Exclusif Christian Nyombayire : « Il n’y a pas de fatalité centrafricaine »


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Alors que la France a décidé d’envoyer plus d’un millier de soldats en Centrafrique, Christian Nyombayire, membre du Comité exécutif du think tank CAPafrique (www.capafrique.org) nous livre son analyse sur l’intervention française et fait le point sur la situation de ce pays chroniquement instable.

Afrik.com : Que pensez-vous de l’intervention française en Centrafrique ?
Christian Nyombayire : C’est une très bonne chose. En d’autres temps, il aurait fallu attendre davantage pour voir une telle réaction même si, lorsque des vies sont en jeu, on aimerait que les choses aillent toujours vite. Plusieurs raisons ont poussé la France à réagir. Les liens historiques qui unissent les deux pays expliquent que la France soit plus attentive que d’autres à la situation en RCA. Par ailleurs, avec des moyens financiers et humains relativement limités, la France peut intervenir dans ce pays avec efficacité. On ne comprendrait d’ailleurs pas qu’elle ne le fasse pas. Avec une force militaire déjà présente sur place (410 soldats) pour sécuriser l’aéroport de Bangui, il serait difficile politiquement et moralement de justifier un « laisser-faire », alors que des massacres sont perpétrés à quelques kilomètres de là. En outre, la France est membre du Conseil de Sécurité des Nations Unies et elle doit en prendre la présidence très prochainement. Cela donne des droits, mais également des devoirs. Surtout en Afrique, dirais-je, où la France n’est pas une puissance moyenne, mais un acteur de premier plan.

Afrik.com : Mais cela ne donne-t-il pas l’impression que la France revêt à nouveau l’uniforme de gendarme de l’Afrique ?
Christian Nyombayire : Les temps ont changé. D’une part, si la France intervient aujourd’hui en Centrafrique, comme hier au Mali, c’est pour éviter qu’une catastrophe ne se produise, et non pas, comme cela a pu être le cas par le passé, pour voler au secours d’un régime autoritaire ou en installer un. En outre, elle intervient à la demande des Centrafricains, des pays de la sous-région ,mais aussi de l’Union Africaine. D’ailleurs, son implication est assez largement saluée par la presse africaine.

Afrik.com : Compte tenu de la situation actuelle, pensez-vous qu’il soit raisonnable de vouloir tenir l’élection présidentielle début 2015 ?
Christian Nyombayire : La Centrafrique est un État failli à tout point de vue. L’urgence est de rétablir la sécurité et de remédier à la crise humanitaire, mais aussi de reconstruire les fondations de l’État sur l’ensemble du territoire. Or, la désignation d’autorités politiques légitimement élues est partie intégrante de ce processus. Ce sont elles qui devront mener à bien ce chantier avec l’aide bien sûr de la communauté internationale. C’est pourquoi il est impératif que
la date de l’élection présidentielle initialement fixée soit respectée.
Prenez l’exemple du Mali. Celui-ci a connu une courte période de transition. Le
processus électoral s’est finalement bien déroulé, en dépit des conditions difficiles. Et aujourd’hui, le pays dispose d’autorités politiques légitimes et crédibles pour lui permettre d’aller de l’avant. A l’inverse, il y a le contre-exemple malgache. Cinq ans de transition ont fini de plonger le pays dans le chaos et la population dans une paupérisation extrême. Il aurait fallu réagir plus tôt, mais hélas, les querelles et les tergiversations, internes comme externes, ne l’ont pas permis.

Afrik.com : La Centrafrique semble structurellement instable, avec des coups d’État à répétition. Est-ce un cas désespéré ?
Christian Nyombayire : Il n’y a pas de fatalité centrafricaine. Souvenez-vous, il y a quelques années, un hebdomadaire panafricain avait titré « Tchad, État failli ». Aujourd’hui, le Tchad fait figure de puissance régionale. Il n y a pas de raison que la Centrafrique ne sorte pas, elle aussi, de ce cycle infernal. Et le fait qu’elle soit un État enclavé n’est certes pas un atout, mais ça n’est pas non plus un handicap irréversible. Nombre d’exemples à travers le monde sont là pour nous le prouver.

Afrik.com : Quelles sont, dès lors, les solutions pour sortir la tête centrafricaine de l’eau ?
Christian Nyombayire : La résolution de la crise centrafricaine suppose une mobilisation à tous les niveaux. Celle tout d’abord de la communauté internationale, car sans une implication véritable de sa part, rien n’adviendra. L’annonce d’un mini-sommet consacré à la RCA, en marge du Sommet Afrique-France, le 7 décembre prochain à Paris, est à cet égard un signe
positif. Celle de la sous-région ensuite. Les troubles actuels en RCA plongent une partie de leurs racines dans l’instabilité sous-régionale (Soudan, Tchad, Ouganda, RD Congo) et le retard accusé par la CEMAC en matière d’intégration n’est pas sans compliquer la résolution de la crise centrafricaine. Les calculs individualistes retardent à l’évidence l’adoption d’une solution rapide et efficace. Enfin, au niveau national, il faudra un sursaut patriotique. Il est temps que la classe politique centrafricaine fasse preuve du sens de l’État requis afin de remédier aux causes qui, tous les dix ans, voient la Centrafrique, pays classé au 180ème rang mondial (sur 187) en matière de développement humain, être déstabilisée par un coup d’État.

Afrik.com : Vous parlez de la classe politique centrafricaine, mais actuellement elle semble démunie et impuissante ?
Christian Nyombayire : D’une part, il faut se garder de toute généralisation. D’autre part, n’oublions pas que le régime précédent, celui du général Bozizé, a abouti de fait à la déconstruction de l’État, à sa patrimonialisation et à l’ethnicisation de son armée. Il n’y a rien d’étonnant, dès lors, à ce que la classe politique actuelle n’ait plus les moyens de faire face à la situation.
Du coup, certains jettent sur elle un discrédit général. C’est une attitude facile et, je dirais, peu responsable. La classe politique centrafricaine compte dans ses rangs des personnalités capables. C’est le cas notamment, de l’avis unanime, du Premier ministre actuel, Nicolas Tiangaye. Celui-ci dispose de l’estime de la population centrafricaine et de la confiance de la communauté internationale. C’est lui d’ailleurs qui représentera son pays à l’occasion du prochain sommet Afrique-France consacré à la paix et à la sécurité. Mais comme l’a rappelé cette semaine un quotidien burkinabè de référence, il faut désormais l’aider à « incarner la réalité du pouvoir ».

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