« Français comme les autres ?»


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Les Français issus de l’immigration maghrébine, subsaharienne et turque sont ils des musulmans fanatiques assistés et refermés sur leur communauté ? Les clichés pullulent, mais la loi française rend difficile toute tentative scientifique de les confronter à la réalité. Dans « Français comme les autres ? », les chercheurs en Sciences politiques Vincent Tiberj et Sylvain Brouard mettent à mal ces poncifs et tentent de mieux connaître cette population qui serait différente car provenant de pays majoritairement musulmans.

Cachez ce Français d’origine étrangère que je ne saurai voir. Parce que tous ses fils seraient libres et égaux, la Vè République accepte mal, voire interdit, la catégorisation des Français sur la base de leurs origines nationales ou de leurs croyances religieuses. Une posture qui part d’un principe estimable mais qui confine à l’aveuglement, à une époque où la France serait minée par des problèmes sociaux liés aux récentes vagues d’immigration. Comment lutter contre les difficultés d’intégration de ces « nouveaux Français » sans données précises sur ce qu’ils sont et ce qu’ils veulent ?

Deux mois avant que Nicolas Sarkozy ne remette aux devants de l’actualité la question des statistiques ethniques, Sylvain Brouard et Vincent Tiberj (prononcer Tibéri) ont publié « Français comme les autres ? ». Un titre provocateur pour la première étude sociologique prenant clairement les Français issus de l’immigration (maghrébine, subsaharienne et turque) pour objet d’étude. Sans fausse pudeur. Les deux chercheurs du Centre de recherche politiques de Sciences Po (Cevipof) voulaient ainsi confronter à la réalité les poncifs exploités depuis des années par l’extrême droite et les préjugés parfois partagés par une large frange de la population française. Les deux chercheurs ont procédé en comparant chaque réponse d’un échantillon de 1003 personnes originaires d’une immigration récente à celles d’un échantillon de l’ensemble de la population française.

Le religieux n’est pas facteur de retrait

Les trois régions d’immigration ont été choisies pour la pratique religieuse de l’Islam qu’elles ont en commun. Car c’est bien cette religion qui pour beaucoup poserait problème à l’intégration des nouveaux migrants. Philippe De Villiers assure volontiers que ces derniers voudraient « islamiser la France », alors que « leur rapport à la religion en général et à l’Islam en particulier n’a jamais été exploré », regrettent les auteurs. Ils l’ont donc exploré et constaté que plus de 80% d’entre eux adhèrent au principe de laïcité, parfois même avec plus de conviction que l’échantillon témoin (France entière). « Le religieux en soit n’est pas facteur de retrait de la société française, analyse Vincent Tiberj. Maintenant, la question est de savoir si la France est prête à admettre que c’est une immigration comme une autre ».

Nicolas Sarkozy nomme un préfet musulman censé représenter les nouveaux migrants ? Ils sont 59% à se dire musulmans (61% d’Algérie, 57% de Tunisie, 77% du Maroc, 28 % d’Afrique subsaharienne, 60% d’origine turque) contre 65% de l’échantillon témoin à se déclarer de confession catholique ! Les sans religion culminant avec 25% chez les Français issus de l’immigration algérienne (28% pour l’ensemble de la population française). « C’est l’avantage d’avoir fait ce double portrait de la population française, poursuit Vincent Tiberj. On voit bien dans l’échantillon miroir l’amalgame entre immigrés et musulmans, de même qu’entre banlieues et musulman. Nicolas Sarkozy a fait le choix de traiter le multiculturalisme par la religion. Or, ça n’est pas que cela ».

Plus antisémites et sexistes

Là où certains voient des assistés tirant vers le fond le système social à la française, l’étude devine « le choix de l’école et de la réussite et la volonté de s’en sortir ». La France serait en voie de communautarisation ? « L’étude montre que plus les Français d’origine étrangère sont proches de leur pays d’origine, plus ils se sentent Français. Les identités ne s’opposent pas, elles se renforcent, explique le co-auteur explique. J’ai été marqué après les émeutes par ces jeunes gens qui disaient à la télévision : ‘on est français’… Eux n’ont pas de problème d’identité ». Or, il y a un malentendu, car si les deux échantillons jugent majoritairement que l’intégration va être difficile, ils se rejettent mutuellement la responsabilité de ce constat.

Seules différences, et de taille, avec l’échantillon témoin : les immigrés originaires du Maghreb, d’Afrique subsaharienne et de Turquie sont jugés plus antisémites [[L’échelle d’antisémitisme a été établie à partir de l’accord donné à trois affirmations : « Les juifs ont trop de pouvoir en France » (39% d’accord contre 20 à l’échantillon témoin) ; « On parle trop de l’extermination des juifs pendant la seconde guerre mondiale » (50/35) et « Pour les juifs, Israël compte plus que la France » (52/45). Sont classés en « intolérants » ceux qui ont donné trois réponses positives, « modérés » ceux qui en ont donné entre une et deux et « tolérants » ceux qui n’en ont donné aucune.]] et sexistes. Alors que le racisme n’est pas une question d’origine mais d’âge, de diplôme et de situation économique, l’antisémitisme semble au contraire lié à l’histoire familiale et à la religion. De même que l’homophobie et le sexisme. Deux points noirs qui « prennent source dans la pratique de l’Islam public, à la mosquée, et non privée », indique Vincent Tiberj. « Est-ce dû aux prêches des imams, aux réseaux particuliers qui y sont rencontrés …? Cette première enquête en appelle de nombreuses autres. »

 Lire aussi : Français d’Afrique, ces nationaux comme les autres

 « Français comme les autres ? Enquête sur les citoyens d’origine maghrébine, africaine et turque », Sylvain Brouard et Vincent Tiberj, Les Presses de Sciences Po

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