veut de droit.

Cette décision du Conseil d’Etat est encore un coup d’Etat contre la démocratie dans notre pays après ceux que la Cour Constitutionnelle a perpétrés contre la volonté populaire à l’issue d’autres élections présidentielles et législatives antérieures.

Au Gabon, l’existence d’un parti ou d’un groupement politique tire sa première source de l’article 6 de la Constitution qui dispose : « les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement, dans le cadre fixé par la loi, selon les principes du multipartisme ; ils doivent respecter la Constitution et les lois de la République ».

En d’autres termes, les partis politiques ont une mission principale de permettre aux citoyens de participer à la vie politique de la nation dans les cadres organisés qu’ils constituent. Ils sont le ciment et le ferment de la démocratie. L’expression du suffrage à laquelle ils concourent est tout simplement l’expression de la souveraineté du peuple dont elle organise et facilite l’expression. Tout ceci constitue la base de la démocratie et de la République, le pouvoir du peuple pour le peuple et par le peuple.

Dissoudre un parti politique est donc un acte gravissime puisqu’il vient en négation même du fondement de la démocratie. Ce genre d’acte est la marque propre aux dictatures. Vous conviendrez avec nous que les dissolutions des partis politiques sont extrêmement rares dans les pays qui se veulent démocratiques. Nous avons même en Afrique centrale un chef de parti politique actuellement poursuivi par la Cour Pénale Internationale pour de présumés crimes graves et des actes de guerre à l’intérieur comme à l’extérieur de son pays sans que pour autant cette mise en cause n’ait entraîné la dissolution de son parti. Des cas similaires dans d’autres pays où des partis politiques ont participé à des évènements graves y compris des guerres sans être dissous aussi bien en Afrique centrale, occidentale qu’australe sont connus.

Dissoudre un parti politique signifie que celui-ci ne peut plus prendre part au débat politique, ni participer aux élections et encore moins faire partie des organes de gestion et de contrôle des élections. Mais cette restriction ne peut concerner le logo, qui lui, est une œuvre de l’esprit dont la marque est déposée et protégée. A ce titre, il ne peut être interdit à tout citoyen détenteur d’un vêtement arborant le logo de l’Union nationale d’en faire usage en cette qualité.

Nous dénonçons avec la plus grande vigueur la propension récurrente du Ministre de l’Intérieur à bafouer le droit en lui donnant toujours des connotations liberticides. C’est sans doute la marque du régime auquel il appartient et du pouvoir qu’il sert aveuglement et qui l’a amené à tuer l’Union nationale.

Avec le rejet, le 28 juillet 2011, du recours en déclaration d’inexistence juridique de l’arrêté portant dissolution de l’Union Nationale, le pouvoir, dans toutes ses composantes, a atteint son objectif, celui de tuer notre Parti.

Oui, l’acharnement obsessionnel de ce pouvoir contre l’Union Nationale était à son comble. Oui, l’hostilité viscérale du même pouvoir envers l’Union Nationale était à son comble. La suite ne nous a donc guère surpris.

Mais si le Ministre de l’Intérieur et le conseil d’Etat ont tué, au niveau des textes, l’Union Nationale, ils ne pourront jamais détruire nos convictions, notre détermination et notre foi dans son idéal d’un Gabon pour tous. Le changement, objet de notre combat, nous y mènera irrésistiblement.

Nous voulons donc dire aux Gabonais que l’Union Nationale n’est pas morte. L’Union Nationale vit et vivra toujours dans nos cœurs. Aucune loi, aucune prison, aucun fusil ne pourra tuer cet esprit.

Cela m’amène à rappeler le contexte et l’environnement dans lesquels est née, le 10 février 2010, l’Union nationale. Après le coup d’Etat électoral du 3 septembre 2009 au détriment du candidat André MBA OBAME, élu le 30 août 2009, des candidats à cette élection présidentielle anticipée, après avoir formé une coalition des Groupes et Partis Politiques pour l’Alternance, ont pris la décision d’avoir une grande formation politique de l’Opposition pour gérer autrement le Gabon, réussir l’alternance et mettre fin à la gabegie du pouvoir, source de pauvreté, de misère et de précarité. Le Mouvement Africain pour le Développement (MAD), le Rassemblement National des Républicains (RNR) et l’Union Gabonaise pour la Démocratie et le Développement (UGDD), convaincus du bien-fondé de cet objectif, ont convenu, après adhésion des chefs des groupes et leurs collaborateurs à ces partis, de créer, grâce à leur fusion « l’Union Nationale ». Ainsi est-elle née. Ces trois partis ont posé là un acte patriotique historique dans leur lutte en faveur du changement au Gabon.

Cet acte ne peut souffrir aucune diversion de la part de nos détracteurs. Oui, il est courant d’entendre des gens s’en prendre au Secrétaire Exécutif de l’Union nationale, André MBA OBAME pour le rendre responsable de la situation actuelle et tenter de l’isoler. C’est peine perdue, cela relève de la politique politicienne que nous rejetons avec mépris. Ils n’arriveront pas à nous diviser.

De même, d’autres reviennent sur le cas de l’UGDD que j’aurais vendue je ne sais à qui et qui semblent s’apitoyer sur mon sort ou qui en profitent pour médire de moi comme à leur habitude. Devant ces basses manœuvres, aux uns comme aux autres, je dis que je suis fier du combat que je mène, avec courage et discernement non pour ma modeste personne mais pour le Gabon. Je défends des valeurs républicaines, c’est une entreprise noble que j’assume et que j’assumerai toujours.

Nous disons donc enfin à nos compatriotes que le combat continue et qu’ils seront assez vite édifiés sur la forme et les moyens que nous lui donnerons. Il est clair que nous ne resterons pas indifférents face à un pouvoir illégitime qui bâillonne une très large frange de la population gabonaise en la privant d’un de ses droits les plus élémentaires, celui de se regrouper au sein d’une structure lui permettant d’exprimer ses idéaux. Nous vous informons d’ores et déjà que nous saisissons le Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies sur cette affaire.

Je vous remercie.

Zacharie MYBOTO

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