Fatou Tine, vendeuse d’objets d’art : « Je regrette de n’avoir pas été à l’école »


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Fatou Tine, vendeuse d'objets d'art
Fatou Tine, vendeuse d'objets d'art

Native de Thiès, dans le populeux quartier de Cité Senghor, Fatou Tine est aujourd’hui âgé de 46 ans. Elle a fréquenté l’école coranique à Cité Lamy, toujours dans la région de Thiès. Mariée depuis 21 ans, elle vit au village de Ndiobène où elle a réussi à développer son commerce. Des paniers en rosier, des tables, des bancs et tabourets en rônier, des calebasses, des balafons miniatures, des djembé, des chapeaux… Elle vend toutes sortes d’objets d’art. Afrik.com est allé à la rencontre de celle qui dit regretter de n’avoir pas fait l’école française.

« J’ai commencé à exercer ce métier de vendeuse d’objets depuis que je me suis mariée. C’est en 2002 que j’ai quitté ma ville natale de Thiès pour rejoindre mon mari, ici à Ndiobène », confie-t-elle, foulard bien noué sur la tête. Fatou Tine a attendu d’avoir son premier bébé pour démarrer son commerce. « Je me souviens que mon premier objet vendu était un salon. Quatre chaises et une table en rônier. A l’époque, je l’avais acheté à 7 500 FCFA pour ensuite le revendre à 12 500 FCFA », se souvient-elle. Assise à côté d’elle, sa fille, Coumba, est aujourd’hui étudiante en Géographie. C’est justement à sa naissance que sa mère a démarré cette activité.

Parcourir les marchés hebdomadaires

« Je me rappelle que j’avais réuni cette somme grâce aux différents cachets que m’avaient versés les femmes qui étaient venu au baptême de ma fille ». Pour se procurer sa marchandise, Fatou Tine est obligée de se rendre, régulièrement, à Ngaaye ou Ndoucoura (environ 130 km de Dakar, au Nord). Chaque lundi, elle se rend dans ces marchés hebdomadaires pour rencontrer ses fournisseurs et s’approvisionner. « Les gens viennent de partout pour proposer leurs produits dans ces marchés. Nous en profitons pour faire nos achats ».

Comme budget hebdomadaire, la bonne dame table sur un montant compris entre 75 000 et 100 000 FCFA. « Tiens, voilà Lalla Aïcha qui arrive », lance-t-elle, interrompant notre conversation. Celle-ci, sa deuxième fille, est âgée de 18 ans. Elle est élève au lycée de Lam-Lam et doit passer son Baccalauréat, cette année. Elle traverse la route nationale et vient s’installer à côté. Passés les salamalecs, elle nous renseigne un peu. « Je fais la série L2 », précise-t-elle. Chaque jour, elle parcourt un trajet de 2 kilomètres pour rallier son établissement. « Le plupart du temps, je fais de l’auto-stop pour me rendre à l’école », confie, timidement, Lalla Aïcha.

Fatou Tine, devant son étal
Fatou Tine, devant son étal

Au cours de son quotidien, la jeune fille rencontre « tous types d’individus ». Que cela soit en allant à l’école ou devant le commerce de sa mère. Celle-ci nous raconte d’ailleurs une anecdote. « Un jour, un chauffeur a repéré Lalla alors qu’il allait en direction de Saint-Louis. A son retour, il s’arrête devant l’étal et demande à Lalla de lui apporter un chapeau en paille. Il avance un peu sa voiture, histoire de s’isoler. Lorsque Lalla s’est présentée avec la marchandise, elle lui demande son contact téléphonique. Ma fille lui rétorque qu’elle n’avait pas de téléphone, c’est alors que le type lui a filé sa carte de visite ».

Une recette journalière qui peut atteindre 100 000 FCFA

En même temps qu’elle raconte cette anecdote, Fatou Tine trie les feuilles de kinkéliba qu’elle met dans des sachets, vendus à 250 FCFA l’unité. Avant qu’elle ne finisse de remplir un nouveau sachet d’une contenance d’environ 5 litres, une voiture se gare. A côté du chauffeur, un homme âgé, environ 70 ans, commende 5 sachets de cette tisane bien prisée au Sénégal, surtout pendant cette période de Ramadan. « Visiblement, ils vont passer la fête de la korité en famille. Ce qui justifie qu’il achète cette quantité importante de kinkéliba ».

Comme recette journalière, Fatou Tine dit tabler sur 20 à 50 000 FCFA. « Il y a des jours où j’encaisse 100 000 FCFA. Par exemple, si je vends un salon entre 25 et 40 000 FCFA, je boucle facilement la recette journalière de 100 000 FCFA. Il arrive parfois que les affaires marchent. Parfois, on a des touristes qui passent et achètent de grosses quantités de marchandises. Là, on se frotte les mains. Des Sénégalais aussi passent et dépensent beaucoup ici. Il y a aussi un Libano-Syrien qui adore le pain de singe. Chaque fois qu’il passe, il achète du pain de singe pour au moins 30 000 FCFA », confie Fatou Tine qui dit ne pas trop se plaindre. A part regretter le fait qu’elle n’ait pas fait les bancs.

« Mes filles ont plus de chance que moi »

« Si c’était à refaire, j’allais faire de longues études pour ne pas avoir à vivre au village et faire ce travail. Je regrette de ne pas avoir été à l’école. A partir du moment où j’ai eu des enfants dans ce ménage, il ne me reste plus qu’à prier et les élever. Je pense beaucoup plus à leur avenir. Mais une chose est sûre, je leur conseille de ne pas suivre mes pas. Je ne cesse de leur demander de se concentrer sur leurs études pour ne pas finir comme moi. D’ailleurs, elles ont plus de chance que moi. Car personnellement, je les laisse choisir leur destin. Moi, par contre, on m’a donné en mariage sans me demander mon avis. Mon mari étant un parent. Mais cette époque est maintenant révolue ».

Si Lalla Aïcha est au lycée, Coumba elle, a déjà entamé ses cours à l’Université Cheikh Anta Diop, où elle vient d’être orientée. Nouvelle bachelière, elle compte réussir dans les études et un jour aider sa mère. A propos d’aide, elle a commencé, très tôt, à assister sa mère dans son commerce, les jours où elle n’a pas cours. Elle maîtrise d’ailleurs cette activité à merveille, elle qui est l’aînée, et ses trois sœurs. « Pour le moment, les choses ne tournent pas très bien. Les gens ont plus la tête à la fête de korité (Aïd el-Fitr). C’est pendant les vacances que les affaires marchent le plus », lance Coumba. Pour sa mère, il est juste question de « rendre grâce à Dieu ».

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Journaliste pluridisciplinaire, je suis passionné de l’information en lien avec l’Afrique. D’où mon attachement à Afrik.com, premier site panafricain d’information en ligne
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