Français d’Afrique, ces nationaux comme les autres


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Le Cevipof, un institut de recherche en Sciences politiques, a étudié « le rapport au politique des Français issus de l’immigration » africaine et turque pour savoir s’ils sont des Français « comme les autres ». Appartenances religieuses, mariages endogames, laïcité, assistanat ou démocratie, leurs conclusions sur les pratiques sociales vont à l’encontre de tous les préjugés nourris et instrumentalisés par certains partis politiques.

Les Français issus de l’immigration africaine et turque sont-ils des Français comme les autres ? Pour qui votent-ils ? Leur appartenance religieuse, notamment à l’Islam, est-elle un obstacle à leur intégration à la République ? Sylvain Brouard et Vincent Tiberj, du Centre de recherche politiques de Sciences Po (Cevipof), ont pour la première fois tenté de répondre à ces questions dans une étude intitulée « Rapports au politique des Français issus de l’immigration ». Les deux chercheurs ont centré leur attention sur la population étrangère d’origine africaine et turque car elle « concentre les griefs et fait l’objet de présentations qui l’assimilent à un problème, dans ou pour la société française ». Ils ont comparé les réponses de leur échantillon représentatif avec celles d’un échantillon témoin représentant l’ensemble de la population française.

Leur conclusion, à l’issu d’un travail qui, expliquent-ils, demande à être suivi et approfondi : « Ce sont bien des Français et ce ne sont pas des Français contre les autres ». Les pratiques religieuses – puisque c’est ce critère qui les stigmatise le plus – et plus encore ses conséquences sur leur intégration dans la République, offre bien des surprises. Notamment aux hommes politiques d’extrême droite qui font de cette appartenance une barrière infranchissable et agitent le danger d’une « islamisation de la France ». Seule différence marquante avec le reste des Français : le marquage à gauche de cette population qui représente 1,8 million d’électeurs et 4,1 millions de personnes, soit 29,4% des Français issus de l’immigration (322 000 d’origine turque, 679 000 subsaharienne et 3 millions du Maghreb).

Pas besoin d’un « préfet musulman »

Le 20 novembre 2003, le ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, invité de « 100 minutes pour convaincre », un programme de débat politique de la télévision publique française, a répété à plusieurs reprises qu’il allait désigner un « préfet musulman », sorte de discrimination positive destinée à donner du baume au cœur des Français originaires du Maghreb. Sans faire sourciller l’animateur du programme, Olivier Mazerol. Les Français nés de parents issus d’un pays musulman seraient-t-ils vraiment tous versés vers l’Islam ? D’après l’étude du Cevipof, quand 65% de Français « de souche » se disent catholiques, 59,8% des Français d’origine africaine ou turque – 61% d’Algérie, 57% de Tunisie, 77% du Maroc, 28 % d’Afrique subsaharienne, 60% d’origine turque – se déclarent de confession musulmane. Les sans religion culminant avec 25% chez les Français issus de l’immigration… algérienne (28% pour l’ensemble de la population française).

Pour ce qui est de l’islamisation de la France, l’échantillon « étranger » approuve plus que l’échantillon témoin le mariage avec une personne d’une autre religion (26,3% et 18,3%, respectivement du fils vers la femme et de la fille vers le mari, contre 18,4% et 15%). Seul bémol, de taille, l’échantillon « étranger » désapprouve deux fois plus ce type de mariage pour les femmes que pour les hommes (32,3%). L’étude établit que les normes sociales (alcool, prière, jeûne) structurent davantage la vie individuelle des musulmans déclarés, dans l’échantillon « étrangers », que celle des catholiques de l’échantillon témoin. Ce qui n’empêche pas le mot « laïcité » d’être très ou assez positif pour 81% d’entre eux, contre 82% de tout l’échantillon et 84% des Français indifférenciés. De la même façon, l’étude relève d’emblée l’« attachement spécifique à la démocratie hexagonale » des immigrés, de quelque appartenance religieuse qu’ils soient. C’est ce que les chercheurs appellent la « privatisation de la religion ».

Vote à gauche

Pour des raisons que les auteurs de l’étude souhaitent creuser, les Français issus de l’immigration africaine et turque ont le cœur à gauche. 76% se déclarent proches d’un parti de gauche – même si leur personnalité politique préférée est Jacques Chirac – contre 54 % de l’ensemble des Français. De la même façon, seuls 25 % se disent « ni de droite ni de gauche », alors que 38 % de l’échantillon témoin réfute ce clivage. Le cœur à gauche, mais la main exécutrice du devoir électoral dans la poche : les immigrés sont en effet 23% à ne pas être inscrits sur les listes électorales, contre 7% de l’ensemble des Français.

Aux hommes politiques qui font des Français issus de l’immigration les boulets de la République sociale, les chercheurs répondent qu’« il ne semble pas que la culture de l’assistanat puisse s’appliquer à cette population, [qui] paraît synthétiser simultanément la solidarité et l’ambition individuelle dans le travail. » Ils sont ainsi 77% à considérer la réussite matérielle comme très ou extrêmement importante (contre 62% de l’enquête miroir) et 82% à penser de même pour l’ambition et la nécessité de travailler dur pour réussir (contre 55%).

Le site du Cevipof

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